FIN DE LA COALITION: A bout de souffle

C’en est fini de la comédie. L’affaire du Srel a éreinté la coalition CSV-LSAP qui chute en fin de parcours. Quant à Jean-Claude Juncker, il tient toujours sur ses deux jambes.

Une fin amère : Jean Asselborn ne le souhaitait pas. Dorénavant, il compte les heures qui le séparent de son départ de l’hôtel Saint-Maximin qu’il a tant chéri.

C’était le job de sa vie. Il en rêvait depuis des décennies et y pensait en taillant sa moustache. C’est bientôt terminé et il en a amèrement pris conscience. Jean Asselborn avait du mal à retenir ses larmes ce mercredi à la Chambre. L’émotif de Steinfort, l’éternel sous-estimé, victime du racisme social latent en politique et surtout dans le monde diplomatique, cessera bientôt de représenter le Luxembourg à l’étranger. Quelques mois seulement après avoir réussi la prouesse de décrocher un siège au Conseil de sécurité de l’Onu. Après avoir quasiment fait de l’ombre à Juncker dans les médias étrangers et surtout allemands. C’est trop bête. Sur le banc gouvernemental, après le coup de sang du premier mins-tre, Asselborn tend encore la main à Juncker qui la lui serre. Ils se disent quelque chose, c’est inaudible, mais la réponse de Juncker semble être assez sèche. Il remballe ensuite ses dossiers et s’en va. Asselborn reste encore quelques instants sur son siège, conscient qu’il s’agit certainement de la dernière fois qu’il y prend place. Car dans son dos déjà, les couteaux socialistes s’aiguisent. Comme si souvent au LSAP, le renouvellement passe par des questions personnelles, pas politiques.

Mardi déjà, on apprenait que le LSAP avait convoqué un conseil général afin de choisir sa tête de liste : le jeune ministre de l’économie Etienne Schneider, fort de sa virginale popularité, défie le vice-premier. Qu’il incarne, à l’instar de son mentor Jeannot Krecké, l’aile économiquement libérale du parti ne semble pas tracasser outre mesure la base. L’important, c’est le symbole : quelques envolées contre les « Paafen » suffiront à galvaniser des troupes pour lesquelles la « séparation de l’Eglise et de l’Etat » constitue l’alpha et l’oméga du progressisme. Cela donne l’impression au bon militant de base « qu’il se passe quelque chose » et réussira à le mobiliser une énième fois pour coller des affiches et distribuer des tracts. Avant de lui expliquer pourquoi, malgré la 43e raclée électorale, il faut toutefois entrer au gouvernement affaibli et pourquoi il vaut mieux manipuler l’index soi-même que de le laisser faire par le DP ou les Verts.

Car voilà le talon d’Achille de ceux qui pensent pouvoir se frotter impunément au chef : leurs propres contradictions. Certes, Juncker est loin, très loin même, d’en être exempt. Mais il dispose de la dose d’insolence et de testostérone que procure le pouvoir pour le surmonter. La preuve : c’est lui qui décida, mercredi, de clore la séance parlementaire alors que trois motions attendaient d’être votées. Certes, cela n’aurait en aucun cas changé le cours des choses, mais a illustré à quel point le pouvoir législatif est soumis aux caprices du prince.

Vous avez dit Etat-CSV ?

L’Etat CSV ? Peut-être, mais pas seulement, a-t-il fait comprendre lors de son allocution de deux heures. Les libéraux s’attendaient-ils à ce que l’un d’entre eux file un poignard à Juncker ? Henri Grethen, l’ancien ministre de l’Economie, ne s’est pas fait prier longtemps. La vengeance étant un plan qui se mange froid, l’occasion était trop belle pour se rappeler à la mémoire du tandem Bettel/Meisch. Muni de l’« autorisation expresse » de Grethen, Juncker donne quelques exemples. Le ministre de l’Economie d’alors avait lui aussi placé son chauffeur, agent de la police grand-ducale, à l’Office des prix. Et l’ancien secrétaire d’Etat Schaack, DP lui aussi, s’il n’a pas réussi à placer son fils au Srel comme il le souhaitait initialement, l’a finalement vu atterrir à la douane dont il est devenu le directeur. Alors que dire de Roger Mandé, chauffeur du premier ministre que ce dernier plaça au Srel ? L’Etat CSV ? Peut-être. Mais tout le monde y participe. Que le premier qui n’a jamais péché lance la première pierre…

D’ailleurs, ce n’est pas sans malice que Juncker n’a cessé de rappeler que si responsable il y a, il est loin d’être le seul. A commencer par son partenaire de coalition auquel il a bien fait ressentir sa déception. Car, hormis Serge Urbany, il a été le seul a rappeler que d’autres ministères sont également liés aux services du Srel. Et que la commission d’enquête aurait tout aussi bien pu auditionner d’autres personnalités politiques, notamment Jeannot Krecké. C’est en effet ce dernier qui a recruté l’agent André Kemmer au ministère de l’Economie sur proposition de l’ancien directeur du Commerce extérieur, Jean-Claude Knebeler. « Après 25 ans de collaboration, je n’aurais jamais pensé que le LSAP me ferait un tel coup », assène-t-il. Le plus étonnant, c’est qu’il semble que les caciques socialistes ne s’attendaient pas à ce que Juncker lance l’offensive. Si tel devait être le cas, il faudrait se soucier des capacités de jugement politique de certains leaders politiques.

