France : Un amour à jamais irremplaçable

Les émeutes qui ont éclaté en France après le meurtre du jeune Nahel par un policier éludent les questions soulevées par cette affaire : celles des violences policières et de l’impasse sociale dans laquelle sont maintenues les populations des quartiers populaires.

Photos : Gilles Kayser

Des infractions au code de la route qui coûtent cher : en 18 mois, 16 jeunes ont été abattus en France par des policiers pour un refus d’obtempérer. Bien souvent, leur seul tort a été d’habiter un quartier populaire et d’avoir la mauvaise couleur de peau. La mort de Nahel, 17 ans, jeune Français d’origine maghrébine, tué à Nanterre le 27 juin, a choqué et ému une grande partie du pays. L’auteur du tir a été mis en examen pour homicide volontaire et incarcéré. Mais dans les heures qui ont suivi les faits, la machine à salir et à haine s’est mise en branle, alimentée en premier lieu par l’empire médiatique d’extrême droite du milliardaire Vincent Bolloré.

Il s’agissait en somme d’inverser la charge, de faire porter à Nahel la responsabilité de sa propre mort en lui inventant par exemple un casier judiciaire chargé qu’il n’avait pas. Ce décès de trop a provoqué des émeutes aussi prévisibles qu’inéluctables dans tout l’Hexagone, dans les grandes agglomérations mais aussi dans de petites villes, où des dizaines de milliers de jeunes ont incendié, affronté les forces de l’ordre, pillé des magasins pendant cinq nuits et parfois en plein jour. Ce déchaînement a d’abord été autodestructeur, car il a en priorité ciblé les infrastructures déjà fragilisées des quartiers : écoles, médiathèques, centres sociaux, commerces. Un immense gâchis alimenté par la frustration et par la colère, qui est toujours l’expression d’une souffrance. Cela ne rend pas justice à Nahel, mais « c’est la seule façon de nous faire entendre », répètent des jeunes interrogé-es dans les médias français.

Ces événements ont été récupérés par la droite, l’extrême droite et les syndicats policiers pour stigmatiser les populations des cités et nourrir leur fantasme complotiste et raciste du « grand remplacement » migratoire. Ainsi a-t-on vu UNSA et Alliance, les deux principaux syndicats policiers, déclarer la « guerre » aux « nuisibles » dans un communiqué qui menace le pouvoir exécutif de représailles s’ils n’obtiennent pas carte blanche pour réprimer les émeutes à leur guise. Tétanisé face à un appareil policier dont il a fait un instrument important de sa gouvernance, le pouvoir n’a rien trouvé à redire à ce chantage. Le président de LR, Éric Ciotti, multiplie quant à lui les outrances pour tenter de doubler sur leur droite Zemmour et Le Pen, réclamant notamment la déchéance de nationalité pour les émeutiers-ères possédant la double nationalité.

Dans les heures qui ont suivi les faits, la machine à salir et à haine s’est mise en branle, alimentée en premier lieu par l’empire médiatique d’extrême droite du milliardaire Vincent Bolloré.

Repeints en « hordes sauvages » et en « barbares », ces jeunes seraient, à entendre droite, extrême droite et aussi certains macronistes, en dehors de la République. Face à cette rhétorique déjà bien rodée, la gauche a exhumé un discours de Jacques Chirac. En 2005, à l’issue de trois semaines d’émeutes qui avaient secoué le pays suite à la mort de deux ados qui fuyaient la police à Clichy-sous-Bois, l’ancien président avait rappelé que les jeunes des banlieues sont toutes et tous des « enfants de la République ». Dix-huit ans plus tard, le paradigme est inversé et les jeunes des banlieues se trouvent désormais exclu-es de la communauté nationale, placé-es « hors champ républicain » par une partie du champ politique et médiatique. Mais depuis 2005, rien n’a été entrepris pour améliorer la situation : les rapports à la police se sont encore durcis et les populations des cités, vulnérables et précarisées, sont maintenues dans une impasse sociale grandissante.

Les émeutes et leur récupération politique ont fait passer au second plan la mort de Nahel et la légitime émotion qu’elle a suscitée. Il conduisait certes sans permis et avait déjà fait l’objet d’une mesure éducative pour un refus d’obtempérer. Mais on ne peut réduire sa vie à ces seules entorses à la loi. Nahel et tous les jeunes tués dans les mêmes circonstances étaient plus que cela. Ses proches décrivent un ado un peu nounours, aimable et toujours prêt à rendre service, passionné de rugby à XIII. « Il me disait ‘je t’aime’ chaque matin et chaque soir », raconte sa maman Mounia dont c’était l’enfant unique, qu’elle avait élevé seule. Les vitrines brisées seront remplacées. Cet amour ne le sera jamais.


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