Contrairement aux prévisions des sondeurs, le Rassemblement national (RN) n’est pas sorti en tête des législatives françaises et a encore moins obtenu de majorité absolue qui aurait ouvert les portes de Matignon à Jordan Bardella. Mais avec 125 député·es, le parti est de loin le mieux représenté à l’Assemblée nationale. Le danger de le voir accéder au pouvoir en 2027 reste entier.
Il y avait résolument quelque chose de jubilatoire à voir les mines défaites des ténors du RN sur les plateaux de télé à l’issue du second tour des législatives françaises. Donnés vainqueurs par les sondeurs, le RN et ses alliés transfuges de LR terminent finalement en troisième position, avec un total de 145 sièges, contre 178 pour le Nouveau Front populaire (NFP) et 150 pour Ensemble, le camp présidentiel.
Vice-président de la formation à la flamme et maire de Perpignan, Louis Aliot accusait le coup dimanche soir, tout en entonnant l’éternel refrain de l’élection volée par « les partis du système ». Réélu dans la 8e circonscription de Moselle, le député Laurent Jacobelli, figure provocatrice et médiatique du RN, a conservé son habituel sourire en coin, martelant que son parti est désormais le mieux représenté à l’Assemblée nationale et que la suite s’écrira en 2027, lors de la prochaine course à l’Élysée.
De sept député·es en 2017, le RN est passé à 125 élu·es dans la nouvelle Assemblée, après y en avoir déjà aligné 88 en 2022. La progression est indiscutablement spectaculaire et sans précédent dans l’histoire récente. Si le NFP sort en tête du scrutin et si le camp macroniste décroche la seconde place, il s’agit dans les deux cas de coalitions rassemblant à chaque fois plusieurs formations distinctes, dont aucune n’est parvenue à faire élire davantage de représentant·es que le RN. Ce dernier est donc bien le parti le mieux représenté à la chambre basse. En deuxième position, on trouve Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, qui envoie 99 députés au Palais Bourbon. Un bon résultat que la formation doit essentiellement aux dizaines de désistements de candidat·es de gauche en faveur de macronistes mieux placé·es, au nom du barrage contre l’extrême droite. À noter que la réciproque ne s’est pas systématiquement appliquée. Comme en 2017 et en 2022, c’est la gauche qui sauve la peau d’Emmanuel Macron, dans le seul but d’empêcher le parti raciste de conquérir le pouvoir. À gauche, c’est La France insoumise (LFI) qui tire le mieux son épingle du jeu, avec 71 sièges.
La défaite du RN à ces législatives est donc toute relative et n’éloigne en rien le danger de voir Marine Le Pen élue présidente en 2027. L’immigration, l’antisémitisme et l’insécurité sont depuis toujours le fonds de commerce du parti fondé il y a plus de cinquante ans, entre autres par d’anciens SS et nostalgiques du régime de Vichy.
Un programme taillé sur mesure
Mais à n’en pas douter, ces dernières années, le RN a prospéré sur la politique économique brutale de Macron et sur sa négation de la démocratie parlementaire et sociale. Étude après étude, les Français·es confirment que le pouvoir d’achat et le niveau de vie figurent en tête de leurs préoccupations, loin devant les délires identitaires du parti lepéniste. Les scores sans appel réalisés par le RN dans les Hauts-de-France, où de larges pans de la population subissent la précarité depuis parfois plusieurs générations, illustrent ce constat. C’est donc en s’attaquant d’abord à l’injustice et aux inégalités sociales croissantes suscitées par les politiques néolibérales que l’on parviendra à faire reculer l’extrême droite, en France comme ailleurs dans le monde.
Le programme du NFP semble taillé sur mesure pour cela, avec sa promesse de hausse du smic, de blocage des prix des produits de première nécessité, de hausse des impôts des plus riches ou encore d’abrogation des réformes des retraites et de l’assurance chômage. Autant d’hérésies aux yeux de la macronie et de la droite. Dès les résultats connus, au soir du 7 juillet, leurs pistoleros ont surjoué l’alerte sur le programme économique du NFP, qui serait synonyme de « ruine du pays », alors qu’il est chiffré et contiendrait les déficits publics.
Vainqueur des législatives, le Nouveau Front populaire ne dispose pas de la majorité absolue de 289 député·es nécessaire pour faire adopter toutes ses mesures. Le fractionnement du champ politique en trois blocs presque égaux rend le pays ingouvernable, à moins de rechercher une coalition centrale appuyée sur une culture du compromis. Macron l’appelle désormais de ses vœux, après avoir tant méprisé son opposition de gauche. C’est pourtant loin d’être gagné. Renoncer à ses principales exigences de justice sociale constituerait une trahison morale pour le NFP et un suicide politique en vue de 2027. Pour Macron et la droite, céder à une gauche qui veut radicalement rompre avec leurs politiques des privilèges est exclu. Quitte à balayer d’une main le message que viennent de leur adresser les Français·es. Et donc de continuer à dérouler le tapis rouge au clan Le Pen. À croire qu’il s’agit là d’un moindre mal à leurs yeux.