État d’urgence : La tentation sécuritaire

Constitutionnaliser l’état d’urgence pour ne pas avoir à « muscler » le droit commun, c’est le choix que défendent les partis de la majorité. Mais l’État est-il vraiment à ce point désarmé face au terrorisme ?

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(Photo : Laetitiablabla / flickr)

Il en a pris pour son grade, lors d’une conférence-débat sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence à l’institut Max Planck luxembourgeois. Alex Bodry, chef de file socialiste au parlement et auteur de la proposition de réforme de l’article 32.4 de la Constitution actuellement discutée, était le seul représentant des partis de la majorité sur le podium. Il était aussi le seul à défendre son texte.

Entourée de juristes de tous bords – du constitutionnaliste Luc Heuschling au député Déi Lénk Serge Urbany, en passant par l’ancien procureur général Robert Biever, la doctorante en droit Véronique Bruck ou encore l’avocat Frank Wies -, la table ronde a été tout sauf une partie de plaisir pour Bodry. Si bien que, à la fin du débat, il a accordé qu’il fallait « revoir » le projet de réforme constitutionnelle.

Et pour cause : trop vague dans les termes, le projet est l’expression même d’une confiance démesurée en l’exécutif. Lors des quelques fois où l’article 32.4 actuellement en vigueur, prévoyant la possibilité de prendre des règlements grand-ducaux sans l’aval du parlement en cas de crise internationale, a été utilisé, il n’y aurait pas eu d’abus : voilà l’argumentation de Bodry.

Mais ces quelques exemples, qui se limitent à des règlements en matière économique et financière, peuvent-ils vraiment servir de garantie pour l’absence d’éventuels abus dans le cas de, disons, une attaque terroriste visant le Luxembourg ? Les nombreuses atteintes aux libertés fondamentales en France suite aux attentats de novembre en sont la preuve : l’exécutif, même social-démocrate, peut très bien perdre la tête et se laisser tenter par la solution sécuritaire. Sans parler de l’hypothèse selon laquelle un parti d’extrême droite arriverait au pouvoir et aurait à sa disposition un large arsenal de moyens répressifs.

D’autant qu’une constitutionnalisation de l’état d’urgence hisserait ce dernier au même rang que les articles de la Constitution sur les libertés fondamentales et les droits démocratiques. Validant par là le lent glissement de l’État de droit vers un État de sécurité – danger envers lequel a mis en garde le doyen de la faculté de droit, économie et finances de l’université du Luxembourg, Stefan Braum, dans un discours d’introduction remarquable.

« Il est encore temps de reprendre ses esprits et de changer d’avis »

Au-delà du principe même de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ce sont aussi les mots employés dans le projet de réforme constitutionnelle qui prêtent le flanc aux critiques. Ainsi, la notion d’« atteintes graves à l’ordre public », une des conditions pour le déclenchement de l’état d’urgence : une grève générale accompagnée d’émeutes pourrait-elle être interprétée comme une telle « atteinte grave » ?

La même chose vaut pour les « menaces réelles » affectant « les besoins essentiels de tout ou partie de la population », autre condition de déclenchement : un blocage des points névralgiques de l’économie tel que le vit la France ces derniers jours, est-ce une telle menace ?

Pour Bodry, constitutionnaliser l’état d’urgence sert avant tout à ne pas avoir à « muscler » le droit commun. Mais est-il vraiment nécessaire de choisir une des deux options ? L’État est-il à ce point désarmé ? Il existe toute une panoplie de plans d’actions en cas d’événement exceptionnel, de l’attaque terroriste à l’incident nucléaire. Et ni la police, ni le Srel ne sont connus pour manquer de personnel ou de moyens, alors que territoire à surveiller est, lui, assez restreint.

Les partis de la majorité auraient-ils tout simplement voulu agir sous le choc des attentats de novembre, face à une opinion publique anxieuse et à une opposition prête à sauter sur l’occasion pour leur reprocher leur laxisme ? C’est le constat qui s’impose, surtout après la faible prestation de Bodry à l’institut Max Planck. Mais il est encore temps de reprendre ses esprits et de changer d’avis.


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