L-Mums : Entraide et activisme

En mai 2022, le centre LGBTIQ Cigale a fondé le groupe L-Mums, qui s’adresse aux femmes lesbiennes ayant ou désirant avoir un enfant. Le woxx s’est entretenu avec sa coordinatrice, Laurie Carrette.

« J’ai refusé de sortir du Bierger-Center avant qu’on m’ait accordé la possibilité de déclarer mon enfant », nous raconte Laurie Carrette (g) lors de l’interview. (Photos : Gilles Kayser)

woxx : Est-ce que c’était clair pour vous et votre femme dès le début de votre relation que vous voudriez un jour avoir un enfant ensemble ?


Laurie Carrette : Oui, absolument. On a commencé à en parler assez rapidement après qu’on s’est rencontrées. Juste pour donner le contexte : mon épouse Mélanie et moi étions toutes les deux basées au Royaume-Uni, mais on a toujours eu envie d’aller vivre ailleurs. Notre projet d’enfant et l’insémination se sont déroulés au Royaume-Uni en 2020. Quand on est arrivées au Luxembourg, mon épouse était enceinte de quatre mois et demi et le bébé est né au Luxembourg.

Est-ce que cela vous gêne de ne pas avoir de lien biologique avec votre enfant ?


Pas du tout. Le lien biologique ne présume pas d’être parent et encore moins d’être un bon parent. Donc, pour moi, le fait de ne pas avoir de lien biologique avec mon enfant ne change rien à mon engagement, à ma responsabilité et à l’amour que je lui apporte. En revanche, ce qui a été beaucoup plus compliqué, c’était de savoir que, aux yeux de la loi, et en particulier de la loi luxembourgeoise, je n’étais pas reconnue comme son parent dès sa naissance. Au Luxembourg, dans un couple de femmes, la mère non porteuse est obligée d’adopter son enfant. Adopter mon propre enfant n’a jamais été quelque chose que je voulais. Notre fils existe parce qu’on l’a voulu toutes les deux, parce qu’on a fait le projet ensemble. La PMA n’est pas du tout comme une conception spontanée : on doit faire appel à des hôpitaux, on a besoin d’avoir un timing très réglé, c’est très invasif, c’est très lourd pour le couple. Devoir adopter mon enfant après tous ces efforts, pour moi, c’était une idée très compliquée.

De plus, il y a un délai de carence avant de pouvoir adopter son enfant.


Il faut attendre au minimum trois mois pour pouvoir commencer la procédure d’adoption, oui. En tout, cela peut prendre six, sept mois, voire plus en cas de difficultés. Vous pouvez imaginer tout ce qui peut se passer pour un couple : il peut se séparer, la mère porteuse peut décéder. C’est un vrai stress et un vrai risque pour la famille. Ça peut se passer bien, mais ça peut aussi se passer très mal. Par ailleurs, ce délai de carence pose un problème quand il s’agit de déclarer son enfant à la mairie. À des couples comme nous, pour que la mère non porteuse puisse déclarer la naissance de l’enfant, les services de l’état civil demandent que la clinique écrive une note confirmant que, effectivement, la mère qui n’a pas donné naissance à l’enfant était bien là pendant la naissance. Évidemment, ce n’est pas le cas pour les hommes déclarant leur enfant. Il n’est même pas nécessaire d’être le père biologique, on ne leur demande rien du tout. Et par ailleurs, ils apparaissent comme parent sur l’acte de naissance, alors que la mère qui n’a pas porté l’enfant apparaît alors comme simple déclarant. Tout cela, en fait, je ne le savais pas quand je suis allée au Bierger-Center trois jours après la naissance de notre fils. Je n’avais pas de note de la clinique sur moi et on m’a dit que je n’étais pas éligible à le déclarer. J’ai refusé de sortir du Bierger-Center avant qu’on m’ait accordé la possibilité de déclarer mon enfant. Avec succès.

