Azerbaïdjan : Ilham Aliyev réélu sur fond de répression massive

Au pouvoir depuis 2003, Ilham Aliyev a été confortablement réélu le 7 février à la tête de l’Azerbaïdjan, à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes. Les semaines précédant l’élection ont vu l’arrestation de nombreux opposant-es, syndicalistes et journalistes. Fort de ce plébiscite et relativement peu critiqué par l’Europe, le président azerbaïdjanais devrait poursuivre sa politique répressive.

Ilham Aliyev, « leader victorieux d’un peuple victorieux » et soigneusement tenu sous contrôle par son régime autocratique. (Photo : EPA-EFE/Stringer)

92%, voici le score obtenu par le président sortant Ilham Aliyev lors de l’élection présidentielle du 7 février dernier. Sans la présence d’opposants crédibles, le scrutin n’avait guère d’enjeux. Les observateurs locaux et internationaux présents ont pourtant dénombré de nombreuses fraudes.

Peuplé de 10 millions d’habitant-es et situé dans la région du Sud-Caucase, l’Azerbaïdjan est dominé depuis trois décennies par le clan Aliyev qui a mis en place un régime marqué par la corruption et l’autoritarisme. Dans ce contexte, le scrutin présidentiel n’a suscité que peu d’intérêt dans la population : « Tous les candidats reproduisent la propagande du gouvernement, à quelques nuances près. C’est un théâtre que personne ne prend au sérieux », estime Bahruz Samadov, doctorant en sciences politiques à l’Université Charles de Prague.

Une grande partie de la population est avant tout préoccupée par des questions socio-économiques. Dans un pays riche en hydrocarbures, le salaire moyen mensuel tourne autour de 500 euros, d’après les statistiques officielles. « Les Azerbaïdjanais courent après le pain et tout le monde sait que l’élection est frauduleuse », affirme Mahammad Mirzali, blogueur et activiste réfugié en France depuis 2016.

Ilham Aliyev a succédé à son père Heydar en 2003. Le scrutin du 7 février a marqué sa cinquième élection et son meilleur score, mais aucune n’a été considérée comme libre et transparente par les organisations internationales. Le bilan du régime Aliyev en termes de droits humains est depuis longtemps exécrable. Entre 2003 et 2023, l’Azerbaïdjan est passé de la note 6 à 7 (la pire) dans l’index concernant les droits politiques et les libertés civiles, établi par l’ONG Freedom House, rejoignant au fond du classement des dictatures comme l’Iran, la Birmanie ou la Corée du Nord.

La seconde grande vague de répression

La répression politique n’est pas un phénomène récent mais elle s’est accentuée dans les mois précédant le scrutin. Entre avril et décembre 2023, le nombre de prisonniers politiques est passé de 182 à 253. « Les activistes parlent de seconde grande vague de répression, la première datant de 2014. Toutes les voix critiques ne sont pas réprimées mais toutes les formes organisées d’opposition le sont », analyse Cesare Figari Barberis (voir entretien ci-dessous), doctorant à l’IHEID de Genève et spécialiste du Caucase.

Depuis le mois de juillet dernier, plusieurs leaders de mouvements politiques d’opposition ont été arrêtés (groupe pro-démocratie D-18, Mouvement pour la Démocratie et la Prospérité, plateforme de l’opposition libérale III Respublika), mais aussi des syndicalistes et une dizaine de journalistes travaillant pour le site d’information Abzas et d’autres médias indépendants.

La confédération syndicale İşçi Masası (Le Bureau des travailleurs) est fortement affaiblie depuis l’arrestation de son président Afiaddin Mammadov et d’autres membres de sa direction en septembre dernier, lors d’une manifestation des livreurs à moto. Fondée en mars 2022 et principalement active dans le secteur des services, cette jeune organisation voulait incarner une alternative aux syndicats officiels alignés sur le gouvernement. « Le régime arrête nos leaders car il ne veut laisser aucun espace politique à d’autres acteurs, de peur que ces espaces grandissent et le menacent un jour », analyse la syndicaliste Nil Mammadrzayeva.

Tous encourent de lourdes peines de prison pour des motifs fallacieux. « Par le passé les autorités poursuivaient les activistes et les membres de la société civile pour des activités économiques illégales, maintenant c’est la contrebande de devises étrangères. L’intention reste la même, supprimer les dernières voix critiques présentes dans le pays », note Giorgi Gogia, directeur associé pour l’Europe et l’Asie Centrale de l’ONG Human Rights Watch.

Tentative d’assassinat en France

Cette large répression se déroule paradoxalement dans un contexte où le pouvoir d’Ilham Aliyev n’est que peu contesté dans le pays : l’opposition politique, divisée, peine à mobiliser et sa légitimité de leader a été renforcée par la capitulation de l’enclave arménienne du Nagorno-Karabagh en septembre dernier. Cette dernière avait échappé au contrôle de Bakou et était dirigée par son propre gouvernement pendant trois décennies, à la suite de la première guerre du Karabagh (1988-1994).

« Ilham Aliyev n’a plus aucune tolérance pour la société civile ou toute forme d’opposition », déclare Nil Mammadrzayeva qui pointe notamment l’impossibilité actuelle d’organiser une manifestation ou une grève, ce qui n’était pas le cas auparavant.

