Le Luxembourg entend obliger ses acteurs économiques à souscrire aux principes des droits de l’homme. Une évidence dont la mise en œuvre semble quelque peu en panne.
Il aura fallu une vingtaine de réunions du groupe de travail « Entreprises et droits de l’homme » et presque autant du groupe interministériel des droits de l’homme sous les auspices du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) pour qu’ait lieu la mise en place du pacte national « Entreprises et droits de l’homme ».
En mars 2018 le MAEE avait convoqué une première fois le groupe de travail, au sein duquel se retrouvent des représentant-es du patronat, des syndicats, de la société civile, du monde académique et de l’État pour participer à l’élaboration du plan d’action national sur la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations unies (NU) relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PAN). Une première mouture a été adoptée par le gouvernement assez rapidement – en juin 2018, en pleine campagne électorale – pour être suivie d’un PAN 2 en décembre 2019.
Les 31 principes directeurs des NU regroupent les obligations qui « incombent aux États de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de l’homme », soit en adoptant des législations contraignantes, soit en promouvant des mesures incitatives. D’autre part, les principes rappellent aux entreprises « en qualité d’organes spécialisés de la société remplissant des fonctions particulières » leur part de responsabilité de se conformer aux lois et de respecter les droits de l’homme tout au long de la chaîne d’approvisionnement − donc aussi au niveau de l’extraction d’éventuelles matières premières.
Adoptés en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des NU, les principes directeurs laissent donc aux différents gouvernements le choix d’imposer le respect des droits de l’homme au niveau des entreprises par des lois ou d’inviter les milieux économiques à prendre des engagements volontaires.
Le gouvernement luxembourgeois a ainsi, sans grande surprise, misé sur le volontariat des entreprises, avec comme point culminant l’adoption d’un « pacte national » destiné « aux dirigeants d’entreprise souhaitant mettre en œuvre les principes directeurs », comme l’explique un communiqué publié suite à la cérémonie de signature qui s’est tenue le 6 juillet au MAEE.
Selon le même communiqué, le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) s’est félicité « de voir 50 entreprises s’engager dès à présent dans un effort commun de promotion et de respect des droits humains » et a espéré « que de nombreuses entreprises vont suivre ».
En regardant de plus près la liste des premiers signataires – 49 au total –, on se prend à envier au ministre son énorme optimisme. Car le lot de signataires laisse à désirer, tant en quantité qu’en qualité. En janvier 2020, sur un total de 37.807 entreprises recensées par le Statec, 7.509 entreprises employaient au moins cinq salarié-es, 2.473 plus de 20, 1.033 plus de 50 et 190 plus de 250. Le pourcentage des signataires selon les tailles d’entreprises reste donc infime.
On se prend à envier au ministre son énorme optimisme.
On remarque par ailleurs qu’il y a très peu de poids lourds de l’industrie sur la liste, alors que ce sont les premiers concernés. Manquent aussi à l’appel des entreprises étatiques, ainsi que celles où l’État a son mot à dire via une participation plus ou moins importante.
Le secteur financier a apposé sa signature seulement via l’ABBL, sans que ses membres s’engagent individuellement, et les fonds de placement semblent s’y refuser complètement. Si le pacte a été signé par Michel Reckinger, ce n’est pas en tant que patron de l’entreprise du même nom, mais en sa qualité de président de l’Union des entreprises luxembourgeoises.
Les représentant-es de la société civile engagé-es dans le processus sont en droit de se sentir dupé-es : leur idée d’inscrire une obligation de diligence en matière des droits de l’homme dans une loi qui s’applique à toute l’économie a été jusqu’à présent tenue à l’écart par la promesse des milieux intéressés de souscrire à un pacte volontaire.
Onze ans après l’adoption des principes directeurs et trois ans après le premier plan « d’action », on aurait pu espérer un peu plus de « volontarisme » de la part des entreprises. En tout cas, si le nombre des signataires publié par le MAEE ne continue à évoluer qu’au compte-gouttes, la revendication d’une loi contraignante par la société civile restera encore plus de mise.
Entreprises signataires
- Le 6 juillet 2022 les entreprises suivantes ont signé le Pacte national Entreprises et droits de l’homme :
ABBL
ABG Sàrl-s
Aide internationale de la Croix-Rouge luxembourgeoise asbl
AKT ONE
Apleona Luxembourg sàrl.
Apleona Security Luxembourg sàrl.
aura GVA Invest sàrl.
bamolux
BUREAU CENTER
Cabexco
Cargolux Airlines International
Centre Avicenne Luxembourg
Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois
Chambre de Commerce du Luxembourg
CIPA Résidence Op der Waassertrap
clc – confédération luxembourgeoise du commerce
Comed S.A.
Computer Home S.A.
Croix-Rouge luxembourgeoise
Damovo Luxembourg sàrl.
Diffusion Internationale Luxembourg – DIL sàrl.
Doheem Versuergt asbl
Ebos Luxembourg S.A.
ecobatterien asbl
ecotrel asbl
Encevo S.A.
Centre de Réhabilitation du Château de Colpach, Fondation Emile Mayrisch – Croix Rouge a.s.b.l. (FEM) Goeres Horlogerie
Grant Thornton Participations
HACA PARTNERS
HITEC Luxembourg S.A.
INSTITUT LUXEMBOURGEOIS LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL
LHISP S.A.
Lineheart sàrl.
Lineheart City sàrl.
Lineheart & Soft sàrl.
Linklaters LLP
LuxConnect S.A.
Luxembourg Finance Labelling Agency (LuxFLAG)
MINDFOREST S.A.
PROgroup S.A.
Centre National de Rééducation Fonctionnelle et de Réadaptation (Rehazenter)
Robin S.A.
Sigo Gest sàrl.
SuperDrecksKëscht – Oeko Service Luxembourg S.A.
The ONELIFE Company S.A.
TK Elevator Luxembourg sàrl.
XATICO Group sàrl.
ZithaSenior S.A.