Le féminisme queer, le matérialisme et le rhizome des luttes

Il y a deux semaines, Déi Lénk avaient invité Koschka Linkerhand pour présenter ses thèses sur le féminisme matérialiste – positions que la sociologue queer-féministe Enrica Pianaro critique fortement.

Une nouvelle forme de féminisme a vu le jour, un féminisme dans l’air du temps et qui semble s’aligner sur les tendances actuelles – celles du réactionnisme conservateur et celles de la rebiologisation de la catégorie « femme ». C’est du moins ce qu’on pourrait penser en lisant le recueil d’articles publié sous le titre « Feministisch Streiten : Texte zu Vernunft und Leidenschaft unter Frauen » (2018) de Koschka Linkerhand (KL). On aurait pu espérer qu’après plus de cinquante ans de mouvements féministes mondiaux concevant des théories, des pratiques, des lectures, des points de vue et des actions aussi diverses que les espaces sociopolitiques qui les soutiennent, on serait arrivé à définir un féminisme réactif et re-créatif plutôt que réactionnaire.

Cependant, le livre de KL, au lieu d’aspirer à un féminisme de la libération et de l’émancipation, préfère plutôt flirter avec des analyses queerphobes, anti-queer-féministes, transphobes, islamophobes et migraphobes. Et comme elle l’annonce d’emblée, elle ne croit pas que différentes théories et perspectives féministes, notamment celles matérialistes et déconstructivistes soient compatibles (p. 50). Le dialogue et l’échange sont donc fermés. Mais puisque je suis une queer-féministe sympa, qui non seulement aimerait partager ses expériences d’activiste, mais aussi ses observations de sociologue, ainsi que ses analyses de diplômée en gender studies, je vais quand même expliquer pourquoi son livre et sa présentation tenue le 24 janvier sont problématiques à plusieurs niveaux.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais clarifier le fait que je ne rejette pas les thèses du féminisme matérialiste. Bien que j’appose le préfixe queer à mon féminisme, cela ne signifie pas que celui-ci se trouve à l’antithèse du féminisme matérialiste. Mon éducation féministe s’est faite dans la généalogie des féministes dé/constructivistes françaises, sur lesquelles le féminisme matérialiste a eu un impact considérable. Si les thèses et l’intervention de Koschka Linkerhand me font réagir, c’est parce que ses arguments et explications sur le féminisme matérialiste et sur le féminisme queer sont incomplètes et erronées. J’exposerai mes points de vue dans les prochaines lignes, mais avant – et pour plus de facilité de lecture – j’aimerais donner quelques explications basiques sur le féminisme matérialiste et le féminisme queer, tout en étant consciente que la complexité de ces pensées ne pourra pas être saisie en quelques lignes.

Le féminisme matérialiste tel qu’il est né en France dans les années 1960 et 1970 est un féminisme qui s’inspire fortement des réflexions de Marx, tout en relevant les points aveugles des théories marxistes qui avaient exclu la question spécifique des femmes. Si des féministes marxistes des années 1960 avaient déjà théorisé le travail domestique, celles-ci restaient dans l’optique qu’il suffirait d’abolir le capitalisme pour abolir les inégalités entre femmes et hommes. Les féministes matérialistes, dont Christine Delphy est la plus connue, proposent une analyse différente en analysant l’oppression et l’exploitation des femmes non comme un produit dérivé du capitalisme, mais comme un système à part entière qui oppose la classe des femmes à la classe des hommes : le patriarcat. Dans ce système de domination, la classe des hommes tire profit du travail domestique gratuit et invisible de la classe des femmes. Pour les féministes matérialistes, ces classes de sexe n’ont rien de naturel et ce n’est pas la biologie qui relègue les femmes aux tâches domestiques. Pour Delphy, comme pour d’autres féministes matérialistes comme Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin et Paola Tabet, il n’y a pas de division naturelle et ahistorique entre femmes et hommes qui préexisterait à la domination patriarcale et la justifierait ainsi. Vu qu’il s’agit d’un courant anti-essentialiste, il s’est défini à l’opposé du féminisme différentialiste en France.

