Évasion fiscale : Déshonneur et malveillance

Au déshonneur de l’évasion fiscale, le Luxembourg a ajouté l’injustice et la malveillance à l’égard des lanceurs d’alerte du scandale LuxLeaks. Seuls les messagers ont fait face à la justice, objet de la vindicte d’un État soumis à de puissants intérêts privés.

Dans son arrêt, la CEDH pointe les « choix politiques opérés en matière de fiscalité des entreprises » par le Luxembourg. (Photo : Cédric Letsch/Unsplash)

Antoine Deltour, Raphaël Halet et le journaliste Édouard Perrin ont été les victimes expiatoires de la mauvaise réputation que le grand-duché s’inflige à lui-même par sa politique fiscale. L’arrêt rendu ce 14 février par la CEDH dans l’affaire Raphaël Halet contre le Luxembourg pointe ces « choix politiques opérés en matière de fiscalité des entreprises » et « leurs incidences en termes d’équité et de justice fiscale, à l’échelle européenne ».

Pour avoir révélé les rouages de cette machine à fabriquer inégalités et injustices sociales, les deux lanceurs d’alerte et le journaliste ont été renvoyés sur le banc des accusés. Ce n’était pas le bon procès, et tous trois ont fini par obtenir gain de cause sur la sincérité et la justesse de leur dénonciation. Mais il fallait bien, d’une façon ou d’une autre, qu’ils rendent compte de leur audace. Leur victoire devant les tribunaux est payée au prix de pénibles et interminables procédures, qui ont parfois fragilisé leur équilibre professionnel, personnel, familial et financier. Une fois la gigantesque entourloupe dévoilée, les autorités avaient battu leur coulpe. La pratique des rulings « n’est plus considérée comme éthique, défendable ou morale », disait, le 6 novembre 2014, Pierre Gramegna, alors ministre des Finances. Mais ce soudain accès de vertu n’avait pas incité les autorités à abandonner les poursuites contre les lanceurs d’alerte. Ils devaient servir d’exemple pour complaire à une place financière dont les valeurs cardinales reposent sur le secret et la dissimulation.

« Seuls les messagers ont payé, alors même qu’il y avait matière pour la justice à enquêter sur ce tour de passe-passe fiscal orchestré par PWC, l’administration et les multinationales. »

Seuls les messagers ont payé, alors même qu’il y avait matière pour la justice à enquêter sur ce tour de passe-passe fiscal orchestré par PWC, l’administration et les multinationales. On pense tout d’abord aux mœurs professionnelles peu orthodoxes de Marius Kohl. Le préposé, au nom devenu aussi illustre que son visage est resté inconnu, franchissait à tout va la ligne blanche de la légalité, jusqu’à confier directement une partie de ses tâches à PWC. Sa hiérarchie tout comme la justice en étaient informées. Elles ont laissé faire. Mais il n’était après tout qu’une petite main dans la construction du mécano fiscal.

Depuis la fin des années 1990, les gouvernements savaient qu’ils opéraient à la frontière de la légalité et assurément de la moralité. Les ministres des Finances Jean-Claude Juncker, puis Luc Frieden, ont laissé faire car leurs priorités allaient aux milieux d’affaires. Ce faisant, ils ont privé de considérables entrées fiscales aussi bien leurs voisins européens que leur propre pays.

Mais qu’importe, tout cela appartient au passé, nous rabâche la communication gouvernementale. Cela est vrai pour la pratique grossière des rulings. Mais sur le fond, l’actualité nous chante une tout autre musique : celle d’écarts de richesse s’accroissant à un rythme inédit, singulièrement depuis la covid ; celle de profits métamorphosés en dividendes records pour les actionnaires ; celle de milliardaires qui s’acquittent d’impôts ridicules dans des paradis fiscaux. Les stratégies d’évasion sont devenues plus sophistiquées, les sommes détournées plus importantes. Et le Luxembourg figure toujours sur la liste des « usual suspects » de ce hold-up mondial qui nourrit la frustration sociale et fait le lit de l’extrême droite. Et c’est encore du déshonneur et de la malveillance.


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