INSTALLATION: Hang on in there

« Actus Tragicus », l’installation de l’artiste néerlandais Folkert de Jong dans le hall du Mudam est une mise en contexte réussie de questions métaphysiques que l’humanité n’a jamais arrêté de se poser.

Avec Folkert de Jong, le Carnaval fait son entrée au Mudam.

La première impression que laisse « Actus Tragicus » peut être trompeuse. Car non, il ne s’agit nullement d’un rassemblement de pendus, même si les figures surdimensionnées et vivement coloriées pendent du plafond en verre du Grand Hall du Mudam. Si on regarde bien, on remarque qu’ils ne sont pas attachés par la nuque, mais un peu plus bas, ce qui laisse plutôt penser à des pantins géants, sortis d’un théâtre de marionnettes appartenant à un autre âge.

Et ce n’est pas si faux, vu que l’artiste s’est inspiré, ou mieux, a tiré ses figures directement d’un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, « Le Combat de Carnaval et du Carême », datant de 1559. Dans ce tableau, on voit s’affronter deux figures allégoriques : le prince Carnaval et la dame Carême. Sa composition peut nous paraître cryptique, mais elle montre bien l’importance du Carnaval au Moyen Age, dans le sens où, pendant une courte période, le monde était retourné : les fous devenaient princes, les nobles ignobles et le petit peuple régnait sur le pays. L’importance de ce rituel, vieux de plus de 5.000 ans, résidait dans son rôle d’exutoire social. En donnant une fois par an la permission aux gens de sortir de leurs classes sociales et de renverser les hiérarchies, la classe dominante s’achetait aussi une part de paix sociale. C’est surtout au critique littéraire Mikhaïl Bakhtine que nous devons cette notion du carnavalesque, à travers son essai – devenu un classique – sur François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance. Certes, Brueghel encodait aussi une critique de ses contemporains dans son tableau, comme par exemple celle des guerres religieuses qui dévastaient son pays à ce moment, mais cela est sans rapport avec la relecture qu’expose en ce moment son compatriote au Mudam.

Car Folkert de Jong revisite le tableau de Brueghel pour lui donner aussi un nouveau sens – pas étonnant, vu que les fêtes de Carnaval du 21e siècle ont été totalement vidées de leur sens originel par la culture événementielle. D’abord par l’apparence qu’il donne à ses figures : elles sont surdimensionnées et repeintes de couleurs criardes et fluorescentes pour certaines, ce qui les raccorde plutôt à la culture street art et au monde du graffiti qu’au Moyen Age. Et puis, il y a surtout le matériau utilisé – de la mousse rigide employée habituellement dans le bâtiment – par lequel de Jong signifie qu’il veut arracher ces figures de leur contexte historique pour les replacer dans l’ici et le maintenant, tout en créant un lien avec leur origine – signifié par l’inspiration directe puisée dans une oeuvre du 16e siècle.

Mais quelle importance peuvent revêtir ces dix pantins géants aux yeux du spectateur contemporain ? Le message est, peut-être, que même si la notion du Carnaval à l’ancienne est perdue, les questions dont celle-ci relève restent pertinentes pour l’homme (post-)moderne et que même si pour nous abstenir de nous révolter contre l’état du monde et la classe dominante – qui s’est aussi complexifiée depuis le Moyen Age – on a inventé toute une industrie du divertissement, mettre en question les relations que nous entretenons avec le pouvoir politique et religieux reste toujours de mise.

Au Mudam, jusqu’au 8 septembre.


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