Celles et ceux qui croyaient naïvement que Juncker ferait amende honorable en sont pour leurs frais. Le discours de Juncker n’était pas celui d’un premier ministre démissionnaire, mais d’un candidat prêt à en découdre et à rempiler pour une législature supplémentaire. « Je constate qu’une majorité dans cette Chambre veut de nouvelles élections » : de chef du gouvernement, Juncker s’est mué en chef d’une opposition à un establishment politique qui veut sa chute – contrairement à la majorité silencieuse prête à le porter à nouveau au pinacle. L’état-major de son parti ne s’y est d’ailleurs pas trompé : promptement, le secrétaire général du parti, Laurent Zeimet, le jeune et habile bourgmestre de Bettembourg, fait circuler sur les réseaux sociaux le premier communiqué de campagne chrétien-social : « Mir mam Premier ». La technique est rodée et ancienne : face à l’offensive d’une certaine élite arrogante et avide de pouvoir, le caudillo mobilise le pays profond à l’instar du général de Gaulle en 1968 et plus récemment de Nicolas Sarkozy contre une intelligentsia coupée du peuple.

L’appel au pays profond

Et gageons que l’opération pourra même tourner à son avantage. Juncker est loin d’être détruit et le CSV est un quadrimoteur qui peut bien surmonter l’une ou l’autre avarie. Certes, l’affaire du Srel lui a bien causé quelques égratignures. Encore faut-il attendre le verdict des électeurs au mois d’octobre. Car rien n’est encore joué et s’il semble que le taux de popularité de Juncker se soit quelque peu tassé, il continue de jouir d’une popularité que d’autres chefs de gouvernement européens lui envient.

Par contre, le LSAP risque bien de faire les frais de ces élections anticipées. Son président Alex Bodry s’en est toutefois bien mieux sorti et a su éviter le piège tendu par Juncker. En refusant de démissionner, Juncker a mis au défi son partenaire de coalition d’expliquer aux électeurs pour quelles raisons il voudrait quitter le gouvernement. En votant une motion de défiance contre un exécutif auquel ils appartiennent, les socialistes se seraient désavoués eux-mêmes. Bodry a trouvé la seule échappatoire possible : quelles que soient les responsabilités respectives, les événements de ces dernières semaines ne pourraient rester sans conséquences. « Personne ne le comprendrait », résume-t-il depuis la tribune de la Chambre. Personne ne le comprendrait, surtout à l’intérieur de son propre parti dont une bonne partie de la base n’aurait pas supporté ce qui aurait été compris comme une abdication devant le CSV. Et à en croire les réactions de certains membres du LSAP sur les réseaux sociaux, qui, il y a encore quelques semaines, après le « sauvetage » de Luc Frieden, explosaient de colère envers la direction du parti, la réconciliation est à nouveau à l’ordre du jour et les socialistes s’engagent dans la bataille électorale en rangs serrés.

Pris qui croyait prendre ?

La question est maintenant de savoir quel sera le poids de l’affaire du Srel pendant la campagne électorale. En tout cas, la ligne de défense du CSV est claire : des erreurs d’appréciation ont été commises. Par le premier ministre, mais aussi par la commission de contrôle parlementaire et donc par le LSAP, mais aussi le DP et les Verts. Car l’excuse avancée par François Bausch, chef de groupe des Verts et président de ladite commission, selon laquelle il aurait fait preuve d’un excès de naïveté dans l’exercice de cette fonction, peut tout aussi bien valoir pour le chef politique du Srel. Juncker n’a d’ailleurs pas hésité à laisser jouer sa corde « sociale » : il refuse d’entretenir un climat de suspicion permanent avec ses subordonnés.

En fait, le problème auquel sont confrontés les partis critiquant la gestion politique du Srel par Juncker prend sa source dans le difficile contrôle démocratique d’un service dont le mode de fonctionnement est par essence secret. Car quel est le problème principal d’un service secret : qu’il ait des dysfonctionnements ou, justement, qu’il fonctionne ? L’exemple fourni par Serge Urbany à propos de Taoufik Salmi, Tunisien envoyé dans les geôles de Ben Ali en 2003 sur base d’indices fournis par le Srel, qui voyait en lui un terroriste potentiel, n’a pas beaucoup retenu l’attention des parlementaires. A cette époque, le Srel avait fait son travail, tout en commettant une erreur d’appréciation. Une erreur qui s’est traduite par des années de tortures sur une personne qui n’avait commis d’autre crime que de soutenir un parti dont est aujourd’hui issu le premier ministre tunisien. Un contrôle parlementaire plus strict du Srel contribuera-t-il à éviter à l’avenir de telles bavures ? Rien n’est moins sûr : l’exemple des ratés des services de renseignement allemands, pourtant bien mieux contrôlés qu’au Luxembourg, prouvent bien que les garde-fous protègent de tout, sauf des fous. Des fous, « des paranoïaques et des mythomanes », comme l’a affirmé Jean-Claude Juncker. Bonne chance à celles et ceux qui pensent pouvoir les contrôler.

