Portrait : Batteur bouclé

Du free jazz au psychédélisme en passant par le metal – Benoît Martiny est un de ces musiciens qu’on peut qualifier de polyvalents. Une rencontre avant la présentation à la Philharmonie de son projet « Moons of Uranus ».

Peu importe la trajectoire de sa carrière, Benoît Martiny semble toujours prêt 
à décoller.

« Tous les gosses de deux ans aiment bien taper sur des trucs » : c’est ainsi que Benoît Martiny explique son entrée en musique, un peu comme si son parcours n’avait rien d’exceptionnel. Et pourtant, ce trentenaire avancé avec qui nous avons rendez-vous dans un coin de l’éternel café Interview dans le centre-ville de la capitale (café qui tient d’ailleurs toujours tête aux tours babyloniennes dans l’ombre desquelles il risque un jour de disparaître) n’est pas quelqu’un au trajet rectiligne. Au contraire, le batteur et percussionniste a pris plus d’une fois la tangente, afin d’élargir son champ d’action aux genres les plus variés.

Mais restons-en aux débuts : Martiny est né dans une famille de musicien-ne-s, avec un père pianiste professionnel et une mère également pianiste et chanteuse. « J’ai toujours eu une fascination pour la batterie », se rappelle-t-il. C’est pourquoi le jeune Benoît est inscrit d’abord aux cours de percussion et de musique dans la commune de Niederanven, puis au conservatoire de la capitale. Une période de laquelle il ne garde pas les meilleurs souvenirs : « J’ai détesté le solfège à l’époque – j’ai même raté ma première année. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi et comment on peut vouloir tellement dégoûter les enfants en leur inculquant de la théorie compliquée, alors que l’essentiel devrait être de les encourager à aimer et à pratiquer la musique. » Nous y reviendrons.

Apprentissage difficile

Pourtant, l’amour pour la musique prévaut et il s’accroche, jusqu’à ce qu’il tombe à l’âge de 13 ans sur les cours de percussion classique, chose qui ne l’intéresse absolument pas. Cette fois, il décroche : « J’étais un jeune ado et forcément pas vraiment intelligent », admet-il. Il passe alors par les cours d’Al Ginter pour continuer à apprendre la batterie. Pendant son adolescence, il prend ses premières marques de batteur dans diverses formations : « Pour quelqu’un qui n’avait été exposé qu’à la musique classique et à David Hasselhoff – j’étais persuadé que quelqu’un d’aussi cool que le Knight Rider ne pouvait que faire de la bonne musique –, le potentiel de découverte était énorme », raconte-t-il. Sa première formation, un groupe de metal appelé Unfolding, lui laisse des souvenirs doux-amers : « J’étais horriblement nul, mais les gars ont adoré, alors j’ai continué avec eux – même si j’étais de loin le plus jeune. » D’autres phares dans son parcours (à une époque qui, rappelons-le, ne connaissait pas encore l’internet ni le streaming – la musique étant encore une chose plus rare et donc plus précieuse) ont été les musiciens Muggi Maier et Paul Lauer, plus connus sous le nom de leur duo Plakeg oder Ugedoen – c’est surtout avec le premier qu’il s’est exercé dans diverses formations.

Un autre déclic, quoique tardif, a été la découverte de la musique grunge. Pour Martiny, qui est de la génération qui a juste loupé l’avènement interstellaire de Nirvana, c’est une interview avec le batteur de Pearl Jam qui a tout déclenché : « En la lisant, j’ai tout de suite été attiré par cette musique. Un genre que je considère comme unique, parce que le grunge représente la dernière fois où un nouveau genre est venu de l’underground pour conquérir la planète. Depuis, la musique commerciale est devenue de plus en plus superficielle et inintéressante. »

Benoît Martiny se lance corps et âme dans l’écoute des différents grands groupes de l’époque, comme Alice in Chains, Soundgarden et autres. Mais ce n’est que plus tard qu’il comprend le génie de la formation avec laquelle tout a commencé : « À l’époque, j’étais impressionné par les compositions plus complexes et je n’aimais donc pas la simplicité de Nirvana. J’ai dû passer par le jazz pour commencer à les apprécier et à comprendre le talent inouï d’un Kurt Cobain », explique-t-il.

Grunge et jazz

Ce faisant, il évoque aussi un autre tournant de son voyage musical : le jazz. Martiny y touche une première fois à l’âge de 18 ans, et c’est une passion qui ne va plus le lâcher. Ayant fait la connaissance d’autres passionnés de son âge, qui eux aussi ont de grandes carrières devant eux, comme Maxime Bender et Boris Schmit, il explore cette nouvelle galaxie avec autant d’avidité qu’une certaine sagesse : « Je sentais que même dans le jazz, tu ne peux pas tout faire », admet-il, mais ça ne l’ empêche pas de plonger tête la première dans « Blues & Roots » du grand Charlie Mingus par exemple. Un album qui le marque aussi à cause de son titre : « Il a démontré que le jazz et le rock ne se distinguent pas tellement finalement – tous deux ont leurs racines dans le blues et dans les musiques africaines par extension. » Ce n’est donc pas par hasard que l’étudiant au conservatoire royal de Rotterdam qu’il sera fera aussi partie de la formation de musique afrobeat Mdungu, avec laquelle il fera plus d’une tournée… surtout dans les contrées asiatiques.

