Commerce
 : Fairtrade ne connaît pas la crise

Le chiffre des ventes de produits Fairtrade au Luxembourg a progressé de 14 % en 2022. Malgré l’inflation, le public ne se détourne pas du commerce équitable, qui bénéficie aux productrices et producteurs du Sud. Ce succès s’explique notamment par une implication croissante des acteurs économiques luxembourgeois en faveur de ce mode d’échange.

Soixante euros : c’est en moyenne ce que chaque personne a dépensé dans le commerce équitable au Luxembourg l’an dernier, ont précisé Geneviève Krol et Jean-Louis Zeien, de Fairtrade Luxembourg. (Photo : Fairtrade Luxembourg)

Une bonne nouvelle dans un océan de mauvaises nouvelles : en 2022, le chiffre d’affaires généré par les ventes de tous les produits Fairtrade au Luxembourg a atteint 39 millions d’euros, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2021, a annoncé l’ONG Fairtrade Luxembourg, le 17 juillet. Chaque consommatrices et consommateurs a en moyenne dépensé 60 euros l’an dernier pour des produits labellisés commerce équitable, dont le premier objectif est de garantir des conditions de travail et des revenus décents aux productrices et aux producteurs d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes.

Cette hausse paraît d’autant plus surprenante que l’inflation atteint des niveaux sans précédent depuis 40 ans, poussant les ménages à rogner sur leurs budgets, à rechercher des produits moins chers, à se serrer la ceinture. Comme pour l’ensemble du marché, les produits Fairtrade ont augmenté en raison de l’inflation et cet effet prix explique en partie la hausse du chiffre d’affaires. Les productrices et producteurs de café, de cacao ou de bananes ont été « touchés de plein fouet par le renchérissement du coût des fertilisants et des transports et cela se répercute sur le prix de vente aux consommateurs », convient Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Luxembourg.

Mais cela n’explique pas tout car le volume des produits issus du commerce équitable est également en hausse : la quantité de cacao utilisée pour la fabrication de produits chocolatés a spectaculairement augmenté de 137 % par rapport à 2021, représentant 641 tonnes. La quantité de café a pour sa part crû de 11 % pour s’établir à 510 tonnes. Il en va de même pour les bananes, le riz et les jus de fruits. En revanche, les roses en provenance d’Afrique de l’Est ou le sucre ont accusé une baisse des volumes consommés. Fin 2022, le marché luxembourgeois comptait 4.615 références de produits Fairtrade, un chiffre en constante hausse pour répondre à une demande de plus en plus diversifiée.

Des parts de marché enviables

« Cela montre qu’un autre modèle économique, plus équitable, plus juste et plus durable pour les producteurs, est possible », se réjouit Jean-Louis Zeien. « Nous constatons que le Fairtrade devient de plus en plus mainstream », déclarait également, le 6 juin, Philippe Weiler, CEO de Fairtrade Belgium, lors de la présentation du bilan annuel des activités belges du label, qui ont vu leur chiffre d’affaires croître de 20 % l’an dernier. Le constat est identique en France ou encore au Royaume-Uni où deux tiers des personnes se disent prêtes à payer plus cher leurs achats s’ils sont labellisés Fairtrade. De fait, les articles et biens issus du commerce équitable perdent leur caractère de niche. Les bananes Fairtrade représentent aujourd’hui 29 % du marché total au Luxembourg et le café 13 %. La différence de prix est marginale, soutient le président de l’ONG : « Sur une tasse de café, ça représente un ou deux centimes de plus. »

Le phénomène n’est donc pas circonscrit au grand-duché et dénote, dans les pays du Nord, d’une prise de conscience accrue quant à la nécessité de promouvoir une agriculture paysanne appuyée sur des modes de productions plus respectueux des productrices et producteurs mais aussi de l’environnement et de la santé, pour ce qui est des produits disposant du double label Fairtrade et bio.

Le succès actuel doit beaucoup au travail inlassable menée par l’ONG auprès des institutions luxembourgeoises. Publics d’abord, avec 36 communes qui ont obtenu la certification Fairtrade Gemeng depuis 2011, en échange de leur engagement en faveur du commerce équitable. Il en va de même pour 28 écoles et lycées, « autant de multiplicateurs pour la promotion du label », aux yeux de Jean-Louis Zeien. L’ONG demande au gouvernement d’étendre l’achat de produits labellisés à l’ensemble des commandes publiques.

C’est cependant sur le terrain privé que les choses semblent s’être accélérées ces dernières années. Fairtrade Luxembourg, qui ne vend pas directement de produits, se fixe pour but de mettre en relation ses partenaires du Sud avec des entreprises luxembourgeoises. Parmi les exemples les plus parlants cités lors de la présentation du bilan annuel, lundi 17 juillet, figure la coopérative Luxlait qui a effectué une bascule totale pour ses laits chocolatés par l’usage exclusif de cacao Fairtrade dans leur fabrication. Des grandes surfaces ont fait de même en ne proposant plus que des labels Fairtrade pour certains articles. « Dans ce cas, c’est le consommateur qui n’a plus le choix, il est bien obligé de suivre », constate Jean-Louis Zeien. L’ONG peut ainsi agir sur deux leviers entre une partie du public qui exige du commerce équitable dans les enseignes où il fait ses achats et des entreprises qui entraînent leurs client-es vers la consommation de biens Fairtrade.

Un mariage à réussir

En parallèle aux entreprises les plus connues, il y a toute une armée de petites enseignes et épiceries engagées dans le même sens, parfois depuis de longue date. L’ONG s’efforce aussi de convertir des artisanes et des artisans : « Nous travaillons avec six torréfacteurs artisanaux qui pèsent aujourd’hui 40 % du marché de la torréfaction au Luxembourg », illustre le président de Fairtrade Luxembourg. « Ces initiatives sont portées par le développement du concept de « Fair and Local » qui se caractérise par l’association de matières premières certifiées de pays du Sud au savoir-faire luxembourgeois et à l’emploi de produits locaux. » Ce modèle est particulièrement apprécié par le public, assure Jean-Louis Zeien.

(Photo : Fairtrade Luxembourg)

La possibilité pour un-e artisan-e ou un-e commerçant-e de proposer des produits Fairtrade représente une plus-value vis-à-vis de ses client-es. De surcroît, les productrices et producteurs à l’autre bout de la planète en bénéficient par des prix d’achat garantis et supérieurs à ceux du reste du marché. Mais ces arguments ne sont pas toujours persuasifs. « Tout le monde se prononce contre l’exploitation des travailleurs en Afrique ou en Asie, mais cela reste malgré tout abstrait. » Aussi, pour convaincre les actrices et les acteurs luxembourgeois-es, l’ONG s’appuie sur une recette aussi simple qu’ancienne : « Nous créons des liens directs entre les producteurs dans le Sud et les entrepreneurs luxembourgeois. Nous faisons venir des producteurs d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine au Luxembourg pour qu’ils y rencontrent les entreprises. Parfois ce sont des chefs d’entreprises luxembourgeois qui se déplacent sur les lieux de production », raconte le président de l’ONG. Plus régulièrement, tout le monde communique par visio, parle affaire et fait plus étroitement connaissance. « Il faut insister sur cette plus-value humaine, il faut réussir ce mariage », conclut Jean-Louis Zeien.


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