L’Azerbaïdjan s’attaque aussi de manière croissante aux activistes réfugiés en Europe comme le blogueur Mahammad Mirzali qui a fait l’objet de trois tentatives d’assassinat en France et vit désormais sous protection policière. « Je ne fais plus confiance à aucun pays européen. J’ai été agressé il y a 3 ans et neuf personnes ont été emprisonnées, mais aucune déclaration officielle n’a été faite sur l’incident et la diplomatie française reste silencieuse », confie-t-il.

Malgré les violations récurrentes des droits humains, comme la torture ou les neufs mois de blocus du Nagorno-Karabagh et l’expulsion de 100.000 Arménien-nes qui y vivaient, malgré une rhétorique anti-arménienne et anti-occidentale, Bakou ne fait l’objet d’aucune sanction. Le régime bénéficie même d’une certaine mansuétude de la part de nombreux dirigeants européens.

Les perspectives semblent sombres pour ceux qui tentent malgré tout de s’opposer à l’autocratique Ilham Aliyev. « Il n’existe pas de solution pour un changement. C’est important de ne pas être naïf. Alors que le régime est très agressif, les militants peuvent continuer à diffuser des idées, mais il est préférable d’arrêter les activités trop risquées pour ne pas aller en prison », conseille Bahruz Samadov. Le nouveau mandat d’Ilham Aliyev s’achèvera en 2031. Il aura alors 70 ans et des millions d’Azerbaïdjanais-es n’auront pas connu d’autre président que lui.

 

Europe et Azerbaïdjan : des relations troubles

Cesare Figari Barberis est doctorant à l’IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement) de Genève, ses recherches portent sur les situations post-conflits dans le Sud-Caucase. Il est l’auteur de plusieurs articles académiques dédiés à la répression des mouvements démocratiques en Azerbaïdjan.

woxx : Quelles sont vos principales observations concernant la campagne qui a précédé l’élection présidentielle ?

Cesare Figari Barberis : La campagne n’a pas été particulièrement riche en surprises. Tout le monde savait que le président sortant, Ilham Aliyev, l’emporterait. Les autres candidats n’étaient pas vraiment indépendants et les deux vrais partis d’opposition, Musavat et le Front populaire, ont boycotté cette élection, comme ils l’avaient fait lors des scrutins précédents. Aliyev a sans doute décidé d’organiser une élection anticipée – le scrutin était prévu en octobre 2025 – afin d’asseoir son pouvoir à la suite des guerres réussies du Karabakh en 2020 et 2023. D’ailleurs, l’un des principaux slogans de sa campagne était « Qalib Xalqin Qalib Lideri », ce qui signifie « Leader victorieux d’un peuple victorieux ».

Que pensez-vous de la position de l’UE vis-à-vis de l’Azerbaïdjan ?

L’UE a essentiellement légitimé la consolidation du pouvoir d’Aliyev. Suite à la diminution des importations de gaz russe résultant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’UE est devenue plus dépendante d’autres fournisseurs de gaz, y compris de l’Azerbaïdjan. En avril 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen s’est rendue à Bakou et a signé un mémorandum d’entente avec Aliyev. L’objectif de cette visite était de parvenir à un accord pour augmenter les importations de gaz azerbaïdjanais afin de compenser les importations de gaz russe. En effet, à court terme, l’Azerbaïdjan s’est engagé à exporter vers l’UE 2 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires, pour atteindre un total de 12 milliards de mètres cubes. À long terme, il s’est engagé à doubler ses exportations de gaz pour atteindre 20 milliards de mètres cubes.

Cette dépendance accrue explique-t-elle la position peu critique prise par l’UE ?

Le fait est que 12 milliards de mètres cubes de gaz ne représentent qu’environ 3 % de la consommation de gaz de l’UE et qu’il sera extrêmement difficile d’atteindre 20 milliards de mètres cubes. La guerre de septembre 2023, qui a conduit au nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh, a poussé le Parlement européen à adopter une résolution non contraignante condamnant l’Azerbaïdjan et appelant à des sanctions, mais la Commission européenne n’a adopté aucune sanction. Si vous me le permettez, je ne comprends pas très bien comment on peut diminuer les importations de gaz en provenance de Russie, car elle est autocratique et illibérale, tout en important du gaz en provenance de l’Azerbaïdjan, qui est tout aussi autocratique et illibéral. D’autant que cette collaboration renforcée ne s’est pas traduite par un pouvoir d’influence accru de l’UE sur l’Azerbaïdjan.

Quelles sont les stratégies utilisées par l’Azerbaïdjan pour obtenir des soutiens en Europe ?

L’Azerbaïdjan utilise essentiellement deux stratégies pour gagner le soutien de l’Europe, et pas seulement de l’UE. La première consiste à utiliser l’approvisionnement en énergie pour obtenir un certain effet de levier. La deuxième stratégie est ce que l’on appelle parfois la « diplomatie du caviar », qui consiste essentiellement à corrompre des politiciens ou des analystes occidentaux pour qu’ils minimisent le bilan de l’Azerbaïdjan en matière de droits humains (« caviar » parce que l’Azerbaïdjan exporte un excellent caviar, ndlr). L’Azerbaïdjan dispose d’un réseau important de lobbyistes occidentaux qui s’efforcent d’améliorer l’image du pays en Europe. Par exemple, en janvier 2021, un tribunal de Milan a condamné Luca Volontè, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à quatre ans de prison pour avoir accepté des pots-de-vin de l’Azerbaïdjan, afin d’étouffer les critiques sur le bilan de Bakou en matière de droits humains.


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