Registre des bénéficiaires effectifs : Transparence pour tous !

Le Luxembourg rétablit l’accès des journalistes au registre des bénéficiaires effectifs (RBE), fermé le 22 novembre après une décision de la justice européenne. Mais qu’en est-il du grand public, auquel cet outil de transparence financière était destiné ?

Photo : Joshua Woroniecki/Unsplash

Le ministère de la Justice a annoncé mardi 6 décembre dans un communiqué que l’accès au RBE sur le site du Luxembourg Business Register (LBR) sera rétabli « pour les représentants de la presse qui ont un intérêt légitime » à le consulter. C’est une bonne nouvelle pour les journalistes, particulièrement celles et ceux spécialisé-es dans les enquêtes financières, car ce registre permet de savoir qui sont les actionnaires détenant réellement une société dès lors qu’ils en contrôlent au moins 25 % des parts. Cela a contribué à faciliter le travail de la presse et aidé à la révélation de pratiques de blanchiment ou d’évasion fiscale. La constitution de ces registres dans chaque pays de l’UE était une disposition de la cinquième directive de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, adoptée en 2018 et mise en œuvre par le Luxembourg en 2019.

Mais son accès avait été suspendu le 22 novembre dans la quasi-totalité des pays de l’UE, suite à un arrêt rendu le matin même par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette dernière jugeait que la possibilité offerte à toute personne de consulter les informations du RBE contrevient à la protection de la vie privée et des données des actionnaires. Les magistrat-es européen-nes donnaient ainsi satisfaction à la demande de Sovim SA, une société luxembourgeoise, à l’origine de la procédure.

La décision du ministère luxembourgeois de la Justice d’autoriser à nouveau l’accès au RBE aux journalistes n’a rien d’étonnant, et la plupart des pays européens devraient suivre cette voie dans les semaines à venir. Dans son jugement, la CJUE a en effet rappelé que la presse ou les organisations de la société civile demeurent légitimes à le consulter, car cela « contribue à préserver la confiance dans l’intégrité des transactions commerciales et du système financier ».

Reste à savoir quels journalistes sont légitimes à consulter le RBE, tel que l’indique le ministère de la Justice dans son communiqué. Interrogé à ce sujet, celui-ci n’a pas été en mesure de nous répondre immédiatement. Et peut-être ne s’est-il pas vraiment posé cette question pourtant centrale.

Photo : Kristina Flour/Unsplash

« Il y a ceux qui veulent savoir et faire savoir, ceux qui ne préfèrent pas savoir, et ceux qui ne veulent pas que les autres sachent »

À vrai dire, les autorités refilent la patate chaude au Conseil de presse, l’organisme paritaire qui régit la profession au Luxembourg. C’est à lui qu’il reviendra de décider quels journalistes sont légitimes ou non à accéder au RBE. Mais dans cette affaire, le Conseil de presse refuse de jouer les arbitres : « Nous inscrirons tous ceux qui possèdent une carte de presse et qui nous en feront la demande sur la liste des journalistes autorisés à y accéder », indique son président, Roger Infalt. Le tout devra être formalisé par la signature d’une convention avec le LBR, un document dont le Conseil de presse ignore pour l’instant tout du contenu.

Après l’émoi suscité par l’arrêt de la CJUE, les journalistes se voient donc rétabli-es dans leur droit. Peut-on pour autant dire que « tout est bien qui finit bien » ? Le 22 novembre, la CJUE n’a pas spécifiquement interdit l’accès du RBE aux journalistes mais à l’ensemble du public. La directive de 2018 spécifiait que la consultation du RBE, jusque-là réservée à un nombre restreint de professionnels, devait être garantie « dans tous les cas à tout membre du grand public ». Il s’agissait incontestablement d’une avancée majeure en matière de transparence financière et de partage des informations.

« Il y a ceux qui veulent savoir et faire savoir, ceux qui ne préfèrent pas savoir, et ceux qui ne veulent pas que les autres sachent », écrivait le sociologue et spécialiste des médias Joaquim Marcus-Steiff. Parmi ceux qui ne veulent pas que les autres sachent figure cette partie des milieux d’affaires qui ne goûtaient guère l’exercice de transparence qui leur était imposé par le RBE. Les journalistes font, de leur côté, partie de celles et ceux qui veulent savoir et faire savoir, mais ne sont pas seul-es légitimes dans cet exercice. Cela est d’autant plus vrai avec l’internet et les réseaux sociaux, qui sont devenus un vecteur d’information à part entière dont chacun-e peut se servir – pour le meilleur et le pire. Accéder à l’information et la transmettre est un droit consacré par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que tout individu peut « recevoir et répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

La transparence ne doit pas être réservée à un petit nombre. Elle est l’affaire de toutes et tous.


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