L’association Solidaritéit mat den Heescherten exige le retrait du projet de loi dit « Platzverweis renforcé », dont elle dénonce « les fins répressives ».
L’extension des pouvoirs de la police, des peines disproportionnées, une « institutionnalisation » de l’arbitraire, un danger pour la liberté de rassemblement : des dix avis formellement introduits depuis le dépôt du projet de loi visant le renforcement du « Platzverweis » (éloignement), huit émettent des doutes considérables, tandis que la Chambre des salariés le rejette purement et simplement. Tel qu’il a été présenté par le ministère des Affaires intérieures, le projet propose de renforcer une loi précédente sur la Police grand-ducale. Alors que celle-ci prévoit déjà l’éloignement d’une personne d’un lieu quand elle entrave l’entrée d’un bâtiment, la nouvelle proposition introduite en juillet dernier vise une pénalisation plus stricte des comportements « dérangeants » (woxx 1796). Parmi ceux-ci, l’entrave à la circulation sur la voie publique, le fait d’importuner des passant·es et de troubler la « tranquillité, la salubrité ou la sécurité publique ». Sont surtout visées, et c’est bien la critique principale de l’association Solidaritéit mat deen Heescherten dans un avis communiqué à la presse fin mars, les personnes en situation de précarité et de sans-abrisme, dont on chercherait l’écartement des centres-villes.
Comme pour le projet de loi proposant l’introduction de la mendicité « agressive » dans le code pénal (woxx 1810), la proposition d’éloignement renforcé manque, elle aussi, de définitions claires. Aussi bien Solidaritéit mat den Heescherten que les parquets de la justice relèvent dans leurs avis respectifs l’ambiguïté des mots « salubrité, sécurité ou tranquillité publique ». Au lieu d’une définition, le projet propose une appréciation subjective de la part de la police administrative, laissant la place au doute face à des situations peu claires. « Une personne assise dans une zone piétonne et parlant à haute voix, trouble-t-elle la tranquillité publique ? », demande par exemple la Chambre des salariés dans son avis. L’application risquerait d’être arbitraire et peu prévisible.
Car même les « comportement inciviques », n’impliquant pas forcément un danger, pourraient être pénalisés. Ainsi, la police administrative pourrait ordonner à une personne de s’éloigner d’un lieu dans un cercle de deux kilomètres de diamètre et pendant 48 heures. En cas de non-respect, le projet envisage une interdiction temporaire de lieu d’une durée maximale de 30 jours et visant plusieurs rues, voire un quartier entier, ou encore une amende de 25 à 250 euros. Une demande « irréaliste » pour une personne en situation précaire, dénonce la Cour supérieure de justice. « L’on peut douter que les restrictions apportées à la liberté d’aller et de venir soient bien proportionnelles et nécessaires », conclut à son tour le Parquet général.
Autre point critiqué : la mesure d’interdiction reposerait dans les mains du ou de la bourgmestre et non d’une autorité judiciaire, menaçant la garantie de séparation des pouvoirs, opinent les justices de paix dans un avis commun. De ce fait, une voie de recours n’est pas prévue non plus.
Atteinte aux droits fondamentaux
Les personnes en situation de sans-abrisme ne seraient pas les seules touchées par le projet : la police ayant le pouvoir d’éloigner des personnes qu’elle juge comme « entravant la liberté de circulation » d’autrui, des manifestant·es, même dans des rassemblements autorisés par la mairie, pourraient être visé·es par les mesures. « À part l’absence de prévisibilité et de proportionnalité de telles mesures destinées à entraver la liberté de réunion et d’association, ces mesures constituent des actes d’intimidation à l’égard des organisateurs de tels rassemblements dont notamment les syndicats », juge la CSL.
La possible criminalisation de comportements qualifiés par des agents de police comme étant « dérangeants », sans pour autant apporter plus de clarification sur ces derniers, s’attaquerait « à un des droits citoyens les plus élémentaires, celui d’aller et de venir », critique ainsi Solidaritéit mat den Heescherten. Ceci dans un contexte social où les déguerpissements de locataires (woxx 1821) augmentent parallèlement au risque de pauvreté. L’association doute alors du sens du projet. Depuis l’introduction de la première loi sur le « Platzverweis », en 2022, huit éloignements forcés ont eu lieu. Ces chiffres contredisant « toute idée d’urgence politique », l’association exige, tout comme la CSL, le retrait du projet de loi.