Vivement critiquée par le monde associatif, l’action du gouvernement français marque une nouvelle étape dans le durcissement de la politique d’asile et de migration.
Défendre l’action des forces de l’ordre tout en mettant en garde ces mêmes forces de l’ordre, c’était le pari d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Calais, le 16 janvier dernier. Pari raté.
« Dans la République, les fonctionnaires appliquent les mesures du gouvernement. Que ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent au gouvernement, et non pas aux fonctionnaires », avait-il lancé en direction des associations de défense des droits humains qui, depuis des mois, critiquent les agissements de la police envers les exilé-e-s à Calais.
Tourné vers les policiers et policières, il a martelé : « Vous devez être exemplaires. Des policiers qui exécutent des violences physiques, qui confisquent des effets personnels, qui utilisent des gaz lacrymogènes sur des points d’eau au moment des distributions alimentaires… Si cela est fait, alors ça sera sanctionné. »
Ce qu’ont retenu les associations – ainsi qu’une bonne partie des médias –, c’est surtout l’attitude du président de la République envers ceux et celles qui, depuis des années, sont au garde-à-vous pour remplir le vide laissé par l’État dans ce territoire perdu qu’est désormais Calais. Ceux et celles qui, bénévolement la plupart du temps, aident ces centaines de migrant-e-s coincé-e-s dans la ville portuaire – et ailleurs –, désireux de quitter une France qui ne veut ni les accueillir ni les laisser partir pour une Angleterre qui ne veut surtout pas d’eux.
« Que ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent au gouvernement, et non pas aux fonctionnaires »
« Je ne laisserai personne caricaturer votre travail », a rassuré Macron à l’adresse des forces de l’ordre. « Les approximations sur votre action à Calais, parfois les mensonges, souvent les manipulations, ne visent au final qu’un seul but, mettre à mal la politique mise en œuvre par le gouvernement. » Avant de s’attaquer frontalement à une partie des bénévoles : « Lorsque des associations encouragent des femmes et des hommes à rester là, à s’installer dans l’illégalité, voire à passer clandestinement de l’autre côté de la frontière, elles prennent une responsabilité immense. Jamais l’État ne sera à leur côté. »
Les propos de Macron font suite à une polémique qui avait éclaté quelques jours avant sa visite à Calais. L’écrivain et chroniqueur Yann Moix, qui tourne un documentaire sur la situation dans la région pour Arte, s’était fait l’écho des critiques des associations qui aident les exilé-e-s.
Dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2, il s’en était pris au porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Expliquant qu’il passait régulièrement du temps à Calais depuis quelques mois, Moix avait notamment dit : « Ce que je vois de l’honneur de la République, ce sont des CRS qui gazent les couvertures de jeunes de 18 à 25 ans, qui gazent l’eau potable de jeunes migrants, qui tabassent des jeunes migrants qui sont effectivement soignés gratuitement, mais parce qu’ils ont été frappés par la police la veille. »
Encore pendant l’émission, la préfecture du Pas-de-Calais avait démenti les informations de l’écrivain en direct sur Twitter : « Aucun des faits évoqués n’a fait l’objet de signalements aux services de l’État et de la justice. » Dans l’émission, Moix disait disposer d’images tournées par ses soins prouvant ses propos.
Des associations œuvrant sur le terrain portent ces mêmes accusations depuis des mois. La veille de la visite du président de la République à Calais, le Secours catholique et L’auberge des migrants, deux associations présentes dans la région, avaient porté plainte contre X pour « destruction et dégradation » de biens leur appartenant, notamment des sacs de couchage et des bâches distribuées aux exilé-e-s. Des biens pourtant essentiels à la survie, surtout en hiver, et confisqués et détruits par les forces de l’ordre, selon ces associations.
« En matière d’immigration et de droit d’asile, Macron va plus loin que la droite »
D’ailleurs, L’auberge des migrants et une autre association, Utopia 56, avaient refusé de rencontrer le président lors de sa visite, qualifiant un dialogue avec lui d’« inutile ». « Le président de la République est porteur, avec le gouvernement et la majorité parlementaire, de la politique d’ensemble concernant les migrations. Nous désapprouvons ces politiques, qui ont créé la situation calaisienne, et qui l’aggraveront. (…) Rien n’indique que la France veuille renégocier les accords du Touquet, tout au contraire. Par ailleurs, la concertation sur le futur projet de loi migrations est terminée. Alors même que le gouvernement n’a pas écouté les grandes organisations humanitaires, ni sur leurs critiques, ni sur leurs propositions, pourquoi le président tiendrait-il compte des mêmes critiques et propositions des associations locales ? »
Au-delà des agissements de forces de l’ordre à Calais, c’est toute la politique migratoire du gouvernement d’Édouard Philippe qui suscite la polémique. « Même Nicolas Sarkozy n’avait pas osé », avait déclaré, au sujet de cette politique migratoire, le malchanceux candidat à la présidentielle Benoît Hamon. Le très à droite Christian Estrosi, maire de Nice et figure de proue des Républicains, lui avait donné raison : « En matière d’immigration et de droit d’asile, Macron va plus loin que la droite ».