De l’autre côté, la « queer theory », qui a émergé aux États-Unis dans les années 1990, focalise son attention sur les sexualités qui sortent du cadre hétérosexuel, sur la construction du genre et sur comment l’ordre social interfère avec les désirs. La théorie queer remet en question le déterminisme biologique, qui se fonde sur une vision binaire et hétéronormative de la société, du sexe et de la sexualité : il n’y aurait que deux sexes (biologiques), la sexualité et le désir se forment par rapport au « sexe opposé » et toute l’organisation sociale repose sur cet invariant. Judith Butler, figure la plus connue de ce courant (elle contestera sûrement cette formulation), va remettre en question l’idée que le genre (gender/la culture) se constitue sur la base du sexe (sex/la nature) en avançant l’idée que le sexe serait tout autant un construit social et qu’il n’y aurait pas quelque chose qui serait l’original, donné par la nature, par opposition à ce qui serait un calque, une copie créée par la culture. C’est à partir de la théorie queer associée à l’activisme que le féminisme queer a vu le jour afin de relier théorie, pratique et politique. Bien que cet activisme soit la plupart du temps porté par des personnes queer, il ne faudrait pas confondre identités LGBTIQ+ avec féminisme queer. La pensée queer-féministe propose des outils théoriques qui englobent non seulement les questions de genre, de désir et de sexualité, mais aussi une analyse qui se fonde sur une critique radicale des structures de pouvoir qui façonnent la société et l’individu.

Ce qui est souvent omis dans la définition de la théorie queer est qu’elle n’est pas détachée de la matérialité des corps et que justement elle s’intéresse à comment le système capitaliste produit des corps genrés (et racisés) pour finalement reproduire des corps normés. Le capitalisme fonctionne dans un système où s’opposent deux classes de sexe et où celles-ci se reproduisent, car ce sont les corps normés qui fonctionneront comme la force de travail dont a besoin le système hétéro-patriarcalo-capitaliste pour exister. La subversion des normes sexuelles et de genre est pensée comme l’un des moyens (et pas le seul !) de s’extraire de cette emprise.

Lectures essentialistes

© georgraph.org

En lisant et en écoutant KL, le plus frappant est sa tentative de présenter le matérialisme à travers des lectures essentialistes qui naturalisent LA femme comme une entité homogène, immuable et indivisible. Sa vision s’aligne davantage sur le féminisme différentialiste que sur le féminisme matérialiste. Elle fait pareil avec LA lesbienne, refusant ou rejetant toute individualité et autodétermination aux lesbiennes (d’ailleurs les femmes bi n’existent pas dans sa vision du monde) en utilisant toute sorte d’arguments alignés sur la psychanalyse et la sexologie psychanalytique (p. 13, 19, 27 et 46), qui réduit les lesbiennes à des « êtres libidineux » [tout comme les femmes en général : « libidinöse Feministinnen » (p. 19) / « Triebkompromisse » (p. 27) ; ou lors de sa présentation en parlant de « Triebwünsche »]. Cette glorification de la psychanalyse fait douter de sa définition d’un féminisme matérialiste, qui est loin d’être celle des féministes matérialistes françaises des années 1970 at 1980, qui elles justement dès les débuts se sont distanciées de l’idée d’une essence et d’une nature féminine aussi bien que de la psychanalyse féminine/féministe. KL remet en question l’idée de « construction sociale » de la catégorie « femme » et préfère parler des « pulsions » (Triebe) des femmes.

Bien que certains courants queer-féministes aient à leur tour reproché aux féministes matérialistes d’être essentialistes, par exemple à cause de leur lecture en termes de « catégorie » des femmes ou leurs analyses basées sur la binarité, les féministes matérialistes ont travaillé dur au démantèlement de la catégorie « femme », dont le but serait l’abolition de la catégorie de sexe (à comprendre le genre) comme marquer de division sociale. Comme le résument Annick Madec et Numa Murard en reformulant le point de vue sur la lutte antiraciste de Nacéra Guénif et Christine Delphy dans « Le savant et le politique » : « Le point principal est en effet […] que ceux qui agissent n’ont pas choisi d’être désignés en tant que catégorie racialisée et qu’ils ont l’obligation de lutter en tant que catégorie pour cesser d’exister en tant que catégorie. » (https://www.cairn.info/revue-mouvements-2005-4-page-112.htm).

