État de la nation durable : Changer, oui mais…

Le changement d’orientation annoncé par le gouvernement est insuffisant. Mais il sera difficile de s’accorder sur une transition écologiquement efficace et socialement juste.

Changer sans tout changer… Le programme de rénovation énergétique du gouvernement n’est pas un programme de rénovation du système. (mea.gouvernement.lu)

« Covid-19 est aussi une chance », écrit le Mouvement écologique dans sa réaction au discours sur l’état de la nation de la semaine passée. Le discours du premier ministre était aussi une chance, mais une chance ratée aux yeux de l’ONG. Dans son communiqué, elle évoque entre autres la crise de la biodiversité et la nécessité de réformer la sécurité sociale comme exemples de questions fondamentales délaissées par Xavier Bettel. Surtout, le Mouvement déplore l’absence de visions d’avenir, dont les citoyen-ne-s ont besoin « afin de pouvoir affronter des crises telles que celle de la Covid-19, de l’environnement et du climat ». Mais quelles sont des visions d’avenir possibles, alors que se multiplient les revendications ?

Préservons le Luxembourg !

Si la plupart des réactions au discours du premier ministre ont été moins négatives que celle du Mouvement, c’est peut-être parce qu’il se référait bien à une vision d’avenir, fût-elle implicite et vague. Changer « notre manière de vivre et de produire », comme le réclame l’ONG, faisait bien partie du programme annoncé par Bettel (voir woxx 1602). Taxer le CO2, prioriser les infrastructures des transports en commun, rééquilibrer économie et ressources naturelles… Ce n’est pas rien, même si ce n’est pas le « changement fondamental » permettant de surmonter les crises écologiques tenu pour nécessaire par le Mouvement écologique. Et encore, l’ONG n’aborde que ponctuellement les questions de la justice sociale et des structures économiques, sur lesquelles d’autres voix envisagent des changements non moins radicaux. Bettel au contraire, comme son partenaire de coalition vert, est adepte de la croissance verte : celle-ci est supposée résoudre les crises écologiques, mais sans remettre en question le système économique et social actuel.

C’est donc un changement d’orientation modeste, mais bien réel qu’envisage le gouvernement. Jusqu’à récemment, le mainstream politique considérait que les nuisances écologiques étaient le prix à payer pour le maintien du développement économique – et des revenus – à un niveau élevé. Si la pollution de l’air ou la consommation d’eau par l’industrie ont atteint, durant les décennies passées, un niveau historiquement bas au Luxembourg, ce n’est pas dû à une prise de conscience écologique, mais à la désindustrialisation. Une désindustrialisation qui a permis de délocaliser une bonne partie des dégâts environnementaux liés à notre style de vie. Or, désormais, il y a un consensus au sein du monde politique luxembourgeois pour préserver les ressources naturelles nationales.

Une bonne nouvelle pour la petite population du grand-duché, mais insatisfaisante au vu du caractère global des crises écologiques. Un des symptômes de ce préservationnisme paradoxal est la critique de la fameuse empreinte écologique. En effet, celle-ci ne comptabilise pas les ressources consommées pour produire des produits d’exportation – et ne rend donc pas compte de l’impact local de l’implantation de nouvelles usines de yaourt ou de laine minérale. Le Conseil supérieur pour un développement durable avait souligné cet aspect lors de sa présentation de l’empreinte 2020, et Carole Dieschbourg l’a repris en répondant à une question parlementaire de Paul Galles.

Moins de PIB, moins de CO2

« La méthodologie de l’empreinte écologique ne donne qu’une image partielle des impacts de nos modes de vie sur la planète », écrit la ministre de l’Environnement. Elle a bien raison : le défaut de l’empreinte est de rendre visible l’impact caché sur le reste de la planète, alors que le nouveau consensus politique est basé sur la priorité accordée à la préservation de l’environnement local.

Cette préservation n’est pas en contradiction avec un développement industriel, a souligné Xavier Bettel. En effet, un projet comme celui de data center de Google bénéficie de l’appui officiel des trois partis de gouvernement, et d’autres « industries durables » restent les bienvenues… à commencer par « l’industrie des fonds d’investissement ». La politique économique mise sur une croissance « qualitative », mais l’idée de croissance en elle-même n’est pas remise en question.

Cela défie toute logique, estiment de nombreuses personnes engagées en faveur de l’environnement et du climat, alors que l’humanité devrait rapidement réduire ses émissions de CO2 pour éviter un réchauffement global catastrophique. Ces émissions vont baisser d’environ neuf pour cent en 2020 – à peu près ce qu’il faudrait, relève le magazine « Alternatives économiques » d’octobre. À cause de la crise de la Covid-19, bien entendu, qui a réduit les activités de production et de consommation, avec une baisse du PIB mondial de près de cinq pour cent. Et le magazine de renvoyer à l’équation de Kaya, liant les émissions de CO2 à l’efficacité technologique et au PIB par habitant-e. Les effets du progrès technique s’étant révélés limités, la question se pose : pour sauver le climat, faut-il réduire le PIB et donc rechercher la décroissance ? Ou, face au mot d’ordre de Bettel, « pas d’expérimentations » : changer un peu, mais sans tout changer, est-ce suffisant ?

Le social contre le climat ?

Les choses ne sont pas aussi simples. La leçon de la Covid-19 et des mesures ralentissant l’activité économique est double : oui, il est possible d’imposer des politiques conduisant à une baisse des émissions de CO2, et non, nous n’en maîtrisons pas les effets sociaux et politiques néfastes. En ce sens, Déi Lénk a bien raison, dans sa réaction au discours de Bettel, de reprocher au gouvernement de ne pas être « à la hauteur des enjeux de la crise économique et sociale qui se profile ». Le parti estime que « cette crise est l’occasion idéale pour se donner les outils fiscaux de chercher les recettes là où elles abondent, c’est-à-dire chez les grandes fortunes ». Déi Lénk est par contre moins chaud pour le projet de taxe carbone, « qui risque d’accroître les inégalités sans véritablement s’attaquer au problème du réchauffement climatique ».

Clairement, résoudre en parallèle les crises écologiques et la crise sociale sera un exercice d’équilibre difficile et politiquement dangereux. Le communiqué de l’OGBL sur l’état de la nation, qui relègue l’urgence climatique au bout d’une longue parenthèse de crises secondaires, n’est pas encourageant de ce point de vue. Ainsi, les compensations sociales pour la taxe carbone – modestes puisque la taxe sera modeste – sont qualifiées de « largement insuffisantes ». Pour le syndicat, il y a injustice fiscale à l’égard des locataires, des « petits revenus », mais aussi… des personnes au revenu annuel supérieur à 80.000 euros. Pas étonnant alors que l’OGBL se félicite que le gouvernement n’envisage pas d’autres augmentations fiscales, « qui mineraient le pouvoir d’achat » des revenus faibles et moyens.

On est loin de ce que beaucoup de théoricien-ne-s de la transition écologique estiment nécessaire, à savoir une nouvelle sobriété. Entre le mainstream et la collapsologie, entre les discours idylliques sur la croissance verte et les visions apocalyptiques d’un effondrement salutaire, c’est la seule option réaliste et optimiste qui nous reste. Réduire notre consommation pour réduire les émissions tout en vivant agréablement, c’est sans doute possible. À condition d’abandonner le PIB et le niveau de revenu comme indicateurs fétiches. Et de développer des activités économiques au service du bien commun, à financer par les budgets publics et donc… des augmentations fiscales.


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