Après avoir donné d’intimes et réalistes explications au Mal dans « The Haunting of Hill House », Mike Flanagan filme, grâce à « The Haunting of Bly Manor », les fantômes qui surgissent de nos peines et de nos pertes.

Une série qui transcende les clichés du genre de l’horreur. (Photo : Allociné)
Le projet « The Haunting » comprend deux séries adaptées des œuvres littéraires de Shirley Jackson pour la première saison, « The Haunting of Hill House », et d’Henry James pour la seconde, centrée sur Bly Manor. Il n’est absolument pas nécessaire, pour autant, de suivre chronologiquement les saisons, puisqu’elles ne présentent aucun lien narratif direct. Bien entendu, il s’agit d’un projet global, dont l’esthétique, l’intention et l’interprétation restent cohérentes. On conseillera donc au spectateur séduit par l’une ou l’autre saison de visionner le reste, afin d’obtenir une vision plus large de l’ambitieux projet de Flanagan.
Si « The Haunting of Hill House » réussissait avec brio à exposer les terreurs que l’on se crée dans des moments de doute et d’isolement, « Bly Manor » dessine une autre voie. Il n’en demeure pas moins que les deux projets sont liés par une similaire analyse poétique du deuil et des apparitions funèbres qui hantent l’esprit. Dans cette optique, la première saison se déroule aux États-Unis, tandis que le manoir de Bly émerge de la brume britannique, à une autre époque. Phénomène notable, cinq des acteurs principaux de « Hill House » reviennent dans la deuxième saison dans d’autres rôles. Ainsi Victoria Pedretti (Dani Clayton), Oliver Jackson-Cohen (Peter Quint), Henry Thomas (Henry Wingrave), Kate Siegel (Viola) et Carla Gugino (la narratrice) vont et viennent entre les deux saisons, assurant un peu plus cette impression de cohérence maîtrisée. Mais cette récurrence des acteurs permet aussi aux interprétations et théories les plus diverses de voir le jour quant aux liens entre événements, drames et personnages dans les deux saisons.
Mais alors, que se passe-t-il à Bly Manor ? La jeune fille au pair Dani Clayton se remet à peine de l’horrible accident qui a emporté son fiancé, après une dispute dont elle se croit responsable. Désireuse d’un nouveau départ, elle accepte de s’occuper de Flora et de Miles, nièce et neveu d’un riche lord londonien, Henry Wingrave. Niché dans de verdoyantes collines et perdu dans une brume mystérieuse, le manoir de Bly occupe avec majesté le centre de l’image. Ses couloirs sublimes et inquiétants, ses lieux d’ombres et ses chambres vides accueillent les murmures et les silences de la famille et du personnel. Dani fait la connaissance d’Owen, cuisinier attachant et avenant, de la gouvernante Hannah Grose, élégante et mélancolique, et de la jardinière Jamie. Comme dans toute œuvre du genre, d’étranges phénomènes frappent le manoir et plongent Dani dans la crainte et l’incompréhension. Une présence ancienne, centenaire, hante les lieux et les ombres sans visages d’occupants fantomatiques du manoir terrorisent Miles et Flora.
Qu’est-ce qui distingue, alors, Bly Manor de ses concurrents ? D’abord, l’écriture impeccable de cette galerie de personnages suprêmement attachants et crédibles – mention spéciale à Dani et Owen. La direction d’acteurs, rodée depuis « Hill House », gagne encore en maturité, tant les liens forts entre ces personnages rassemblés par le deuil et la douleur touchent le spectateur en plein cœur. Mais c’est surtout l’art de la narration qui transporte réellement « The Haunting of Bly Manor » dans une autre catégorie : le scénario donne une couleur, une raison et une justification si humaine aux phénomènes paranormaux que les épisodes apportent, à chaque fois, un nouveau choc pour le spectateur. Et Mike Flanagan s’éloigne avec élégance des clichés du genre, notamment grâce à deux épisodes qui méritent une attention toute particulière. En effet, les épisodes cinq et huit sont des bijoux surprenants, dont la narration atteint des sommets rarement égalés sur Netflix. La série reposant entièrement sur le suspense et la fin, il est impossible d’en dire plus sans trahir l’intention artistique principale.
Mentionnons néanmoins un pari audacieux et nettement réussi : celui de l’association entre histoire de fantômes et histoire d’amour. Les personnages de « The Haunting of Bly Manor » partagent un manque, un vide dans leur cœur, qu’il s’agisse du deuil, de la solitude ou de l’angoisse, généralement associés. Et Dani finit par trouver, dans les bras de Jamie, la jardinière courageuse et tendre, une vérité qui lui faisait défaut auparavant. Elle se réalise grâce à elle, dans une relation homosexuelle sobre, émouvante et judicieuse, qui donne une intensité tragique supérieure à la série. Cette relation pure, vraie, souligne la fausseté des anciennes histoires de Dani et de Jamie, et cette bulle d’authenticité dans le malheur de Bly offre une heureuse contribution à la mise en lumière de la réalité queer, sans trop en faire. Le drame de « Bly Manor » réside dans la rage, dans la douleur et l’isolement que suscite le deuil. Pour faire taire les esprits, pour renouer avec la lumière et la vie, il y a un travail d’acceptation, un sacrifice accordé à l’horreur de la perte. Mike Flanagan met en scène ce rituel avec une virtuosité très impressionnante. À ne surtout pas manquer.