Avec la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron voulait clarifier la situation politique en France. En nommant un premier ministre de droite, le président affiche avec clarté sa volonté de poursuivre sa politique économique néolibérale, quitte à s’accorder avec le Rassemblement national. Au mépris du verdict des urnes.
Il y a une logique à l’apparente confusion qu’entretient Emmanuel Macron depuis le second tour des législatives anticipées, le 7 juillet dernier : maintenir à tout prix le cap de sa politique économique antisociale, en faveur des entreprises et des grandes fortunes. Le « président des riches » n’entend rien lâcher et méprise la volonté des électrices et électeurs, qui ont infligé deux lourdes défaites successives à son camp pour signifier que c’est précisément de cette politique qu’ils ne veulent plus.
Certes, aucune majorité absolue ne s’est dégagée du scrutin, mais un camp est arrivé en tête, celui du Nouveau Front populaire (NFP), et la logique institutionnelle – non écrite – aurait voulu qu’il soit appelé aux affaires. Quitte à envisager une autre solution en cas d’échec de la gauche à constituer une majorité, même si celle-ci a multiplié les propositions de compromis tout au long de l’été. Le président, à qui appartient la prérogative de nommer le premier ministre, a écarté d’emblée cette possibilité. Il a avancé divers prétextes pour cela, avant de reconnaître in fine que c’est le programme de la coalition de gauche qui ne lui convient pas : hors de question d’abroger son impopulaire réforme des retraites, d’augmenter les salaires ou encore de faire payer leur juste part d’impôt aux plus riches. Pour justifier son refus, Macron s’est appuyé sur l’annonce de Marine Le Pen assurant que le Rassemblement national (RN) censurerait à coup sûr un gouvernement issu du NFP.
Après avoir nourri des contre-feux avec les hypothèses Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre de Hollande en rupture avec le parti socialiste, ou Xavier Bertrand, issu du gaullisme social, le choix présidentiel s’est porté sur Michel Barnier. Une nomination approuvée par le RN, qui promet de ne pas censurer d’emblée le futur gouvernement, tout en le plaçant étroitement sous « surveillance », c’est-à-dire sous son pouvoir direct. De la part d’Emmanuel Macron, il s’agit d’une double trahison démocratique.
Dans les semaines et mois à venir, Barnier n’aura pas d’autre choix, s’il veut survivre, que de céder aux obsessions du RN sur l’immigration et la sécurité.
D’abord parce que Michel Barnier est issu des Républicains, parti qui ne constitue que le cinquième groupe au parlement avec 47 députés sur 577 et qui enchaîne les défaites électorales cuisantes. La formation de Michel Barnier est de surcroît la seule à ne pas avoir joué le jeu du front républicain contre le RN au second tour des législatives, refusant d’enjoindre ses candidat·es à se désister pour empêcher l’élection de député·es RN. Les Républicains, tout comme le parti de Macron, ont en revanche largement profité de désistements de leurs adversaires de gauche au second tour, leur permettant de sauver les meubles à l’Assemblée nationale.
L’autre forfaiture de Macron est d’avoir pactisé avec Marine Le Pen. Là encore, le président envoie valser le résultat du second tour des législatives, pour lequel l’électorat s’était massivement mobilisé afin de rejeter l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Dans les semaines et mois à venir, Barnier n’aura pas d’autre choix, s’il veut survivre, que de céder aux obsessions du RN sur l’immigration et la sécurité. Dans ses premières déclarations, le nouveau premier ministre a d’ailleurs affirmé que ces deux sujets étaient prioritaires pour l’action de son futur gouvernement. Cela ne devrait pas lui poser de problème majeur de conscience : depuis 2021, Barnier a fait siennes les thèses du RN en matière d’immigration. L’homme de 73 ans, dont plus de cinquante ans de politique, avait également adopté des positions réacs par le passé, votant contre la dépénalisation de l’homosexualité en 1981 ou le remboursement de l’IVG l’année suivante.
Pour Macron, l’échec est total, alors qu’il a prétendu faire de la lutte contre l’extrême droite le marqueur de ses mandats. Cet épisode illustre que, finalement, seul lui importe son programme économique socialement injuste. Pour l’imposer, il continue à entraîner le pays sur la pente illibérale qu’il a empruntée depuis 2018. Et il s’allie désormais presque ouvertement avec le RN, qui, en accordant son blanc-seing à Barnier, montre que cette politique mêlant néolibéralisme et autoritarisme lui convient parfaitement. Au moins, désormais, les choses sont claires.