Corona et grippe 3/3 : leçons à tirer

Les gouvernements ont d’abord hésité, puis agi dans la précipitation. C’est compréhensible, mais cela mérite un regard critique.

Virus H1N1.
(Wikimedia ; Manu5 ; CC BY-SA 4.0)

La grippe saisonnière est une épidémie sérieuse, mais la Covid-19 représente un défi sanitaire d’un autre ordre (voir : « Corona et grippe 2/3 : les vraies différences »). L’explication la plus directe des ravages que le coronavirus fait dans certains pays est que les expert-e-s, les autorités et les populations ont hésité trop longtemps à prendre au sérieux la maladie. C’est un reproche facile à faire après coup, mais en situation, selon les pays, on comprend les hésitations, notamment au niveau des autorités. Après tout, en 2009, de nombreux pays avaient acheté préventivement des vaccins contre le virus H1N1 (« grippe porcine ») – pour se voir critiqués ensuite d’avoir dépensé de l’argent inutilement, puisque l’épidémie s’est révélée moins dangereuse que prévu.

Le propre du principe de précaution est qu’il conduit à des mesures qui, parfois, seront considérées comme inutiles a posteriori. Concernant les politiques de confinement et de mobilisation du personnel médical, peu de voix s’élèvent pour les qualifier d’inutiles. Cependant, ces décisions ont été prises dans un climat de panique, et le bien-fondé de certains choix peut être mis en question, surtout avec le recul.

L’économie, ça compte aussi

La logique de d’abord se soucier de la santé et de mettre au second plan les considérations économiques, comme l’a énoncé Xavier Bettel lors des premières mesures, peut paraître sympathique. Mais elle ignore la gravité des conséquences économiques et sociales potentiellement dévastatrices (voir woxx 1572 : «  Geld oder Leben ? »). Certes, une vie humaine doit compter plus que les intérêts économiques, mais si l’économie dérape, c’est justement des existences humaines qui sont en jeu… sans parler des conséquences à moyen terme pour le financement du secteur de la santé.

Le danger d’une approche « santé plutôt qu’économie » est que les mesures contre l’épidémie ne sont pas analysées – et optimisées – en fonction de leur impact sur l’économie. Arrêter les chantiers alors que l’industrie et le commerce ont en partie continué à fonctionner, mettre au chômage une grande partie de la population sans proposer des formations continues, voilà des décisions sur lesquelles on peut s’interroger et qui seront peut-être mises en question dans les semaines qui viennent.

Les bonnes intentions des gouvernements

Passées au second plan aussi, les considérations concernant les droits fondamentaux. Il faut empêcher le rassemblement de personnes, donc le droit de manifester passe à la trappe. Il faut prendre des décisions rapidement, donc le contrôle parlementaire est suspendu. Clairement, dans certains pays, cela constitue une justification bienvenue pour une dérive autoritaire déjà en cours. Mais le problème ne se limite pas aux gouvernements malveillants. La suspension de droits fondamentaux, quand elle est bien intentionnée, comme on peut le supposer en Europe occidentale, n’en est pas moins dangereuse pour la culture démocratique au sein de nos sociétés.

La précipitation dans laquelle on a décidé des mesures a probablement aussi conduit à des erreurs d’appréciation au niveau du combat contre la Covid-19. Prenons la sous-estimation de l’importance des porteur-se-s sain-e-s : que l’on puisse être infecté sans conséquences sanitaires, cela ne collait pas avec le discours sur l’extrême dangerosité de l’épidémie.

Oubliés, le personnel soignant et le système de santé ?

Quant à l’importance de la protection du personnel soignant, qui a fini par s’imposer comme une priorité, elle a peut-être été négligée par rapport aux nombreuses autres « urgences », à défaut d’avoir pu mener une analyse scrupuleuse des dangers de la Covid-19. Plus généralement, on peut regretter qu’il n’y ait pas eu une meilleure préparation à ce type de maladie. Le fait qu’on banalise la grippe saisonnière, pourtant mortifère, n’est sans doute pas étranger à cette déficience. Face au constat qu’on a besoin d’importer de nombreux équipements de santé, la « démondialisation » peut apparaître comme une solution facile. Mais une « relocalisation » irréfléchie de tout et de n’importe quoi serait bien plus onéreuse que la mise en place de plans de crise sérieux.

Faut-il condamner en bloc les mesures prises ? Non, car « aplatir la courbe de l’infection » était indispensable, et le temps pressait. Tant mieux si, à la fin, devaient se dégager des taux de létalité inférieurs à ceux qu’on redoutait – cela sera dû précisément aux mesures prises. Mais pas seulement : aux États-Unis, par exemple, on semble observer une mortalité nettement plus élevée, sans doute due aux déficiences massives du système de santé très inégalitaire. Face à un développement fulgurant d’une maladie, ne pas parvenir à identifier, observer et soigner de manière adéquate les malades pèse très lourd.

Après la crise et pendant la crise

Voilà une leçon peu mise en avant de la crise du coronavirus : l’importance de disposer d’un système de santé performant pour l’ensemble de la population. Plus généralement, la protection sociale de la population et la capacité d’un gouvernement à intervenir économiquement constituent des atouts face à une crise sanitaire de ce type. Et, bien sûr, la collaboration suprarégionale et internationale.

Dans tous ces domaines, des lacunes sont apparues au sein des pays industrialisés. Cela justifie les inquiétudes qui subsistent dans ces pays face à une crise qui n’est pas encore terminée. Surtout, cela présage des effets bien plus catastrophiques dans les pays en développement, que la Covid-19 commence à affecter.


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