« Vincent River », la nouvelle création du TOL, est par ses qualités littéraires plus qu’un simple message de tolérance. Avec, en prime, une comédienne et un comédien qui ne ménagent pas leurs efforts dans une production haletante.

Le jeu de masques entre Anita (Catherine Marques) et Davey (Massimo Riggi) passe aussi par des phases d’apaisement. (Photo : Ricardo Vaz Palma)
Survivre au meurtre de son fils Vincent River dans un lieu de rencontres homosexuelles, c’est ce que tente de faire Anita, 53 ans, en emménageant dans un nouvel appartement. Et puis un beau jour, elle y fait entrer Davey, jeune homme de 16 ans qui la suit depuis l’enterrement. C’est lui qui a trouvé le corps, avoue-t-il, avant de se dire constamment tourmenté par ce qu’il a vu ce soir-là. S’engage alors un dialogue, par bribes saccadées au début, qui deviendra au fil de la pièce une quasi-joute verbale. Elle veut tout savoir des circonstances de la macabre découverte ; il veut tout connaître de ce garçon qu’il a trouvé tabassé à mort dans les toilettes sordides d’une gare désaffectée.
Philip Ridley, auteur britannique, ressuscite dans son texte un personnage mort, Vincent River, à travers les mots de deux personnages vivants. Très classique, sa montée en tension au fil des confidences échangées est néanmoins parfaitement efficace : Anita et Davey, d’abord secrets, finissent par s’épancher et passent par toutes les phases des sentiments humains. Ils se flairent, se touchent, se repoussent, le tout avec des expressions crues parfois, pudiques par moments. Un grand-huit de dialogues ciselés rendu sur scène à merveille. Catherine Marques, tout d’abord à la limite d’être méprisante, va peu à peu faire face au ce non-dit tacite – l’homosexualité de son fils – en baissant temporairement la garde, montrant une belle palette de jeu. Massimo Riggi, garçon effacé au début, fait ressortir au fur et à mesure que le temps passe une énergie sexuelle débordante d’adolescent qui se cherche encore. Entre cris et chuchotements, tous deux entrent dans leurs personnages à un tel point qu’une fois les lumières rallumées, on sent une difficulté extrême à revenir à la réalité. Qui, il faut bien le dire, n’épargne pas non plus spectateurs et spectatrices.
Véronique Fauconnet n’a pas besoin d’appuyer la mise en scène : tout juste se contente-t-elle, pour ne pas faire d’ombre à ce duo formidable motivé par un texte à la mécanique de précision, de souligner la distance du début par un jeu de transparence dans le décor sobre de Jeanny Kratochwil. Pour le reste, elle accompagne le feu qui couve sans l’attiser, ponctuant les explosions sans trop en faire : les dialogues et leur incarnation scénique priment. Tout concourt à ressusciter, en l’espace d’une petite heure et demie dans un appartement quasi vide, le personnage absent et pourtant principal, sous toutes ses facettes. Car Vincent River était certes homosexuel, ce qui a conduit à sa fin prématurée, mais aussi fils, amoureux, artiste, et tant d’autres choses évoquées encore.
À un moment où l’actualité récente nous rappelle que même dans nos sociétés occidentales relativement apaisées, on tue encore en réduisant l’autre à son appartenance à une supposée communauté, « Vincent River » vient crier sur les toits de la plus belle façon que nous sommes une somme d’appartenances, un mélange irréductible à la simplification outrageuse. Une réussite, tant sur le fond que sur la forme.