Après le 1er-Mai : Macron : un dangereux déni 
de réalité

Emmanuel Macron parie sur l’épuisement du mouvement social contre la réforme des retraites. La mobilisation historique lors des défilés du 1er-Mai démontre qu’il n’en est rien. Par son rejet de la démocratie sociale et parlementaire, le président enfonce le pays dans une impasse politique et nourrit la montée des tensions.

Casserolade face à la préfecture de Metz lors de la venue du ministre de la Santé, le 28 avril. (Photo : Fabien Grasser)

Les sourires sont à la hauteur de la mobilisation : ce lundi 1er mai, les responsables locaux de la CGT ne boudent pas leur plaisir à l’issue d’un défilé qui a, selon eux, rassemblé quelque 10.000 personnes dans les rues Metz (7.000 selon la police). Il faut dire que ces dernières années, en l’absence d’autres syndicats, ils faisaient un peu figure de « derniers des Mohicans » en rassemblant quelques poignées de militants dans un coin de la place de la République, pour y célébrer la journée internationale des travailleurs. Cette année, la place est pleine : l’appel de l’intersyndicale à manifester massivement a porté ses fruits. En Lorraine comme ailleurs en France, dans les grandes et petites villes. Quelque 2,3 millions de personnes ont manifesté dans le pays, avance la CGT, tandis que le ministère de l’Intérieur n’en comptabilise que 782.000. Quoi qu’il en soit, c’est jusqu’à dix fois plus qu’en 2022.

Cette mobilisation, historique par son ampleur depuis des décennies, est un désaveu cinglant pour le président qui a unilatéralement décrété, le 17 avril, la fin de la séquence retraite et se donne « 100 jours » pour relancer son quinquennat et « apaiser » sa relation avec les Français-es. Sauf que l’apaisement ne se décrète pas et se gagne encore moins en multipliant quotidiennement les provocations. Quand le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, affirme que ceux qui manifestent « ne sont a priori pas les Français qui travaillent », cela n’apaise pas. Idem quand le député Renaissance Patrick Vignal se déclare « prêt à faire la guerre » au mouvement social ou quand Emmanuel Macron dit que « ce ne sont pas les casseroles qui font avancer la France ».

Chaque jour apporte son lot de bravades, renforçant chez la population le sentiment d’être traitée avec toujours plus de mépris et d’arrogance par un pouvoir dont la réforme des retraites est rejetée par une écrasante majorité de l’opinion. « Nous vivons une véritable allergie au peuple : une démophobie », juge le philosophe Marc Crépon dans un entretien à Mediapart, où il met en garde contre le glissement autoritaire, sinon dictatorial, de Macron. Soutien de la première heure du président en 2017, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon pense désormais que « nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien, la crise démocratique la plus grave que la France ait connue ».

En cause, la déconnexion d’Emmanuel Macron avec le quotidien et la volonté des Français-es, mais aussi − encore et toujours − les violences policières. Ce 1er mai, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé le maintien de l’ordre mis en œuvre lors des manifestations. Le Luxembourg y a joint sa voix à d’autres démocraties occidentales pour demander à la France de revoir sa doctrine en la matière. Tout comme avec le mouvement social, la macronie fait la sourde oreille face à ces accusations, se barricadant dans le déni et des vérités alternatives.

Sur le plan international, Emmanuel Macron est aussi désavoué par les marchés financiers qu’il entendait pourtant amadouer avec sa réforme. Dans son évaluation de la solvabilité de l’État, l’agence de notation Fitch a abaissé la note de la France à AA-, le 28 avril, attirant l’attention sur les risques que font peser sur l’avenir budgétaire du pays « l’impasse politique et les mouvements sociaux parfois violents ». L’agence prédit aussi que la réforme n’aura pas d’impact significatif sur la réduction de la dette. Ce que disent depuis des mois syndicats et oppositions de gauche, qualifiés d’extrémistes et de stalinistes par les macronistes.