En cause, notamment, la « circulaire Collomb » du 12 décembre dernier, du nom du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, censée faciliter le recensement des personnes dans les centres d’hébergement d’urgence. Macron ayant promis qu’il n’y aurait « plus personne dans la rue » fin 2017 – promesse non tenue –, cette circulaire devait servir à « désengorger » ces centres d’hébergement. Pour cela, des « équipes mobiles » devaient être envoyées dans ces centres afin d’y recenser les « étrangers en situation irrégulière », selon l’exécutif pour les rediriger vers d’autres structures plus appropriées à leur situation.
Une mesure insoutenable pour 27 associations œuvrant au quotidien avec et pour des migrant-e-s, qui y voient une atteinte au principe d’« inconditionnalité » de l’hébergement d’urgence. Craignant que le recensement empêche des personnes en situation irrégulière de se présenter dans des centres d’hébergement par peur d’être arrêtées et expulsées, une dizaine d’associations – soutenues par bon nombre de politicien-ne-s de gauche, et ce jusque dans la majorité – ont contesté en justice la circulaire en question.
En cause, aussi, le « projet de loi migrations », attendu au Conseil des ministres pour février. Alors qu’Emmanuel Macron avait promis, en septembre dernier, une « refondation complète de notre politique d’asile et de migration », le projet de loi, qui a déjà été présenté aux associations, suscite une vive polémique.
« On ne vous demande pas tant d’être courageux, que de cesser d’être lâche »
Diminution du temps disponible pour déposer un dossier de demande d’asile – mesure instaurant, selon « Le Monde », une « véritable course contre la montre pour le demandeur d’asile » – ; réduction du délai de recours ; dédoublement de la durée maximale de la rétention administrative de 45 à 90 jours et à 115 jours dans des cas exceptionnels ; renforcement des « pouvoirs d’investigation » des forces de l’ordre et augmentation de 16 à 24 heures de la rétention pour « vérification du droit au séjour » – le texte durcirait considérablement les conditions d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile.
Si les associations ont réussi à faire reculer le gouvernement sur certains points, notamment sur une liste de « pays tiers sûrs » justifiant l’expulsion de demandeurs et demandeuses d’asile vers des pays d’origine hors d’Europe sans examen de leur dossier, le projet de loi n’en demeure pas moins contesté.
« Détermination, efficacité et humanité », voilà le mot d’ordre affiché d’Emmanuel Macron en termes de migration et d’asile. Un mot d’ordre qui rappelle étrangement le « fermeté et humanité » du très droitier ancien ministre de l’Intérieur (de 1986 à 1988, puis de 1993 à 1995) Charles Pasqua. Un mot d’ordre, qui, avec des variations, revient depuis ces fameuses « années Pasqua », à gauche comme à droite.
Un mot d’ordre, aussi, qui, du moins pour la partie « humanité », ne représente pas la réalité du terrain aux yeux de beaucoup. Notamment de Yann Moix, qui a provoqué une polémique avec ses sorties sur les agissements des forces de police à Calais. Et qui a répondu au discours calaisien du président de la République avec une lettre ouverte publiée dans « Libération » : « Soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres précis, et vous êtes impardonnable ; soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres imprécis, et vous êtes incompétent. Ou bien les directives sont données par vous, et vous nous trahissez ; ou bien les directives sont données par d’autres, et l’on vous trahit. »
Réitérant ses propos sur les faits dénoncés – « les fonctionnaires de la République française frappent, gazent, caillassent, briment, humilient des adolescents, des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la détresse » –, il reproche à Macron d’avoir installé, à Calais, un « protocole de la bavure ».
« Faites, Monsieur le Président, avant que l’avenir n’ait honte de vous, ce qui est en votre pouvoir pour que plus un seul de ces jeunes qui ne possèdent rien d’autre que leur vie ne soit jamais plus violenté par la République sur le sol de la nation. Mettez un terme à l’ignominie. La décision est difficile à prendre ? On ne vous demande pas tant d’être courageux, que de cesser d’être lâche. »
Das könnte Sie auch interessieren:
- Am Bistro mat der woxx #311 – Wat geschitt mam Chômage vu franséische Frontalieren?
- Élections législatives en France : La gauche se fera-t-elle voler sa victoire ?
- Face à l’extrême droite : « Nous voulons une France joyeuse »
- Loi immigration en France : Macron ouvre un boulevard pavé d’or à Le Pen
- Après le 1er-Mai : Macron : un dangereux déni de réalité