« Ce qui manque souvent, c’est une vision réaliste de ce qu’est le quotidien des gens à qui ces lois vont s’appliquer. »

Une autre loi discriminante au Luxembourg : le congé de paternité de dix jours n’est accordé à l’autre parent de naissance que s’il s’agit d’un homme. Est-ce que votre employeur vous l’a quand même accordé ?


J’ai la chance et le luxe de travailler pour les institutions européennes. L’avantage d’un tel contexte, c’est que ces institutions reconnaissent le principe de non-discrimination. Donc, en fait, j’ai été traitée comme un papa, avant même l’établissement d’un lien juridique. Mais je connais des couples qui ont mené un vrai combat pour obtenir ce congé. Comme la loi luxembourgeoise ne le prévoit pas, les entreprises privées doivent prendre le relais et décider si elles veulent l’accorder ou pas, si oui ou non elles veulent le financer.

Depuis un an environ, vous et votre femme faites partie du groupe L-Mums, fondé par le centre LGBTIQ Cigale. Pourriez-vous décrire les activités de ce groupe ainsi que votre rôle en tant que coordinatrice ?


Lorsqu’on a emménagé au Luxembourg en 2021, mon épouse s’était renseignée sur l’existence d’autres mamans comme nous, ou de groupes qui comprendraient des parents comme nous, des parents de familles LGBTIQ+. Nous avons finalement fait connaissance avec l’équipe du Cigale, qui nous a indiqué son souhait de mettre en place un tel groupe. Au début, il y avait sept couples intéressés que Cigale a mis en relation. Après quelques réunions, c’est moi qui ai ensuite pris le relais, parce que je suis très intéressée par ces sujets et que j’ai une formation d’avocate. Le groupe, qui se voulait initialement un groupe de rencontre, est très vite devenu également un groupe de travail sur la législation en matière de filiation. En fait, on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de problèmes juridiques en commun. La maman qui n’a pas porté l’enfant avait dans chacun des couples des difficultés pour se voir reconnaître le statut de parent. Je me suis dit que j’avais vraiment envie d’aider autant que possible les différents couples.

C’est bien sept couples qui font actuellement partie de L-Mums ? 


On a commencé avec sept couples en mai 2022. Un an après, on est à 14 couples. Dans le groupe, chacune fournit l’investissement et le temps qu’elle désire, et s’il y a quoi que ce soit, elles savent qu’on est là pour s’écouter les unes les autres et s’entraider. J’essaie de faire connaissance avec tous les nouveaux membres personnellement, à mesure que le groupe grandit ; si un couple prend contact avec le groupe à cause d’un certain problème, je peux ainsi le mettre en relation avec des gens qui ont le même problème, car je connais les différentes problématiques. Pour vous donner un exemple : on avait un couple dont le pays d’origine, de l’Union européenne, permet une reconnaissance automatique des deux mères à la naissance. Elles pensaient donc, en habitant ici, devoir aller accoucher dans leur pays d’origine pour pouvoir être sous le régime de celui-ci, pour que la mère non porteuse soit reconnue parent à la naissance de l’enfant. Un autre couple du groupe dont le pays d’origine, hors Union européenne, permet également cette reconnaissance automatique, a accouché au Luxembourg et a réussi à obtenir la parentalité pour la deuxième maman, sans devoir aller accoucher dans son pays d’origine. En les mettant en contact et en discutant ensemble, cela a permis à l’autre couple d’accoucher au Luxembourg et de ne pas devoir organiser toute la logistique de l’accouchement dans son pays d’origine. Cet échange d’informations leur a simplifié la vie, donc c’est ça aussi la force du groupe.

Photo : Gilles Kayser

Pourriez-vous donner d’autres exemples de problématiques discutées au sein de L-Mums ?