KL annonce donc grandement le féminisme matérialiste, mais sur un total de trente-deux pages de son premier article elle critique le féminisme queer sur vingt-cinq pages et parle de féminisme matérialiste sur sept pages seulement. Elle n’explique pas ce que c’est, elle n’en donne même pas une définition. Elle a fait pareil lors de son intervention, en parlant pendant quarante minutes de son rejet du queer-féminisme au lieu de discuter de l’histoire et de l’évolution du féminisme matérialiste. Pourquoi n’a-t-elle pas parlé du combat des femmes ouvrières dans les usines allemandes pour un salaire digne ? Pourquoi n’a-t-elle pas éclairé à travers les ‘lunettes féministes matérialistes’ comment la politique sociale allemande maintient les femmes dans la précarité ? On dirait un règlement de compte avec le féminisme queer, qu’elle désigne comme le féminisme « dominant » en Allemagne depuis vingt-cinq ans. À cela s’ajoute qu’elle s’impose comme spécialiste du féminisme queer, qu’on lui donne une plateforme et sûrement aussi de l’argent pour s’exprimer sur un sujet qu’elle ne maîtrise pas. À l’étranger comme au Luxembourg, il y a des activistes queer(-féministes) dont certain·e·s vivent dans la précarité, parce que justement leur appartenance à une sexualité ou à un genre marginalisés crée les conditions matérielles de leur oppression et de leur exclusion du marché de l’emploi ou du système éducatif.

Dans sa liste de reproches contre le féminisme queer, elle ajoute que les queer-féministes n’approfondissent pas assez leurs connaissances par la lecture de théories féministes. Premièrement, c’est assez présomptueux de valider une personne et de la considérer à sa hauteur uniquement si elle a lu tous les livres féministes. Nous naviguons dans des espaces socioculturels bien précis, et notre accès à la littérature féministe est conditionné par notre capital culturel et académique. Puis j’aimerais savoir de quelles théories elle parle, car l’hégémonie occidentale fait le tri des théories et des écrits auxquels nous avons accès : cela peut passer par la non-traduction d’œuvres féministes des pays du global south, tout comme la non-publication de pensées contestataires dans les sociétés occidentales. Deuxièmement, invalider les expériences et le vécu de personnes qui ont une pratique queer ou queer-féministe, mais qui n’ont pas forcément eu les ressources et l’énergie de lire en profondeur différentes théories féministes, c’est reproduire un schéma de domination basé sur la hiérarchisation des savoirs. Les connaissances produites par les groupes minoritaires sont tout aussi valides que les connaissances académiques.

Et nous en venons là à son refus de se confronter à ses propres privilèges. Une participante à la soirée du 24 janvier a justement posé la question des femmes privilégiées, et de comment cela peut constituer un frein au « sujet politique femme », qui comme un bloc homogène invisibiliserait les inégalités entre femmes. En gros, KL répond, et elle le reprend dans sa réflexion, qu’il ne faut pas se laisser troubler par les points de vue situés (« nicht getrübt von Standortdenken »). L’universalisme qu’elle défend la rendrait-elle aveugle aux différents points de vue féministes ? La « théorie des points de vue situés » (stand point theory/Haraway) critique l’universalité de l’objectivité en proposant une approche scientifique plus (auto)réflexive, décentrée et valorisant les connaissances des minorités. Celle-ci leur permet même de généraliser et de théoriser leurs expériences minoritaires dans l’optique de créer des savoirs partagés et collectifs, un peu comme dans l’idée que « le personnel est politique ». Le problème avec les textes de KL est qu’elle ne s’est pas donné la peine de situer ses réflexions et de se positionner.

