Avec l’introduction du socle européen des droits sociaux en 2017, les questions sociales ont gagné du terrain dans le débat européen. Mais ce texte est non contraignant pour les États membres, au contraire des questions budgétaires, explique Ludovic Voet, de la Confédération européenne des syndicats.
Lorsque Jean-Claude Juncker accède à la présidence de la Commission européenne en 2014, l’UE fait face à la tempête des dettes souveraines qui affectent plusieurs de ses États membres. Les institutions européennes infligent alors un cruel remède austéritaire à des pays comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal. Travailleur·euses et pensionné·es sont aux premières loges pour payer les pots cassés de la spéculation bancaire. Juncker juge alors qu’il faut donner une plus large place aux questions sociales dans les politiques européennes. En 2017, les pays de l’UE adoptent le socle européen des droits sociaux, un texte qui détermine un cadre et des objectifs sociaux. Il décline 20 principes répartis en trois chapitres : égalité des chances et accès au marché du travail, conditions de travail équitable, ainsi que protection et inclusion sociales. Mais sa portée reste largement symbolique, les États membres restant souverains sur la plupart des sujets. Ces principes ne sont pas contraignants, au contraire de la gouvernance économique, illustrée par le semestre européen, qui impose, souvent par l’austérité, des règles strictes en matière budgétaire.
Néanmoins, « depuis que le socle européen des droits sociaux a été adopté, il y a un appétit pour les initiatives sociales, ce qui ne veut pas dire qu’elles aboutissent forcément à des résultats concrets dans la vie des travailleurs, mais la question est plus présente », constate Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la Confédération européenne des syndicats (CES), au cours d’une conférence donnée à la Chambre des salariés (CSL), à Luxembourg, le 15 mai. « Il y a beaucoup de recommandations, alors que le bulldozer de la gouvernance économique créée des obligations pour tout le monde avec les conséquences néfastes que cela a eu, au cours de la dernière décennie, sur les services publics, la protection sociale et le droit du travail », poursuit le syndicaliste belge.
Sept ans après l’adoption du socle des droits sociaux, le résultat est mitigé, mais pas totalement négatif. Sous l’influence de la CES notamment, des directives qui s’imposent aux droits nationaux ont abouti à des améliorations. Et c’est un autre Luxembourgeois, le commissaire européen à l’Emploi, le socialiste Nicolas Schmit, qui les a en grande partie portées dans la commission sortante, présidée par la conservatrice Ursula von der Leyen. Il en va ainsi des directives sur le salaire minimum, sur la transparence des rémunérations ou, plus récemment, sur la régulation des conditions d’emploi pour les travailleur·euses des plateformes, dans un contexte général de précarisation du travail. L’extrême droite est antisociale
La pandémie et la crise inflationniste apparue dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine ont illustré la nécessité de conserver des États providence forts, tant pour la protection des populations que pour la sauvegarde de l’économie. Ce postulat vient d’être rappelé par la « déclaration de la Hulpe sur l’avenir de l’Europe sociale », signée par les Vingt-Sept, mi-avril. « Ce texte remet le social à l’agenda européen alors que le zeitgeist est plutôt aux débats sur la compétitivité, la limitation des déficits ou l’allègement des normes et des procédures », affirme Ludovic Voet. Mais, assurément, le texte ne va pas assez loin et ne paraît pas à même d’anticiper les crises à venir : « La déclaration ne parle pas du climat ni du numérique, comme si tout cela était déconnecté du social. Ces deux questions vont pourtant énormément impacter l’emploi dans les années à venir. » L’arrivée dans le monde du travail de l’intelligence artificielle en est une bonne illustration. Le représentant de la CES note, par exemple, que le green deal européen n’aborde pas du tout la question du travail. Et les arbitrages budgétaires ont tendance à opposer ces sujets les uns aux autres, sacrifiant par exemple la transition écologique à la faveur des questions sociales, ou vice-versa.
Si Ludovic Voet reconnaît qu’en matière sociale la Commission européenne sortante est allée plus loin que toutes celles qui l’ont précédée, il avertit cependant que nul ne sait de quoi l’avenir sera fait. La CES, qui représente 45 millions de travailleurs européens, a publié un manifeste listant 12 priorités à l’occasion des élections européennes, qui se dérouleront du 6 au 9 juin prochains. Si climat et numérique sont indéniablement liés à la question sociale, Ludovic Voet attire également l’attention sur le renforcement de la démocratie, qui permet aux travailleur·euses de se faire entendre. Il les exhorte à voter au scrutin européen en faveur de la défense de leurs droits, alors que les sondages projettent un renforcement de la droite et de l’extrême droite du Parlement européen. Et il procède à ce rappel : « L’extrême droite a voté contre toutes les directives sociales ces cinq dernières années, et quand elle arrive au pouvoir dans un pays, c’est aux syndicats qu’elle s’attaque en premier. »
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