POLITIQUE CULTURELLE: Artisté social

La réforme du statut d’artiste devrait se trouver dans la dernière ligne droite. Pourtant un peu de lobbying de dernière minute pourrait faire plier la coalition. C’est du moins ce qu’espèrent les membres de l’association des artistes plasticiens (AAPL).

Lieu éphémère mais symbolique : la galerie Bradtke. Photo : Facebook

Une conspiration en vitrine, ou en tout cas ça en a l’air. La réunion de l’AAPL qui a eu lieu ce mercredi à la galerie « pop up » Bradtke a été agitée aussi par l’émoi qu’ont causé les mesures budgétaires annoncées dans le secteur culturel. Cependant l’association, qui revendique quelque 25 membres, a – pour le moment encore – d’autres chats à fouetter. Il s’agit de terminer un travail de lobbying de longue haleine : la réforme du statut d’artiste. Petite piqûre de rappel : créé en 1999 par Erna Hennicot-Schoepges, réformé une première fois en 2004, c’est l’ancienne ministre CSV Octavie Modert qui avait tenté de réformer le statut juste avant les élections anticipées d’octobre 2013. Le projet s’est retrouvé dans les tiroirs de la nouvelle ministre Maggy Nagel, qui a promis d’avancer vite dans la refonte, en procédant par amendements du projet de loi Modert.

Or le projet Modert a été l’objet de maintes critiques dès sa parution. S’il actualisait certaines conditions du statut, notamment en y introduisant le droit au congé de maternité, au congé de maladie ou au congé parental, il proposait aussi des changements au détriment de la condition de l’artiste. Comme le fait que, au renouvellement du statut, tous les deux ans, l’artiste aurait dû démontrer dix pour cent de revenus en plus qu’à la dernière demande. Or, le marché de l’art est déconnecté de l’économie orthodoxe et connaît ses propres règles ; le fétichisme de la croissance n’est pas tout à fait sa religion. Du moins du point de vue des artistes : pour les collectionneurs, c’est probablement très différent. En tout cas, le lobbying de l’AAPL et de bien d’autres acteurs culturels, la Theater Federatioun entre autres, ont fait disparaître cette règle, ainsi que d’autres nouveautés comme le « titre d’artiste », une idée très superflue.

Bel exemple de lobbying culturel

Dans ce sens, on aurait pu croire que le projet de loi réformé correspondrait aux aspirations de la scène – qui connaît mieux les conditions d’existence des artistes que les fonctionnaires. Pourtant, il reste du pain sur la planche. Selon Trixi Weis, qui a présidé la réunion, Bruno Baltzer ayant démissionné pour raisons personnelles, plusieurs points restent à régler : d’abord la règle qui veut que l’artiste gagne quatre fois le salaire social minimum qualifié (SSMQ) dans l’année qui précède le renouvellement ou le premier accès au statut. « C’est plutôt une détérioration de la situation », explique-t-elle. « Nous préconisons de faire en sorte que les quatre SSMQ puissent être gagnés sur les deux années précédant la demande. C’est simplement plus réaliste. » Outre ces détails techniques, il reste aussi la question de fond : le statut lui-même doit-il disparaître ? La réponse est non. Même si tout le monde s’accorde sur le fait que le « titre d’artiste », qui n’aurait donné droit à aucune prestation, n’était pas la voie à suivre, le remplacement du statut par des « mesures sociales au bénéfice des artistes professionnels indépendants » se heurte à une certaine résistance. Ce glissement sémantique et symbolique du statut vers une « mesure sociale » traduit aussi un peu le mépris du ministère pour l’artiste – de porteur de statut, il devient assisté social.

Autre problème : la réforme du fameux « un pour cent culturel » – la somme allouée aux travaux créatifs dans les bâtiments publics. Alors que la question de savoir ce qu’un arrêté grand-ducal pareil venait faire dans une loi sur le statut d’artiste se posait dès la première mouture de la loi, les conditions viennent encore de se dégrader, vu que la somme maximale a été plafonnée à 500.000 euros. Une somme coquette encore certes, mais qui d’expérience est rarement atteinte. Ce qui laisse ouvertes aussi des questions sur la transparence des procédures. Ainsi, les soumissions ne fonctionneraient pas toujours de la même façon, tout comme certaines attributions resteraient opaques. Mais la question à un million d’euros est : qu’advient-il de l’argent non utilisé ? Une réponse que l’AAPL voudrait bien obtenir du ministère de la Culture, voire de la Direction des bâtiments publics – tous deux peu enclins au dialogue. Dans le business des soumissions publiques, l’AAPL voudrait aussi obtenir une compensation pour les artistes non retenus par les jurys : « On ne demande pas grand-chose, mais quand tu passes une ou deux semaines sur un projet qui n’est pas réalisé, tu perds aussi de l’argent et, au-delà du manque à gagner, il reste aussi des frais de matériel que personne ne te remboursera », raconte une des artistes présentes.

Opacité sur le « un pour cent culturel »

Un dernier point porte sur une amélioration obtenue : les formations continues que le ministère voulait rendre obligatoires. Mal définies, elles se résumaient à des cours de communication ou de comptabilité ; elles n’ont pas été approuvées par la scène. « Mais cela ne veut pas dire que nous fermons la porte à des formations spécifiques. Par exemple pour apprendre à travailler avec de nouveaux matériaux, ce qui peut aussi ouvrir des voies pour gagner des soumissions publiques – qui restent notre gagne-pain principal. »

En général, les détenteurs du statut se voient comme des mal compris, également dans le secteur des arts plastiques qui en compte de loin le plus, ce qui explique aussi la présence de l’arrêté grand-ducal sur le « un pour cent culturel » dans la loi. Vu la taille du pays, aller vers l’étranger est le seul moyen de s’assurer des perspectives d’avenir, mais tandis que le gouvernement exporte musique et films à travers certaines institutions, peu ou presque rien n’est fait pour les autres disciplines. « Car, au Luxembourg, tu as très vite fait le tour et si tu as été exposé dans presque toutes les galeries, les vendeurs ne reviennent pas », raconte-t-on.

Il reste donc que la réforme de Maggy Nagel ne semble toujours pas être du goût de tout le monde. Mais il reste encore un peu de temps : la commission culturelle qui a siégé le 14 octobre aurait dû se pencher sur les derniers avis de la Chambre de commerce et du Conseil d’Etat sur la loi, mais vu la pagaille qui règne actuellement avec les résiliations des conventions, ce point de l’ordre du jour n’a même pas été abordé.


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