Erreur de cohérence

De plus, elle nous offre des spéculations infondées contre le féminisme queer et les politiques identitaires. C’est drôle, car le reproche peut lui être renvoyé. Elle prétend que le queer-féminisme fait uniquement la promotion de politiques identitaires (« Identitätsfetisch ») et en même temps elle-même profite de chaque occasion et de chaque ligne de texte pour s’autoproclamer féministe « matérialiste ». D’ailleurs, en début d’ouvrage, elle parle de promouvoir une « Frauenidentitätspolitik »… Allez chercher l’erreur de cohérence, surtout qu’elle évacue totalement la question des conflits entre féministes hétéras et féministes lesbiennes, comme s’il y avait (eu) une « solidarité naturelle entre femmes » uniquement parce qu’elles sont des femmes. Lors de sa présentation, elle a commencé à énumérer toutes les « nouvelles identités » qui poussent comme des champignons à cause du queer-féminisme, comme asexuel, pansexuel, fem, agender, etc. D’un, les féministes queer parleraient davantage d’identifications et non d’identités, pour justement montrer le caractère muable et construit de celles-ci. De deux, elle postule que ces identités sont ahistoriques et subjectives. Si elle s’était penchée sur l’histoire des lesbiennes, elle saurait que l’identification ‘fem’ existe depuis les années 1950 et qu’elle est empreinte d’une charge symbolique et politique collective de remise en question de l’ordre hétérosexuel. De trois, oui, le vocabulaire de la diversité sexuelle et de genre est nouveau, car il est en lien avec les mouvements de libération homosexuelle et transgenre, et ces mouvements ont fêté leurs cinquante ans en 2019. C’est un mouvement social très jeune, qui est en train d’écrire son histoire.

Pour revenir à son féminisme matérialiste et ses réflexions sur le capitalisme (que j’attends toujours), elle accuse le néolibéralisme d’avoir séparé les lesbiennes du féminisme, d’avoir maintenant des lesbiennes qui ne se définissent plus comme féministes et qui se reconnaissent uniquement dans leur identité lesbienne, qui serait le résultat du postmodernisme néolibéral. Premièrement, elle ne respecte aucunement l’autodétermination des personnes, car se nomme féministe qui a envie de le faire. Deuxièmement, si dans les générations (post-)MLF et (post-)deuxième vague féministe il y a des lesbiennes qui ne se définissent pas comme féministes, cela est aussi dû au fait que certains groupes/courants lesbiens étaient tellement radicaux et séparatistes que certaines lesbiennes (celles plus modérées, celles plus féminines, les femmes bisexuelles !) ne s’y reconnaissaient pas et ont dû faire face à des critiques acerbes de la part du lesbianisme politique. Il faut arrêter de chercher la faute auprès du seul ‘méchant’ queer-féminisme. Troisièmement, si vraiment elle était en mesure de formuler une critique matérialiste, à comprendre dans le sens d’une critique qui se fonde sur une analyse de la lutte des classes et des rapports sociaux de classe, elle saurait que les lesbiennes des classes ouvrières et des classes populaires avaient très rapidement été exclues par les (lesbiennes) féministes de la deuxième vague. Les féministes hétéras et lesbiennes féministes du mouvement des femmes reprochaient aux lesbiennes des classes populaires d’être des traitresses de la cause des femmes et de reproduire des stéréotypes sexistes en jouant sur les codes masculin-féminin à travers les identités ‘butch-fem’. Si dans le queer-féminisme ces identifications sont célébrées pour justement avoir déjoué le genre, ces gender traitors ne l’ont pas été et ne le sont toujours pas par les féministes dominantes, incapables de voir l’imbrication du genre, de la sexualité et de la CLASSE dans la formation d’identifications sociales et dans la constitution de groupes sociaux.

