Le gouvernement belge a conclu, lundi 9 janvier, un accord de principe avec l’énergéticien français Engie pour prolonger de dix ans la durée de vie de deux réacteurs nucléaires, l’un à Tihange, l’autre à Doel. Il justifie sa décision par la crise énergétique, alors que la Belgique avait voté en 2003 une sortie progressive de l’atome.
« Les travaux peuvent commencer demain pour la prolongation des deux réacteurs les plus récents », s’est félicité Alexander De Croo, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, lundi. Il s’agit « d’un pas en avant énorme », a-t-il insisté. Le soulagement exprimé par le premier ministre belge est sans doute à la hauteur des négociations implacables imposées à son gouvernement par Engie depuis près d’un an. L’énergéticien français est l’exploitant des deux centrales belges, situées pour l’une à Doel, près d’Anvers, et pour l’autre à Tihange, près de Liège. Outre la relance de deux réacteurs, les discussions portaient également sur le coût du démantèlement futur des sept réacteurs belges et sur le coût du traitement des déchets et des combustibles usés.
Au terme de cet accord qui devra encore être finalisé, le fonctionnement des réacteurs Tihange 3 et Doel 4 sera prolongé de dix ans, jusqu’en 2035. Ces deux unités, d’une capacité combinée de 2 MWe, devraient retrouver leur plein régime de production en novembre 2026.
La Belgique relance ainsi la filière nucléaire, dont la sortie était pourtant programmée pour 2025. Le gouvernement motive sa décision par la crise énergétique, provoquée notamment par la guerre en Ukraine, et par sa dépendance au gaz russe, qui devait partiellement pallier la fermeture des centrales nucléaires. La Belgique importe plus de 90 % de son énergie consommée, dont 51 % de Russie (gaz, pétrole et uranium). Le gouvernement fédéral avait annoncé son intention de prolonger la durée de vie de deux réacteurs dès mars dernier, quelques semaines après le déclenchement de l’« opération spéciale » de Vladimir Poutine.
Souveraineté énergétique
Pour Alexander De Croo, cette décision devrait mettre fin aux incertitudes pesant sur l’approvisionnement électrique du pays et, surtout, lui permettre de recouvrer une partie de sa souveraineté énergétique. Alors qu’Engie était devenu un acteur dominant dans la production électrique belge, l’accord dévoilé lundi prévoit une coentreprise à 50/50 dans l’exploitation des deux réacteurs. « L’État belge deviendra un partenaire important », a affirmé le premier ministre en conférence de presse : « Dans le passé, très souvent, on a dit que les décisions par rapport à la politique énergétique en Belgique ne sont pas prises en Belgique mais dans d’autres capitales. Avec cette décision, elles seront à nouveau prises dans notre pays. »
Pour les opposant-es au nucléaire, il s’agit d’un deuxième pas en arrière sur le chemin vers la sortie de cette énergie, emprunté par la Belgique en 1999, sous la coalition arc-en-ciel de Guy Verhofstadt. L’arrêt des centrales avait été acté dans une loi, dont l’adoption en 2003 était alors présentée comme une victoire des écologistes, membres de la majorité. Mais le bien-fondé de la décision avait été rapidement mis en cause par les partisans de l’atome, et dès 2009 la coalition emmenée par Herman Van Rompuy avait repoussé de dix ans la mise hors service de Doel 1 et Doel 2, initialement prévue en 2015.
La mesure annoncée lundi met en suspens le débat sur une sortie du nucléaire, alors que le gouvernement compte deux ministres écologistes dans ses rangs, la Bruxelloise Zakia Khattabi (Écolo) à l’Environnement et la Flamande Tinne Van der Straeten (Groen) à l’Énergie. Ces dernières années, les centrales belges ont été le théâtre de multiples manifestations et actions exigeant leur fermeture, alors que des fissures étaient détectées sur l’acier des réacteurs. La contestation avait culminé le 25 juin 2017, quand 50.000 personnes avaient formé une chaîne humaine sur 90 kilomètres, entre Tihange et Aix-la-Chapelle, à l’initiative d’une alliance transfrontalière regroupant des mouvements belges, allemands et néerlandais. Ce jeudi 12 janvier, le gouvernement luxembourgeois, notoirement antinucléaire, n’avait pas encore officiellement réagi au revirement de son voisin.
Les arguments avancés par Alexander De Croo sur la sécurité de l’approvisionnement, la souveraineté ou la faiblesse supposée des émissions de CO2 des centrales sont aujourd’hui martelés dans de nombreux pays. Il s’agit de rendre cette technologie à nouveau acceptable aux yeux d’une opinion doublement angoissée par la crainte d’un black-out et la peur du changement climatique.