Sûreté nucléaire française : Ce sera pas pour demain

Améliorer la sûreté des centrales, c’est la promesse faite il y a dix ans. Nous reprenons la présentation par Greenpeace d’un état des lieux effectué par l’Institut négaWatt.

Calendrier potentiel d’achèvement des mesures de renforcement prévues, avec Cattenom dans le peloton de queue. Les échéances prévisionnelles ont été établies sur la base des indications de l’ASN pour les réacteurs 900 MWe, et selon l’hypothèse d’un rééchelonnement de même type pour les autres.

Le 11 mars 2011 a débuté la catastrophe nucléaire de Fukushima. Après Three Mile Island et Tchernobyl, avec ce troisième accident majeur en une trentaine d’années, les aléas du monde réel ont fait s’écrouler le mythe d’un nucléaire jugé théoriquement « sûr ». Dès les premières semaines, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l’a reconnu dans une interview : « On ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. »

Une nouvelle doctrine en matière de sûreté s’est rapidement imposée au niveau mondial, consistant à garantir la résistance des installations nucléaires à toute une série de situations exclues jusqu’alors. Une doctrine qui devait dorénavant conduire à « imaginer l’inimaginable », selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Très peu de mesures dans les temps

Le parc nucléaire français a été essentiellement conçu et construit avant ces accidents. Les premiers « stress tests » conduits en urgence en 2011 ont révélé l’ampleur des modifications à apporter aux installations pour atteindre un niveau de sûreté acceptable pour les autorités, notamment pour mettre en place le concept de « noyau dur ». L’ASN annonce alors un délai de dix ans pour mettre en œuvre l’ensemble des mesures nécessaires. Le compte à rebours a commencé.

Dix ans après la catastrophe de Fukushima, Greenpeace France a souhaité faire la lumière sur les mesures réellement mises en œuvre par EDF au regard des principales mesures prescrites par l’ASN. Sur la base des données disponibles et des réponses fournies par l’ASN à Greenpeace France, la conclusion est que seulement la moitié des modifications essentielles ont été mises en place sur l’ensemble du parc nucléaire français. Aucun réacteur actuellement en fonctionnement en France n’est aujourd’hui aux normes post-Fukushima.

Par exemple, l’arrêt automatique du réacteur en cas de séisme, que l’ASN déclarait en 2017 réalisé pour l’ensemble du parc, ne sera pas achevé avant 2035 au mieux. Extrait du rapport de négaWatt : « L’ASN indiquait dans son plan d’action national de 2017 que toutes ces dispositions ont été mises en œuvre pour l’ensemble du parc. Cependant, les indications qu’elle fournit dans sa réponse du 3 mars 2021 au courrier de Greenpeace montrent que cela n’est au contraire pas encore le cas pour l’une d’entre elles : ‘La fonction d’arrêt automatique du réacteur en cas de séisme est en service sur Tricastin 1, Bugey 2, Chooz B1 et B2. EDF prévoit de la mettre en service sur les autres réacteurs de 900 MWe (sauf ceux de Fessenheim) lors de leur quatrième visite décennale et sur les autres réacteurs de 1.450 MWe lors de leur deuxième visite décennale. EDF prévoit de la mettre en service sur les réacteurs de 1.300 MWe lors de leur quatrième visite décennale.’ Ainsi, alors que cette mesure devait être mise en place au plus tard en 2015, et alors que l’ASN avait communiqué publiquement sur sa bonne réalisation, cette mesure n’est en réalité pas mise en œuvre sur la plupart des réacteurs, et est repoussée par l’ASN à 2035 pour les dernières tranches. »

À niveau, mais pas avant 2039

Greenpeace France est donc en mesure d’affirmer que le parc nucléaire français ne sera pas aux normes post-Fukushima avant au mieux 2039, soit avec un retard de presque 20 ans. À titre d’exemple, les réacteurs de Nogent-sur-Seine, proches de Paris, ou de Paluel, proches du Havre, ne seront pas complètement aux normes avant respectivement octobre 2035 et juillet 2039.

Plus généralement, on constate un glissement de calendrier dangereux et peu transparent – l’ASN n’impose pas, mais compose avec les manquements d’EDF. En effet, le calendrier des réexamens décennaux s’est discrètement substitué à l’échéancier initial. Dès 2014, le plan d’action national de l’ASN fait apparaître trois phases, dont la troisième s’étend après 2019 : il s’agit déjà d’un renoncement inavoué à l’objectif initial d’une mise en œuvre en dix ans. Ce glissement de calendrier continue de s’opérer sans transparence et en l’absence de réel contrôle démocratique. Il expose pourtant la population française à des risques connus pendant une longue période, d’autant plus que le parc nucléaire est vieillissant et que son niveau de conformité est, de l’avis même de l’IRSN, sujet à caution.

Une nouvelle fois, l’industrie nucléaire s’affranchit des principes démocratiques et fonctionne sur le principe du fait accompli. En choisissant de ne pas imposer à l’exploitant EDF de tenir les délais impartis, de ne pas le sanctionner mais au contraire de composer avec son incompétence, l’ASN se fait complice de cette situation.

Greenpeace France demande aujourd’hui à l’ASN de prendre les mesures nécessaires pour accélérer le calendrier des travaux post-Fukushima et au gouvernement de faire toute la transparence sur le niveau réel de sûreté et de conformité des réacteurs nucléaires français.

Greenpeace, le 9 mars 2021

Le rapport est téléchargeable sur greenpeace.lu
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