Face à la colère grandissante, le gouvernement multiplie les effets d’annonce sans convaincre personne. La première ministre veut aussi inviter les syndicats à discuter d’une future grande loi travail, appelant à un « dialogue constructif » après leur avoir fermé la porte pendant de longs mois. Les syndicats répondront à l’invitation d’Elisabeth Borne, ne serait-ce que pour réitérer leur demande de retrait de la réforme. « Si c’est pour nous inviter et nous dire ce que vous allez faire, ce n’est pas la peine », lui a lancé le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. À la tête du premier syndicat du pays, il a précisé qu’il travaillera à une réponse et des propositions communes avec l’intersyndicale.

« On nous annonçait un baroud d’honneur pour ce 1er mai et c’est finalement un tremplin pour remobiliser le mouvement », se réjouit Dimitri Norsa, secrétaire général de la CGT Moselle. « L’intersyndicale n’a pas d’autre choix que de rester uni et de poursuivre », ajoute-t-il. Le message a été reçu dès le lendemain par les dirigeants des huit principales organisations de salarié-es du pays : une nouvelle journée de manifestation est programmée le 6 juin.

Photo : Jacques Paquier/Wiki Commons

La date ne doit rien au hasard, puisque deux jours plus tard l’Assemblée nationale se prononcera sur une loi d’abrogation de l’article qui fixe à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite, contre 62 actuellement. Ce texte s’insère dans la niche parlementaire du petit groupe centriste LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), qui avait déjà déposé la motion de censure ayant contraint le gouvernement à dégainer l’article 49.3 de la Constitution pour imposer sa réforme sans vote. Étiqueté à droite, Charles de Courson, l’élu emblématique de LIOT, est un adversaire déterminé d’Emmanuel Macron, dont il dénonce régulièrement les dérives liberticides.

L’apaisement voulu par Emmanuel Macron ne se décrète pas et se gagne encore moins en multipliant quotidiennement les provocations.

Le texte de loi transpartisan qu’il a déposé sera soutenu aussi bien par la Nupes que par le RN. Son adoption reposera en grande partie sur les conservateurs de LR, plus divisés que jamais entre la ligne proche de l’extrême droite que défend son président, Éric Ciotti, et un courant gaulliste, emmené par le député Aurélien Pradié. Ce dernier a déjà dit qu’il votera l’abrogation d’une réforme « socialement injuste ».

Le texte a donc de bonnes chances de décrocher une majorité au Parlement. « Ce serait un coup de tonnerre », espère Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT. Mais pas forcément la fin de l’épreuve, car le Sénat, majoritairement à droite, est en faveur de la réforme et rétablira probablement l’âge de départ à 64 ans. Soit un retour à la case départ, avec un Emmanuel Macron s’obstinant dans le blocage du pays. Un risque d’autant plus grand que le Conseil constitutionnel a enterré, ce mercredi 3 mai, la seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), présentée par la Nupes.

« Le pouvoir est en pleine déconfiture et nous sommes au fond de l’impasse », analyse la députée LFI de Metz Charlotte Leduc. « Macron et Borne pensent qu’ils peuvent passer à autre chose. Ils sont toujours dans le passage en force alors que le président ne peut plus rien faire », poursuit-elle. L’élue pointe une « impasse parlementaire avec les grands projets de loi à venir sur l’immigration et le travail, des sujets qui mettent de l’huile sur le feu, alors qu’il y a une radicalisation du mouvement social et de la population ». Constatant qu’il y a des « députés Macron qui en ont assez », Charlotte Leduc plaide « plus que jamais en faveur d’une VIe République », à même de répondre aux aspirations démocratiques, notamment exprimées par le mouvement social.