Ce qui est intéressant avec le groupe, c’est qu’on s’entraide dès le début du projet parental. Il y a des personnes qui n’ont pas encore d’enfants, qui envisagent le projet d’enfants. Et déjà à ce stade les femmes lesbiennes se posent beaucoup de questions. Peut-on faire une procédure de procréation médicalement assistée au Luxembourg ou doit-on aller en Belgique, en Espagne ou ailleurs ? La procédure et les traitements seront-ils remboursés par la caisse de maladie ? Comment et où choisir le donneur de sperme ? Sur ces questions-là, on a beaucoup d’échange d’informations. Une autre problématique centrale concerne la nationalité : si la maman qui n’a pas porté veut adopter son enfant, mais que la législation de son pays d’origine ne le permet pas, l’adoption ne sera pas possible et elle ne pourra jamais se voir reconnaître les droits parentaux. C’est un énorme problème pour toutes les personnes dont le pays d’origine ne permet pas la reconnaissance des droits des personnes LGBTIQ+. La seule exception est à travers la double nationalité. Mais pour la recevoir, il faut déjà avoir passé au moins cinq ans dans le pays et bien parler le luxembourgeois. Donc ce n’est pas une solution pour beaucoup de gens.

Avez-vous déjà adressé des revendications aux responsables politiques ?


Effectivement, on est allées s’adresser directement au ministère de la Justice pour la question de la filiation, au ministère de la Santé pour les questions bioéthiques autour de la PMA et bientôt nous nous adresserons au ministère compétent en matière de droits sociaux. Ça, c’est une première chose : aller à la source où les lois sont créées. Après, une deuxième possibilité, c’est de formuler un avis sur le projet de loi via la consultation publique qui est ouverte à tous. Et puis, avec les élections qui arrivent bientôt, on va aller s’adresser aux candidat-es et leur demander ce qu’ils et elles proposent sur ces sujets-là.

Est-ce que vous avez déjà formulé un avis par rapport à la réforme de la loi sur la filiation ?


On a été consultées sur le projet de loi, mais nous n’avons pas encore formulé d’avis, non. Le projet de loi initial contenait de bons éléments, mais ne prenait pas toujours en compte le vécu des concernées. Nous avons pu contribuer en apportant des éléments concrets basés sur des situations existantes. Par exemple, si le projet de loi permet dès la naissance que les deux parents soient sur l’acte de naissance, cela peut créer un énorme problème pour les gens qui ne sont pas de nationalité luxembourgeoise et qui doivent envoyer le certificat de naissance de leur enfant dans leur pays d’origine pour obtenir des papiers d’identité pour l’enfant. Si vous pensez par exemple à des personnes dont le pays d’origine ne reconnaît pas le droit des personnes LGTBIQ+ : est-ce qu’on aura la certitude que ce pays acceptera d’octroyer des papiers d’identité à un enfant dont deux mamans apparaissent sur l’acte de naissance ? Il s’agit d’un problème extrêmement pratico-pratique que le législateur n’avait pas du tout envisagé. Comment concevoir un régime suffisamment souple pour ne pas créer ce genre de difficultés à ces couples ? Ce qui manque souvent, c’est une vision réaliste de ce qu’est le quotidien des gens à qui ces lois vont s’appliquer.

Quelle pourrait être une solution pour le problème que vous venez de mentionner ?


Le service de l’état civil pourrait fournir un extrait d’acte de naissance qui ne ferait apparaître qu’un seul des parents, la mère biologique, ou bien on pourrait envisager un délai de carence pour faire apparaître les deux parents sur le certificat. Il y a certainement des possibilités, mais il revient au législateur de décider quelle est la meilleure solution pour les enfants nés au Luxembourg.

Est-ce que vous faites de la publicité pour le groupe ?


Jusqu’à maintenant, on s’est surtout fait connaître via le bouche-à-oreille. Mais on est en train de mettre en place une page dédiée sur le site du Cigale. Notre groupe reste indépendant tant dans son fonctionnement que dans ses revendications, mais c’est quand même une émanation du Cigale.


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