Positions transphobes et islamophobes

Enfin, en 2020, il n’y a plus d’excuses quand une personne (féministe) tient des discours haineux. Nous participons et vivons actuellement la montée de néofascismes, nous nous défendons contre des politiques de droite racistes, sexistes et homophobes, nous tenons tête aux groupes anti-avortement, anti-genre et anti-féministes, nous nous épuisons à combattre les inégalités sociales et les conséquences dévastatrices du néolibéralisme sur le climat et l’humain. Nous avons de multiples luttes à mener et personne en ces temps rétrogrades n’a envie d’avoir des ‘ennemis de l’intérieur’. Malheureusement KL ne peut pas en dire autant. Elle préfère, sous prétexte de faire des analyses de la structure sociale, rabaisser les féministes et activistes qui sont des minorités dans la minorité. Elle refuse de manière systématique de reconnaître l’autodétermination des personnes trans* en utilisant une terminologie dépassée, pathologisante et réfutée depuis vingt ans par les activistes trans (p. 9 ; usage systématique de « transsexuel »). Avec ses collègues, elle se permet de « parler à la place de » au lieu de « laisser la parole à », surtout qu’elle n’est pas concernée par certains sujets, mais a pourtant une opinion bien arrêtée sur la prostitution, l’islam et la transidentité. La cerise sur le gâteau (attention, risque de constipation), bien qu’elle s’en défende, est que sa posture est islamophobe et migraphobe (voir aussi : https://phase-zwei.org/hefte/artikel/nestbeschmutzerinnen-612/). Elle va même jusqu’à reprocher aux regroupements de gauche, aux activistes antiracistes et aux activistes queer-féministes de défendre l’islam au détriment des droits des femmes (allemandes !). Car oui, les femmes autochtones (à comprendre les femmes allemandes, non migrantes et blanches) ont été lésées par les politiques antiracistes. Maintenant, l’islam patriarcal est en train de s’établir en Allemagne et il faut sauver les femmes allemandes (p. 10). Ce qui fait peur dans ce récit est qu’il n’y a pas de différence avec les discours sur le « grand remplacement » énoncés par l’extrême droite, qui a trouvé dans l’islam un bouc émissaire en argumentant que les musulman·e·s ont mis en place une stratégie volontaire pour substituer la population blanche d’Europe en se reproduisant sur le territoire occidental. Les groupes anti-féministes et anti-genre reprennent ces arguments de « reproduction de la nation » en dénonçant les combats féministes pour l’interruption volontaire de grossesse, car c’est à cause de l’émancipation des femmes que celles-ci ne veulent plus procréer, et en s’attaquant aux avancées juridiques en matière LGBTIQ+, car c’est à cause des homos que la famille traditionnelle (blanche) s’effondrera. Comment le discours féministe qui est le sien peut aussi dangereusement frôler les discours de droite ? Malheureusement, il ne s’agit pas, comme je le disais ironiquement en début d’article, d’un nouveau féminisme. Il a toujours existé.

Seit Januar 2016 leistet Enrica Pianaro Sensibilisierungs- und Aufklärungsarbeit beim Cigale. (Fotos: Privat)

Pour finir, la pensée féministe a toujours été traversée par des contradictions, donnant lieu à différentes stratégies féministes. Cela ne veut pas dire qu’il faut choisir un courant féministe et qu’on fait définitivement partie d’un camp. Comme il y a des divergences entre différents courants féministes, il y a aussi des divergences internes à un même courant ou à une même pensée féministe. Est-ce que cela veut dire qu’il faut choisir un camp ? Faut-il toujours procéder par élimination ? Si tu fais partie de l’un, tu ne peux pas être de l’autre ? Si tu es queer-féministe, tu ne peux pas être féministe matérialiste ? Si tu es lesbienne, tu ne peux pas être queer ? KL quant à elle préfère garder des catégories bien distinctes et binaires. Étrange conception du féminisme, surtout que depuis un bon moment déjà, des activistes queer et queer-féministes ont montré la pertinence de penser une approche queer-matérialiste dans leur critique et remise en question du pouvoir et des structures sociales (https://www.degrowth.info/wp-content/uploads/2016/06/DIB_Queer-Feministisch.pdf). Leurs analyses se penchent sur l’association de théories qui semblent éloignées et sur comment les rapprocher, sur comment développer de nouveaux concepts qui rendent compte d’une réalité sociale complexe et plurielle. Contrairement à KL, qui critique beaucoup et qui ne propose aucune solution concrète, les féministes queer s’organisent contre le capitalisme patriarcal et essaient de créer des alliances solidaires le temps d’une action ou sur le long terme. On pourra citer les actions de Alliances TPGQF – TransPédéGouine queer féministe qui soutiennent la grève contre la réforme des retraites en France (https://www.facebook.com/events/863669664089964/), du CLAQ – Comité de Libération et d’Autonomie Queer contre l’exploitation au travail et la précarisation (https://www.facebook.com/events/872154076454223/) et du Radical Queer Wagenplatz KANAL qui rejoint le combat contre la gentrification des quartiers d’habitation (https://kanal.squat.net/). Et ceci n’est qu’un avant-goût de ce que réserve la contre-attaque queer-féministe révolutionnaire.

De mon côté, et peut-être que c’est une pensée et attitude très queer, je refuse de faire du féminisme par élimination et je réfute l’idée de diviser les luttes, de diviser la solidarité. Je préfère, comme mes camarades à l’étranger, plutôt multiplier notre puissance et notre combat par des actions et réflexions plurielles. Je préfère planter la graine qui nous mènera à un rhizome des luttes contre l’érosion réactionnaire.


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