Greenpeace Luxembourg introduit une opposition formelle contre la relance du nucléaire belge. Sur la foi d’une analyse technique, l’ONG affirme que la remise en service de réacteurs « obsolètes » présente un risque d’accident majeur.
La hausse spectaculaire du prix des énergies fossiles, notamment portée par la guerre en Ukraine, et la nécessaire décarbonation de l’économie face au défi climatique vont-elles éteindre la voix des antinucléaires ? Greenpeace Luxembourg n’est, en tout cas, pas prêt à mettre la sourdine et a annoncé ce lundi 22 mai introduire une opposition formelle contre la relance de deux réacteurs nucléaires belges, Tihange 3, près de Liège, et Doel 4, près d’Anvers. Pour motiver sa démarche, l’ONG s’appuie sur « une analyse technique commandée auprès de deux expertes indépendantes », Oda Becker et Gabrielle Mraz qui travaillent pour Pulswerk, une société de conseil autrichienne. Leur travail est basé sur l’étude d’impact environnemental (EIE) publiée par les autorités belges dans le cadre de la consultation publique.
Le document des deux expertes met en évidence la primauté des arguments économiques sur les impératifs de sûreté et de sécurité dans la décision du gouvernement belge. Très dépendante de la Russie, qui représentait la moitié de ses importations énergétiques (pétrole, gaz et uranium) avant le conflit ukrainien, la Belgique veut prolonger la durée de vie de deux réacteurs dont l’arrêt définitif était programmé en 2025 et devait signer l’arrêt définitif de la filière dans le royaume. La relance des deux derniers réacteurs interviendra en 2027 et devra se prolonger jusqu’en 2037, au sein d’une coentreprise détenue à parts égales par l’État belge et l’énergéticien français Engie.
Greenpeace n’épargne aucun grief à ce projet, « que ce soit sur la présentation et la procédure, les déchets nucléaires, les alternatives au projet ou les dangers liés aux événements naturels », écrit l’ONG. La préoccupation majeure porte sur l’obsolescence de Tihange 3 et Doel 4, dont « la qualité des matériaux utilisés se dégrade par le vieillissement physique », notent les deux expertes, estimant que les deux réacteurs ne répondent pas « aux normes et réglementations de sécurité actuelles ». Contrairement aux affirmations des autorités belges, l’analyse conclut que les équipements ne sont pas en adéquation « avec les standards internationaux ».
Pour une information transparente
« L’objectif fondamental de sécurité pour les nouvelles centrales nucléaires est l’exclusion des accidents de fusion du cœur avec des rejets précoces et élevés » rappelle Greenpeace. Mais les réacteurs belges « ne répondent pas à cette exigence, qui doit pourtant être atteinte par les nouvelles centrales nucléaires ». Le risque d’un accident majeur aux conséquences dépassant la Belgique n’est donc pas à exclure, s’alarme l’ONG. « La population et les responsables politiques ont le droit de savoir sur quels points Doel 4 et Tihange 3 ne répondent pas aux normes de sécurité actuelles. De même, les informations sur les mises à niveau techniquement envisageables mais laissées en suspens pour des raisons économiques doivent être diffusées de manière claire et transparente », a appuyé Roger Spautz, chargé de campagne nucléaire chez Greenpeace Luxembourg.
« Étant donné qu’un accident grave à Doel 4 ou Tihange 3 affecterait de vastes régions d’Europe qui iraient au-delà des frontières belges, il serait approprié d’organiser une consultation publique européenne dans le cadre de cette étude d’impact environnemental », préconise l’analyse de Pulswerk. « Le dossier déposé n’est pas complet », tranche pour sa part Roger Spautz : « Les risques les plus importants ont été omis. Et la consultation intervient alors que le gouvernement belge et l’opérateur Engie négocient toujours les modalités de mise en œuvre de l’extension, et que les normes de sécurité sont mises sous pression. »
L’action engagée par Greenpeace Luxembourg contre la Belgique intervient alors que le nucléaire connaît un retour en grâce un peu partout dans le monde, ses promoteurs le présentant comme une panacée dans la lutte contre le changement climatique et pour la souveraineté énergétique. Ce mardi 23 mai, le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, a ainsi confirmé que la renationalisation totale d’EDF sera achevée le 8 juin avec pour objectif principal une relance massive de la filière nucléaire hexagonale. « Cela va nous permettre de réaliser dans les meilleures conditions possibles le programme de construction de six nouveaux EPR » et « renforce l’indépendance énergétique du pays », a avancé Bruno Le Maire.
Les antinucléaires auront encore de quoi donner de la voix.