L’honneur perdu d’Enrico Lunghi

La démission du directeur du Mudam ne sera pas le dernier rebondissement dans ce feuilleton désolant et provincial qui met face à face deux approches de la notion de culture opposées.

983lunghi_itwIls l’auront eu par l’usure. Si l’affaire « Lunghi contre Schram » était la – grosse – goutte qui a fait déborder le vase, celui-ci était déjà bien rempli depuis longtemps. Si on voulait établir le commencement des déboires d’Enrico Lunghi avec certains tenants de la scène culturelle et politique du pays, l’année 2001 pourrait constituer une date charnière. Pour l’exposition conjointe entre le Casino et le musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg « Luxembourg, les Luxembourgeois », le Casino décide d’exposer la sculpture « Lady Rosa of Luxembourg », de l’artiste croate Sanja Ivekovic. Le scandale de cette « Gëlle Fra » bis, les polémiques déclenchées par des innombrables lettres à la rédaction de Luxembourgeois patriotes avaient, à l’époque, ouvert un fossé impossible à combler depuis. Lunghi avait été au cœur de la bataille – et certaines forces politiques ont la mémoire longue. Le micro-scandale autour des machines « Cloaca » de Wim Delvoye l’a montré.

Après la démission de Marie-Claude Beaud à la tête du Mudam, Lunghi savait pertinemment que si sa candidature pour le poste était retenue, ce ne serait pas une partie de plaisir. Pourtant, ce n’est qu’à partir du drame qui a entouré le renouvellement de son poste que le public s’est définitivement rendu compte de l’isolement du directeur du musée d’art contemporain. Ni le gouvernement, ni son conseil d’administration ou le comité de gestion qu’on lui avait mis dans la nuque ne le soutenaient ouvertement. Au contraire, en effectuant des coupes dans le budget prévu pour les acquisitions – dans le contexte du « Zukunftspak » -, on lui avait carrément coupé l’herbe sous les pieds. Un musée qui n’a pas les moyens de collectionner, ne peut pas avancer – n’en déplaise à certains politiques bornés, ne reconnaissant pas le statut que le Mudam a su atteindre à l’international malgré son jeune âge. S’y ajoute qu’en tant que directeur du Mudam, l’ire populaire contre la construction très coûteuse du bâtiment s’est reportée sur son directeur – même s’il n’y pouvait rien.

Tragi-comédie provinciale

Vu ce contexte défavorable, on se demande comment Enrico Lunghi a pu tenir jusque là. Et on comprend mieux pourquoi il vient de jeter l’éponge. Car s’il s’avérait que RTL ait vraiment procédé à un montage – et aurait donc truqué la bande-son et les images, de façon à mettre en scène un incident qui ne s’est pas déroulé ainsi en réalité – cela ne serait pas qu’une infamie qui souillerait le métier de journaliste. Ce serait aussi un délit. En tout cas, si Enrico Lunghi est sûr de son coup au point de déposer plainte, il joue gros.

Mais ce n’est pas uniquement RTL qui fait mauvaise figure dans cette tragi-comédie provinciale. C’est aussi le conseil d’administration, sa présidente, la princesse Stéphanie, le comité de gestion et surtout le ministre de la Culture Xavier Bettel, qui sont à mettre en cause. Selon les dires de Lunghi dans la lettre envoyée au Cimam (International Comittee for Museums and Collections of Modern Art – une plateforme de directeurs de musées et de collections membre de l’Icom, le International Council of Museums, la grande fédération mondiale des musées), ni la politique, ni le conseil d’administration n’auraient essayé d’entendre sa version des faits avant de le condamner.

Si le geste envers Sophie Schram reste condamnable, il semble désormais clair qu’il s’agissait d’un piège dans lequel Lunghi est tombé. Et un ministre de la Culture devrait, surtout connaissant les antécédents, réfléchir deux fois avant de se presser devant les micros de la presse pour condamner le directeur du Mudam – sans lui avoir donné la possibilité de s’exprimer sur les faits. Gageons que ce lâchage va encore coûter cher à Xavier Bettel, du moins en termes de popularité dans les milieux artistiques. En tout cas, le Cimam a déjà pris position en condamnant les attaques contre Lunghi, les qualifiant même d’ « antidémocratiques ».


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