HISTORIOGRAPHIE: À retardement

Alors que les témoins – juifs et non juifs – de la Seconde Guerre mondiale commencent à se faire rares, le gouvernement se montre prêt à financer des recherches sur le rôle de l’Etat dans la persécution des juifs.

L’initiative prise par l’historien Serge Hoffmann en automne dernier, pour demander au premier ministre s’il n’était pas grand temps de présenter des excuses à la communauté juive à cause de la collaboration de la Commission administrative en 1940 porte enfin – et après maints détours – ses fruits, puisque le jeune chercheur Vincent Artuso, bien connu par nos lectrices et lecteurs, vient de se faire engager par le gouvernement pour lever le voile sur cet épisode sombre. Mais tout n’était pas gagné à l’avance.

À l’époque, l’éditorialiste du woxx avait été sceptique quant à une réponse du premier ministre (woxx 1181). L’engagement annoncé de Vincent Artuso, est un signal que les choses commencent à bouger.

L’avis de notre consoeur Pia Oppel à la radio 100,7 samedi dernier serait-il donc trop pessimiste ? Lors d’un entretien avec Vincent Artuso sur le même sujet, elle avait estimé que la question du rôle des autorités luxembourgeoise dans la persécution des juifs ne soulèverait que peu de réactions – contrairement au débat public déclenché par le projet « Lady Rosa » qui avait suscité des réactions fortes voire agressives de la part surtout des témoins de la Seconde Guerre mondiale.

Au Luxembourg, la Shoah est toujours un tabou

Il est vrai que ce débat-ci se déroule au niveau d’un public averti et qu’il fait moins de vagues. Il semble plus facile pour le commun des mortels de se positionner par rapport à la déconstruction artistique d’un symbole national que de prendre part à une réflexion assez complexe sur l’histoire peu connue de l’administration luxembourgeoise pendant la guerre, et notamment sur son rôle en rapport avec la persécution des juifs. Néanmoins, la publication de documents par l’historien Denis Scuto, qui montrent le zèle de certains fonctionnaires à fournir les noms de personnes juives à l’occupant, n’est également pas passée inaperçue. Le nombre de commentaires sur rtl.lu et sur tageblatt.lu plus ou moins profonds montre que la Shoah occupe toujours les esprits.

Ce qui frappe peut-être davantage, c’est le silence des parlementaires. Mis à part le groupe parlementaire du DP, qui s’est prononcé fin février pour la mise en place d’une commission, par la Chambre même, pour mener la recherche historique en question et qui propose d’organiser un débat d’orientation, aucun groupe politique ne semble s’être positionné jusqu’à présent par rapport à cette question. La même chose vaut pour la communauté juive elle-même. Sûrement, là aussi, les opinions divergent sur la marche à suivre, mais il serait intéressant de connaître les différents points de vue.

Ces hésitations et ces silences sont parlants. Ils montrent qu’au Luxembourg, la Shoah est toujours un tabou. En même temps ils renvoient à un manque d’information et de clarté. Depuis 70 ans, l’Etat luxembourgeois n’a pas daigné financer une recherche historique indépendante et désintéressée, déconnectée des stratégies politiques des gouvernements du moment. De ce fait, il a sapé sa propre revendication d’être un Etat qui se respecte.

Mais il a également freiné l’évolution d’un débat ouvert sur les responsabilités individuelles et collectives. Il a empêché ses citoyens et citoyennes de se faire une image plus appropriée du passé de leur pays. Un commentaire d’un lecteur de tageblatt.lu est significatif à ce sujet : « Es ist sehr befremdlich, wenn man wie ich (Jahrgang ’72) mit dem festen Glauben an den geschlossenen Widerstand der Luxemburger gegen die Nazis aufgezogen wurde. Eigentlich hätte ich ja selbst skeptischer sein müssen, doch ist man als Kind ja sehr naiv und glaubt den Geschichtsbüchern. »


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