ETAT DE LA NATION: Quand le budget va, tout va

Les salariés sont les grands perdants du match tripartite. Les patrons ne sont pas convaincus pour autant des résultats. Et l’optimisme du gouvernement risque de faire long feu.

Ceci n’est pas un démantèlement social. Ben Fayot à la tribune de la Chambre. (photo: RK)

Ben Fayot se veut rassurant: „Il ne s’agit pas d’un démantèlement social. Les prestations sont juste réaccordées aux possibilités du budget de l’Etat.“ Le président du groupe LSAP à la Chambre, deuxième orateur à intervenir après la déclaration sur l’état de la nation, tente ainsi de justifier le soutien sans faille des socialistes aux choix politiques du gouvernement. Certes, les résultats de la tripartite auraient pu être pires. Mais en faisant le bilan des réformes depuis 2000, on constate bel et bien une redistribution du bas vers le haut comme on n’en a plus vue au Luxembourg depuis deux décennies.

La baisse massive des impôts effectuée par le gouvernement précédent – avec l’approbation du LSAP dans l’opposition – avait surtout profité aux entreprises et aux salaires moyens et élevés. Plutôt que de resserrer la vis fiscale au vu du déficit budgétaire, Jean-Claude Juncker a choisi de réduire les dépenses, en procédant notamment à une manipulation – pudiquement baptisée „modulation“ – de l’indexation des salaires. Ce sont les citoyens aux revenus modestes qui se retrouvent perdants sur les deux tableaux. Dans ces circonstances, présenter les résultats de la tripartite comme un choix de solidarité, ainsi que le font les politiciens de la majorité, c’est se moquer des gens.

Situation lose-lose

Les grands perdants de l’accord tripartite sont les syndicats, en premier lieu l’OGBL. En effet, c’est la première fois qu’il accepte une manipulation massive de l’indexation. Rappelons qu’en 1982, face à de telles propositions, l’ancien président de l’OGBL, John Castegnaro, avait claqué la porte de la tripartite et mobilisé autour du sujet de l’indexation contre le gouvernement CSV-DP. Deux ans plus tard, le LSAP avait remporté les élections et rétabli le mécanisme. Hélas, en 2006, le LSAP est au gouvernement, et son ministre de l’économie Jeannot Krecké est au premier rang des pourfendeurs de l’indexation automatique.

Du point de vue tactique, le nouveau président de l’OGBL, Jean-Claude Reding n’avait pas le choix: son camp perdait à tous les coups. Il a donc choisi le moindre mal, sauvant accessoirement le LSAP de la menace d’un éclatement interne. C’est compréhensible, car au vu de l’évolution des Verts et de la stagnation de la gauche radicale, les socialistes constituent l’unique relais parlementaire possible pour l’OGBL.

Cependant, en choisissant de céder, le syndicat entame sa propre crédibilité politique. En effet, que reste-t-il des déclarations de principe et des études savantes opposées aux revendications patronales, si elles ne s’accompagnent pas d’un „non“ prononcé au moment décisif? Peut-être l’OGBL a-t-il sous-estimé les atouts dont il disposait: Ben Fayot semblait très inquiet que la contestation ne descende dans la rue „comme en France“, et les premières réactions d’irritation populaire face aux mesures du gouvernement semblent assez violentes … et risquent désormais de profiter au seul ADR.

Autre profiteur du match tripartite, la CGFP se voit complimentée par des syndicalistes de gauche pour sa „solidarité“. Or, en empêchant un plafonnement de l’indexation, le syndicat de la fonction publique n’a défendu que ses propres intérêts, ou du moins ceux des hauts fonctionnaires. Quant aux patrons, il fait la fine bouche devant les quelque 700 millions cash qu’ils économiseront sur les salaires d’ici 2010. La gourmandise des employeurs du côté des salaires se révèle être sans limites. Mais le reste de leurs critiques de l’accord tripartite et de la déclaration du Premier ministre est recevable: trop peu de réformes profondes, manque de courage politique.

Bipartite

Le véritable vainqueur de la tripartite, c’est le gouvernement. Il économise 200 millions d’euros dans les trois ans à venir grâce aux manipulations de l’indexation. „Sans les difficultés des finances publiques, la tripartite ne se serait pas déroulée ainsi. Quand Jean-Claude Juncker a mis ce problème sur la table, nous avons tenté de notre côté de faire valoir les intérêts de l’économie“, explique Paul Reckinger, vice-président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). L’Etat s’est donc allié au patronat pour assainir son budget, au préjudice des salarié-e-s.

Faut-il pour autant critiquer l’ensemble des mesures annoncées par Juncker? Le fait de s’engager en faveur du „libre choix“ des parents en matière d’activité professionnelle est courageux de la part d’un politicien CSV. Qu’il justifie la désindexation des allocations familiales par la nécessité de financer plus de structures d’accueil est plus douteux, notamment parce qu’il ne remet pas en question les avantages fiscaux liés aux enfants, dont profitent, là encore, les revenus élevés.

