Photographie : Bons Baisers de Paris

Encore jusqu’au 10 mars, la Moderne Galerie de Sarrebruck expose 200 photos, prises pendant 100 ans, de la ville de Paris. Des mastodontes de la photographie défileront sous nos yeux.

Paris est au cœur de l’exposition de photos « Mythos Paris. Fotografie.1860 bis 1960 ». (COPYRIGHT : Nuno Lucas Da Costa)

« Mythos Paris. Fotografie 1860 bis 1960 » clôt avec brio les commémorations des 60 ans du Traité de l’Élysée. L’expo rassemble, autour de la ville lumière, une ribambelle de noms comme Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Brassaï, Man Ray, Sabine Weiss, Gisèle Freund, Otto Steinert ou encore le Luxembourgeois Romain Urhausen, qui mériteraient à eux tous seuls des expositions individuelles. Pourtant, il s’agit de mettre à l’honneur la capitale française sous l’angle de l’évolution de la photographie elle-même. Les clichés nous rappellent que Paris est le berceau de ce nouvel art, car c’est ici que l’État français acquiert le brevet du daguerréotype en 1839. Les photographes de tous bords avaient ainsi accès à ce procédé photographique révolutionnaire. La genèse de l’expo repose quant à elle sur le nom d’Édouard Baldus et son album « Photographies de Paris », découvert en 2021 lors de travaux de catalogage à la bibliothèque du Saarlandsmuseum de Sarrebruck. Ce trésor de la photographie contient 31 tirages originaux sur papier albuminé et dévoile différentes édifications architecturales et monumentales de Paris, témoignant ainsi des mutations urbaines au cours du règne de Napoléon III.

À travers la précieuse découverte de celui qui est considéré comme l’ancêtre de la photographie documentaire et à travers ses cadrages quasi kubri- ckiens, nous redécouvrons, parmi tant d’autres, le Louvre et son ancienne entrée, le Pont des Arts, la gare de l’Est, le Panthéon, la coupole des Invalides ou encore l’église Saint Eustache devant les anciennes halles de Paris.

Ce sont d’ailleurs les Halles qui sont à l‘honneur de l’affiche de l’expo, avec un cliché signé, cette fois, de Romain Urhausen et tiré de son livre « Les Halles. L’album du cœur de Paris » (1963). Il fait nuit et on aperçoit, dans un halo de lumière, l’apprivoisement de ce lieu emblématique destiné à alimenter toute une population. L’endroit était aussi, pour ainsi dire, un authentique microcosme social. Urhausen photographia les scènes de cette routine nocturne parallèle, alors qu’une autre partie de la ville sommeillait.

La photographie humaniste

Que le public se détrompe s’il pense ne découvrir dans cette expo qu’une simple observation de Paris sous son angle monumental. Comme disait le poète et journaliste Robert Giraud, « la rue de Paris est le musée de la vie quotidienne ». Accompagnant l’évolution des techniques et procédés photographiques, la capitale française devient un authentique laboratoire pour l’art de la photographie moderne. De nombreux mouvements y feront école, dont la photographie humaniste, mise en lumière par des photographes comme Robert Doisneau, Cartier-Bresson ou encore Brassaï. Les visiteurs-euses verront bien sûr, entre autres, l’emblématique photo de Doisneau, « Le baiser à l’hôtel de Ville ». Deux jeunes amants s’embrassent avec fougue et librement en pleine rue, devant le bâtiment de la mairie de Paris, au milieu de passants. On apprendra plus tard que ce geste, longtemps considéré comme spontané, n’était finalement qu’une mise de scène de deux comédiens, à la demande de Doisneau. Les embrassades ne s’arrêtent pas ici. La photographe Sabine Weiss se prête au même jeu avec « Amoureux s’embrassant un soir de 31 décembre, 1956 », ou encore avec Gisèle Freund et son cliché datant de la même année « Rue de Tivoli ». Nous sommes aux prémices des Trente Glorieuses et plus encore que savourer le goût de la liberté retrouvée après la Seconde Guerre mondiale, il était alors surtout question de placer l’humain au centre de l’objectif, tout en dépeignant l’effervescence que la capitale française vivait.

S’ensuit donc toute une série de photos qui ne mettent pas uniquement en scène des moments d’affect, mais aussi des scènes anodines d’un quotidien normal sous toutes ses facettes sociales. Nous retiendrons une photo de Cartier-Bresson captant dans son objectif Giacometti en personne (« Albero Giacometti rue d’Alesia »), traversant hâtivement une rue sous la pluie, enfoui tant bien que mal sous sa gabardine. Cette école humaniste des années 1950 se heurta néanmoins à la « Subjektive Fotografie », mise en avant par Otto Steinert. Ce Sarrebruckois ne célèbre pas Paris à travers des portraits ou des documentaires, mais à travers sa mise en forme. Impossible, ici, de ne pas évoquer sa célébrissime photo « Lampen an der Place de la Concorde » de 1952. En secouant son appareil, il a créé des traînées sur la pellicule, produisant un effet d’optique innovant pour l’époque. Si Édouard Baldus marque le début chronologique de l’exposition, Otto Steinert fait office de voiture-balai. En effet, 1960 marque la fin des activités du photographe allemand à Sarrebruck, ville qui l’a vu naître et, surtout, qui a vu ses expositions « Subjektive Fotografie », qui continuent à être toujours évoquées.

Certes, une grande partie des clichés exposés ont largement contribué à forger le mythe de la ville de Paris. Indéniablement, la capitale française s’est transformée, de la fin du 19e siècle aux années 1930, en un « hub » d’artistes de tous horizons, désireux d’expérimenter librement. Comme en témoigne l’exposition, la ville a récupéré cette avidité de liberté créative après la Seconde Guerre mondiale. Même si Paris reste la ville plus visitée au monde, il est perceptible qu’elle a perdu quelque peu de son éclat dernièrement, surtout dû à des problèmes liés à l’insécurité, à l’insalubrité ou encore à une détresse sociale latente. La capitale française tient son épithète de « ville lumière » grâce au succès du pavillon de l’électricité lors de son Exposition universelle de 1900. À l’instar de cette époque, gageons que la ville, avec laquelle nous avons tous un lien, retrouvera son aura avec les Jeux Olympiques de cet été, et qu’elle suive avec élan le précepte ancestrale de ces derniers: « Citius, Altius, Fortius ».

Jusqu’au 10 mars à la Moderne Galerie de Sarrebruck (Bismarckstraße 11-15, Saarbrücken (D))

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