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Echantillon de la liste d’organisations fichées depuis 1960

(suite au prélèvement demandé par François Bausch) :
Association Solidarité Luxembourg-Nicaragua, Amnesty International, OGBL, Amistad Luxembourg-Cuba, Périodique « Forum » (de Militant), Kommunistische Gruppe Luxemburg, Kollektiv Spackelter, Groupement pour le socialisme révolutionnaire, Association Lëtzebuerger Friddenskomitee, Association Iwwerliewen, Mouvement de libération des femmes, Ligue communiste révolutionnaire, Alternativ Wiert Iech, Eislecker Fräiheetsbewegung, Fédération Eist Land Eis Sproch (Feles), Jeunesse ouvrière catholique, Jeunesse socialiste, Kommunistischer Bund Luxemburg, Ligue des droits de l’homme, Mouvement écologique, Nationalbewegung Téiteng, Nationalbewegung – Gréng Nationalbewegung, Radio Fluessfenkelchen, Union nationale des étudiants du Luxembourg (Unel), Anti-Apartheid en Afrique du Sud, Fonken, Roud Wullmaus, Asti, Caritas, Clae, Radio Radau Lëtzebuerg, Assoss, Greenpeace

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Bien que l’intérêt principal portait sur la question de savoir si la coalition gouvernementale allait tenir ou pas, le débat parlementaire de ce mercredi portait sur le rapport de la commission d’enquête sur le Srel. En voici quelques extraits :


« E potenziellen Amokleefer »

Extrait du verbatim de l’audition de Roger Mandé du 8 mars 2013 (huis clos) :

Roger Mandé : Wéi ech hie gefrot hu fir de Kemmer, maach eppes fir hien, dass en an déi Ekonomie do kënnt, dass do endlech Rou kënnt, well de Kemmer war och deemols, ech géif emol soen, de Procureur froen, et war en administrativen Amokleefer.
(…) ech weess net, ob de Kemmer dohinner komm wier, wann ech net fir e gefrot hätt. Et ass méiglech, mä et war e Patt einfach, et war e Remis, deen houng do. De Kemmer houng do, en huet lénks a riets alles verzaapt, bei Affekoten an ech weess net wou. Ech wëll de Jong elo net nach méi belaaschten, e war schlecht drun, effektiv. Hie war désorientéiert, et war e Fonctionnaire, en operationellen Agent, dee sech iwwerlooss ass. Et as eng Katastroph, dat däerf de Service ni méi maachen. En däerf dee Schneider net mat enger Sandstone zéie loossen an en däerf och net en operationellen Agent einfach goe loossen. Dat ass en Amokleefer, e potenziellen Amokleefer. (…)


« Dat as bedenklech ! »

Extrait du verbatim de l’audition de Frank Schneider du 8 février 2013 :

Serge Urbany : Dat heescht, deen Ausdrock Terrorismus huet och en ideologesche Contenu, gewëssermoossen ? Kann ee soen ? Dat heescht, et hänkt och domat zesummen, wéi ee Saache gesäit, wat an enger Gesellschaft passéiert ?
Frank Schneider : Jo, Här Urbany, Dir hutt jo hei schonn oft ugeschwaat, wat d’Definitioun vum Terrorismus ass. Ech mengen, bis haut ass kee richteg mat enger Definitioun vum Terrorismus komm.
Serge Urbany : Dat ass awer bedenklech. Ausserst bedenklech !
Frank Schneider : Dat ass bedenklech ! Natierlech ass dat bedenklech. An et kann ee sech och zu Recht d’Fro stellen : Wou ass haut den Ennerscheed zu deem, wat haut geschitt, wéi dat wat, do wou Leit aus Are Kreesser de Sujet waren ? Et ass eigentlech vum Prinzip hier net vill Ennerscheed.
An do misst ee sech ganz permanent an intensiv domadder auserneensetzen, firwat een dann awer vläicht eng net-lëtzebuergesch Gesellschaft zu Lëtzebuerg, wou ebe vläicht manner spektakulär ass, wa se ënner Observatioun steet, oder méi salonfäeg ass, fir se ënner Observatioun ze stellen. Ech weess et net. Mä dat si Saachen, jo, dat si Saachen, déi misste sech gestallt ginn. Muss de Service de renseignement déi selwer stellen ? Dat weess ech net. Ech mengen, dat missten Informatioune sinn, déi fir de Srel gestallt ginn. An Diskussiounen, déi misste lafen. Mä ech sinn absolut d’accord, wat Dir sot.


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