Quant au volet environnemental du discours, le Mouvement écologique y relève un „engagement saisissant du Premier ministre“ ainsi que „des signaux dans la bonne direction“. En effet, le gouvernement va construire le tram, économiser sur les routes et freiner le tourisme à la pompe. Mais chaque mesure ne fait que répondre à une contrainte: les embouteillages, le déséquilibre budgétaire, les obligations de Kyoto. Les arbitrages se font en conséquence: l’aménagement du territoire à long terme est négligé, et du côté des énergies renouvelables, les filières comme le photovoltaï que, qui ne rapportent pas selon les critères de Kyoto, sont abandonnées. De surcroî t une mesure comme l’augmentation de la taxe automobile a été décidée de manière brusque, alors qu’elle gagnerait en acceptation et en efficacité si elle était introduite progressivement et de manière prévisible. Tout cela renforce l’impression que ces décisions dénotent moins le souci de l’environnement que celui des recettes fiscales.

Pseudo-écologie

La valeur que le Premier accorde vraiment à l’environnement a été révélée par l’annonce de la ligne de haute tension qui connectera le Luxembourg au réseau d’électricité français. Ceci afin d’obtenir le prix le plus bas – sans aucune considération pour l’origine nucléaire du courant français. Une fois de plus, le gouvernement a abusé de la tripartite afin de légitimer une décision de politique environnementale. La réaction enthousiaste du Mouvement, qui s’était montré plus exigeant par le passé, est donc surprenante.

Plus surprenant encore a été le soutien apporté par les Verts, parti d’opposition, au discours de Jean-Claude Juncker. Rappelons qu’ils ont inlassablement critiqué la fameuse réforme fiscale de 2000 et demandent depuis longtemps des changements profonds en matière de politique énergétique. En donnant une appréciation globalement positive des mesures partielles et contradictoires du gouvernement, François Bausch apporte de l’eau au moulin de ceux et celles qui accusent les Verts de dérive droitière ou – pire – de cirer les pompes de Juncker pour faire partie de son prochain gouvernement. Et ce ne seront pas les félicitations que Bausch a adressées au Premier pour les manipulations de l’indexation qui leur feront changer d’avis.

Les syndicalistes et les socialistes, une fois la couleuvre de l’indexation digérée, peuvent se féliciter de leurs succès: le statut unique, l’université, le tram. Il s’agit effectivement de projets innovateurs, mais aussi de problèmes qui auraient dû être réglés il y a longtemps déjà. On peut en tirer satisfaction, mais aucune fierté. Ce qui manque dans les résultats de la tripartite, ce sont des visions politiques. Elles ont été remplacées, dans le discours de Juncker, par les fantasmes d’un avenir menaçant: la montée des océans, le mur des pensions, la montagne des dettes publiques. Mais l’inquiétude du Premier est unilatérale: Ni les déchets nucléaires, ni un Etat providence mal structuré, ni des infrastructures défaillantes ne l’effraient. Et surtout, il ne propose que des mesures et des mesurettes.

Etroitesse

Il est remarquable que ce sont les deux autres partenaires sociaux, réputés raisonner à court terme, qui évoquent la nécessité de réformes structurelles. „La tripartite a créé des marges de manoeuvre, au gouvernement d’en faire quelque chose“, estime Jean-Claude Reding. Et l’UEL se plaint à juste titre que les recommandations du rapport Fontagné sur la compétitivité sont passées à la trappe. Cela dit, les propositions des autres acteurs sont tout aussi floues que celles de Juncker. Ainsi, parmi les 29 diapos Powerpoint présentées par l’UEL, la moitié parle des charges qui pèsent sur les entreprises, mais une seule de la promotion des nouvelles technologies.

Parmi les propositions qu’on aurait pu attendre de Jean-Claude Juncker, relevons celle d’une grande réforme scolaire, réclamée là encore par les partenaires sociaux. L’idée d’une écologisation du système fiscal avait fait son apparition dans la déclaration gouvernementale de 1999, mais semble avoir été abandonnée depuis. Enfin, réfléchir sur l’évolution de l’Etat providence vers un modèle de flex-sécurité est décidément au-delà des ressources de courage politique du Premier et de l’ensemble de la classe politique. Tout comme le concept, bien plus concret, de la Grande Région. On cherche en vain des idées comme le transfert de fonds vers les collectivités locales frontalières, ou une approche interrégionale des problèmes du marché de l’emploi – seule la concurrence commerciale de Trèves et d’ailleurs a droit de cité.

„Modération n’est pas modernité“ écrivions nous après la déclaration sur les priorités gouvernementales d’octobre 2005 – les mesures annoncées par le Premier sont moins modérées qu’attendu, mais pas plus modernes pour autant.


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