Au parti socialiste, le constat est sensiblement le même. « Il y a une annihilation de la démocratie parlementaire, de sa fonction de représentante du peuple », déplore Charlotte Picard, membre du bureau national du PS et conseillère municipale d’opposition à Metz. Mais, poursuit-elle, « nous sommes des idéalistes de la démocratie et de la république et on a encore espoir que Macron entende ». Pour l’élue socialiste, la loi d’abrogation portée par LIOT s’inscrit « dans un arc démocratique qu’on avait déjà vu à l’œuvre pendant le confinement, entre le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon, le socialiste Boris Vallaud et le centriste Charles de Courson, qui avaient tous trois veillé à la préservation de nos libertés ».

Privé de majorité au parlement et discrédité à l’étranger, Emmanuel Macron est autant éloigné de son peuple que de la réalité politique qu’il affronte, à savoir son incapacité à continuer à gouverner sans compromis. Il s’est donné « 100 jours » pour redevenir maître des horloges, mais la référence n’est pas des plus heureuses. Dans l’histoire de France, les « Cent-Jours » symbolisent la reconquête du pouvoir par Bonaparte en 1815, après son exil sur l’île d’Elbe. Un retour aventureux qui s’était achevé à Waterloo.

Casserolades contre surdité

L’agenda officiel du ministre prévoit bien un déplacement, mais ni le lieu ni l’heure ne sont indiqués. Ce vendredi 28 avril, le ministre de la Santé, François Braun, joue la confidentialité pour son déplacement à Metz. C’est raté : en fin d’après-midi, quelque 150 manifestant-es armé-es de casseroles l’attendent de pied ferme derrière des barrières coupant l’accès à la préfecture. Pendant qu’ils et elles patientent, des militant-es de syndicats et de partis de gauche, des jeunes se réclamant d’Extinction Rebellion et des anonymes sans appartenance tapent plus ou moins énergiquement sur leurs casseroles. Des soignant-es forment une bonne partie du contingent, mais personne ne connaît vraiment l’objet de la visite du jour. « Il remet une médaille au directeur de l’hôpital de Sarreguemines », croit savoir une syndicaliste CGT. « C’est pour le récompenser d’avoir fermé des lits », surenchérit une autre. Quand le convoi du ministre apparaît enfin, la petite foule se presse vers les barrières et tout le monde tape rageusement sur sa casserole. Personne ne verra François Braun, dont la voiture s’engouffre immédiatement dans la cour de la préfecture.

Comme lui, Emmanuel Macron, sa cheffe du gouvernement, leurs ministres et des député-es du parti présidentiel sont accueilli-es au son des casseroles à chacune de leurs sorties. Une manière de dénoncer joyeusement la surdité du pouvoir. C’est Attac qui a lancé l’idée après la publication de la loi retraite au Journal officiel, le 15 avril. Chaque jour, l’ONG met à jour une carte des visites ministérielles sur son site internet. Élysée et ministères ont beau draper leurs déplacements dans le secret, l’information finit toujours par s’éventer. Parfois, des centaines de personnes convergent vers un point de rendez-vous, comme le 24 avril, gare de Lyon, à Paris, où le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, est resté bloqué dans un TGV avant d’être exfiltré par la police.
Le scénario est déplorable en termes d’image, contredisant les « 100 jours d’apaisement » décrétés par Emmanuel Macron après le passage en force sur les retraites. Dans un premier temps, le pouvoir a interdit les casserolades et fait confisquer ces « objets sonores portatifs » en invoquant les lois antiterroristes. Face au ridicule et à l’illégalité de la mesure, il a reculé et mise désormais sur l’élargissement des périmètres d’interdiction de manifester pour garder le peuple mécontent à bonne distance.

Mais les casseroles, cela s’entend de loin. Et c’est bien le but de ces concerts qui accompagnent régulièrement protestations sociales et politiques à travers le monde. Ce bruyant moyen d’expression est apparu en 1832 avec la contestation de la monarchie de Juillet en France. Près de 200 ans plus tard, l’objectif reste inchangé : « C’est une réponse sonore, non violente et ironique aux 100 jours de Macron », s’amuse Michel, un enseignant, armé de sa casserole, comme il se doit.


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