L’Union après les élections : C’est compliqué !

Les négociations pour former une majorité et pour attribuer les « top jobs » ne doivent pas faire oublier le changement des rapports de forces suite aux élections.

Un parlement divisé, mal préparé au bras de fer avec les États membres. (Hémicycle à Strasbourg, © Ralf Roletschek, GNU Free Documentation License 1.2)

Que s’est-il passé aux élections européennes ? En résumé, le camp proeuropéen a en partie gagné, en partie perdu, tandis que le camp antieuropéen a moins gagné que prévu. Un résultat mi-figue mi-raisin. L’important, ce sont les conséquences que cela aura pour la politique européenne des cinq ans à venir.

Clairement, le centre, dans lequel on peut désormais classer la plupart des partis écologistes, a été renforcé, tandis que les deux bords modérés (les sociaux-démocrates, S&D, et le Parti populaire européen, PPE) sont affaiblis. La droite radicale a gagné, la gauche radicale perdu. Ce dernier point a contribué à rendre encore plus improbable une coalition progressiste. Une telle alliance, allant d’Alexis Tsipras à Emmanuel Macron, avait été évoquée avant les élections par Frans Timmermans, le « Spitzenkandidat » (tête de liste européenne) des sociaux-démocrates.

Spitzenkandidat*in contre Conseil européen

Justement, que reste-t-il du combat des Spitzenkandidat*innen, mis en scène comme une course pour le poste de président-e de la Commission ? Rappelons que les traités précisent que pour cette nomination, il faut tenir compte du résultat électoral, mais que c’est le Conseil européen (les chef-fe-s d’État et de gouvernement) qui propose un nom. Le Parlement, qui valide ou ne valide pas cette proposition, avait défendu en 2014 l’idée que le ou la mieux élu-e devait être nommé-e, ce qui avait été le cas en la personne de Jean-Claude Juncker.

Cette fois-ci cependant, les partis en dehors du PPE avaient favorisé l’idée qu’il fallait rassembler une majorité plutôt que d’être Spitzenkandidat*in de la liste arrivée en tête. Quant au Conseil européen, il n’est pas du tout enchanté par la perspective de voir son droit de proposition restreint par des règles du jeu issues du Parlement et non des traités.

Au-delà du nom de la personne, l’enjeu est important, surtout dans la situation actuelle. L’assemblée issue des élections de 2019 est plus divisée que jamais et les négociations pour établir des positions communes seront plus compliquées – en somme, le Parlement risque d’être affaibli par rapport aux autres institutions, notamment au Conseil de l’Union européenne (l’ensemble des « Conseils des ministres »).

Si le ou la président-e de la prochaine Commission européenne est une personnalité forte, munie de la légitimité d’avoir été Spitzenkandidat*in, il ou elle pourra collaborer avec le Parlement pour contrebalancer la domination des États membres. Si au contraire le Conseil européen passe outre les Spitzenkandidat*innen et choisit de nommer une personnalité faible, le Parlement aura probablement moins d’emprise sur la politique. Et, bien sûr, cela risque de réduire encore la légitimité démocratique des institutions européennes aux yeux de la population.

La parité fait partie du « paquet »

Mardi soir (le 28 mai), le Parlement et le Conseil se sont réunis séparément. D’une part, la majorité de l’assemblée a réaffirmé son attachement aux Spitzenkandidat*innen, son président Antonio Tajani (PPE) déclarant, selon Euractiv.com, qu’il ne s’agit pas de se battre pour telle personne, mais pour le principe. Ce qui veut dire que le Spitzenkandidat de la droite, Manfred Weber, bien que sa liste soit arrivée en tête, n’est plus la seule option aux yeux de son propre groupe.

Par contre, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré que les règles des traités comptaient plus que les inventions politiques. Tout en plaisantant : « Avoir été Spitzenkandidat ne constituera pas un empêchement. » C’est lui qui devra préparer le prochain sommet en consultant Conseil et Parlement et en concoctant une liste de quatre noms. En plus de la présidence de la Commission, trois autres « top jobs » sont en effet à attribuer : la présidence du Parlement, la présidence du Conseil et celui de haut-e représentant-e pour les Affaires étrangères. L’idée étant de ficeler un « paquet » bien équilibré selon des critères notamment politiques et géographiques, et de lui assurer une majorité au Conseil comme au Parlement.

Un autre critère que tout le monde s’est empressé de réaffirmer est celui de la parité. Au moins deux des postes devraient revenir à des femmes. Petit paradoxe : alors que Timmermans avait fait campagne pour une Commission paritaire, les sociaux-démocrates sont très mal positionné-e-s en ce qui concerne les personnalités féminines pressenties pour les « top jobs ». Ainsi, parmi huit femmes que Politico verrait à un tel poste, une seule est S&D : Helle Thorning-Schmidt.

Écologie faible, social affaibli

Son principal handicap est d’être… danoise, car la favorite pour la présidence de la Commission l’est également : Margrethe Vestager, l’actuelle commissaire à la Concurrence. Alors que le groupe libéral (Alde) était opposé aux Spitzenkandidat*innen, elle a assumé de facto ce rôle. Paradoxalement, l’Alde pourrait en fin de compte bénéficier d’un dispositif qu’elle avait rejeté. En effet, les S&D et le PPE savent qu’il faudra trouver un compromis, et la Spitzenkandidatin officieuse Vestager pourra être présentée comme légitimée par les élections. Au niveau du Conseil, cette politicienne expérimentée – et centriste – a également ses chances.

Si ce n’est pas elle, l’argument de la parité pourra être instrumentalisé pour torpiller le principe des Spitzenkandidat*innen. Tout comme l’est déjà l’argument que les contenus politiques sont plus importants que les questions de personnes. Xavier Bettel, cité par Euractiv, s’est en tout cas montré convaincu que « la population allemande ne se soucie pas de savoir si le prochain président s’appelle Weber, Vestager ou Timmermans, mais de ce que cette personne a l’intention de faire ».

Et là, on sait à quoi s’attendre : ce sera « plus d’Europe », grâce au renforcement des groupes libéral et vert. Et « plus de libéralisme » aussi, plutôt que plus d’Europe sociale ou plus d’écologie. Certes, le groupe vert a gagné quelque 20 sièges, mais l’Alde en a gagné 40. S’ils devaient faire partie de la future grande coalition – et ce n’est pas sûr –, il y aurait bien quelques accents écologiques, mais la domination du centre-droite freinerait toute avancée qui heurterait les intérêts des lobbys économiques. De même, le groupe S&D se sentira seul en matière sociale face au PPE renforcé par l’Alde, qui imposeront une approche de droite en matière de politique sociale et économique.

Tout cela ne rendra pas l’UE plus sympathique aux yeux de nombreux-ses citoyen-ne-s. On sera loin des idées pour « une autre Europe » mises en avant par la plupart des programmes électoraux progressistes. Et si une telle coalition stérile devait durer jusqu’en 2024, il serait déjà trop tard pour la grande transition en douceur du continent – l’Union risque d’imploser durant la décennie à venir.


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