Mais avant cela, il monte donc les échelons de l’apprentissage du jazz, en passant par les étapes qui s’imposent, dont la fondation de son propre groupe (avec lequel il a déjà quatre disques à son actif) et surtout de nombreuses collaborations avec des collègues tant à l’international qu’au niveau local.

© Gérard Beckers

La liste des personnalités avec lesquelles Benoît Martiny a soit partagé la scène soit collaboré à des enregistrements est particulièrement longue et impressionnante : Oghene Kologbo (ex-Fela Kuti), Typhoon, Thijs van Milligen, Michel Pilz, Sascha Ley, Laki Latino, Roby Glod, Neco Novellas, Mark Lotterman, Randy Brecker, Justin Adams (Robert Plant) ou Benjamin Herman. Côté luxembourgeois, il a participé à une tournée de l’égérie néo-folk Rome et est le batteur live pour les « stars » du rap local De Läb. De plus, il collabore régulièrement avec le guitariste Lata Gouveia et le groupe Voodoo Kingdom (dans lequel officie aussi son cousin).

Hors des circuits jazz et pop, Martiny est aussi resté proche de son amour pour le metal. Ainsi, il est depuis plusieurs années le batteur du groupe vénézuélien Cultura Tres. Une formation basée aux Pays-Bas, mais qui tourne principalement en Amérique du Sud. Comme dernièrement au Brésil, un voyage qui l’a beaucoup marqué : « Nous avons été reçus et accompagnés par le bassiste de Sepultura (le premier groupe de metal à jamais émerger d’Amérique du Sud dans les années 1990, ndlr), Paulo Xisto, une chose dont je n’aurais pas osé rêver il y a quelques années. »

Le tout pour nous mener en 2014, quand Benoît Martiny propose à la patronne du centre culturel opderschmelz de Dudelange, Danielle Igniti, de jouer dans son festival « Like a Jazz Machine ». Celle-ci se montre réticente, estimant son style trop rock pour sa programmation. Suite à ce premier rejet, Martiny organise la « Grand Cosmic Journey », une première exploration des profondeurs de l’espace et au-delà des genres. « J’avais envie de faire quelque chose de spécial, et vu que j’avais l’occasion de jouer avec des légendes comme Michel Pilz, Steve Kaspar ou encore Itaru Oki, j’en ai profité pour mélanger le free jazz et le psychédélisme. J’ai pris quelques compositions plus anciennes, j’y ai ajouté cinq nouvelles et des moments de free jazz entre les morceaux, et on est partis en voyage. »

En avant dans l’espace

Suite au succès de cette première mouture, dont même un CD et un DVD ont été tirés, Martiny est contacté par Serge Schonckert de la Philharmonie, qui lui propose de refaire un projet similaire dans son institution. Une offre qui plaît au musicien, mais que celui-ci oublie un peu. Mais Schonckert est revenu vers lui récemment : « J’avais presque oublié que Serge m’avait proposé de monter ce projet, alors j’ai dû vite mettre les choses ensemble. » Mesurant le privilège qu’il a de pouvoir profiter de l’infrastructure de la Philharmonie, Martiny ne lésine pas sur les moyens : en plus de son groupe, il invite un tas d’autres musicien-n-es, dont sa femme Renata Van der Vyver à l’alto, Steve Kaspar pour les ambiances électroniques, Jean Bermes au chant, Michel Pilz et Itaru Oki pour le free jazz et un tas d’autres encore. Et pour en mettre plein les yeux, il a encore engagé les VJ Laurent Cordier et Rémi Corsin.

« C’est un programme assez ambitieux. Ce sera un opéra de l’espace divisé en sept chapitres (dont chacun sera expliqué dans la brochure), contenus dans quatre morceaux que je viens de composer. J’ai tout de même fait attention à ce que les morceaux ne soient pas trop compartimentés, en laissant de la place à chacun-e pour s’exprimer dans des moments plus libres », explique-t-il. Par exemple, Jean Bermes serait en train de s’entraîner à chanter en langue klingonne – issue de l’univers Star Trek. Le tout se déroule dans le cadre d’une résidence à la Philharmonie. Même s’il est content et fier de pouvoir profiter de la petite scène de la grande Philharmonie, l’organisation est tout de même fastidieuse, comme Martiny le met en avant : « Je suis conscient de la prise de risque. Même si nous recevons des subsides du ministère de la Culture, je dois payer mon équipe. Moi-même, je n’en tirerai aucun profit, je le fais pour le plaisir de la musique et rien d’autre. »

Si Martiny peut se permettre de telles aventures, c’est parce qu’il tombe aussi dans un certain sens sous la catégorie – tant honnie par certain-e-s dans la scène musicale – de « Hobbykënschtler », car il donne des cours de percussion trois fois par semaine à l’école de musique d’Echternach : « Cela me permet de réaliser les projets qui m’intéressent », estime-t-il. Avant d’enchaîner sur le fait que donner des cours lui apporte beaucoup plus qu’il ne pensait : « Tu apprends tellement de choses de tes élèves que tu peux en quelque sorte réapprendre ce que toi à l’époque tu as raté. Apprendre la musique à quelqu’un est une des choses qui ne peut pas rendre pire le monde qui nous entoure. » Et voilà que la boucle est bouclée, et surtout voilà comment la machine Benoît Martiny tourne.

« Moons of Uranus », le 2 mars 
à la Philharmonie.

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