CINEMA: Les films l’aiment froid

La face cachée de la cinémathèque municipale de Luxembourg: la préservation et la restauration de films. Explications du directeur de la cinémathèque, Claude Bertemes.

„Nos archives se trouvent à la Cloche d’Or et non Place du Théâtre, dans la salle du Vox“, s’empresse de préciser au téléphone Claude Bertemes, le directeur de la cinémathèque municipale de Luxembourg. Beaucoup de visiteurs – et aussi de journalistes – semblent en effet ignorer la double face des activités d’une cinémathèque. D’un côté, il y a bien sûr les séances de projection publiques, mais de l’autre, il y a le travail d’archivage, de conservation et parfois de restauration des films effectué dans le dépôt de la cinémathèque, situé dans la zone d’activité de la Cloche d’Or.

Les bobines des films sont entreposées sur 5,4 kilomètres de rayonnages. Des films de l’époque du muet côtoient des blockbusters US récents, des films français tournés sous l’occupation reposent à côté d’oeuvres du „cinema novo“ brésilien. Au cours de ses 28 ans d’activités, la cinémathèque de Luxembourg a accumulé un trésor de guerre de plus de 14.000 copies de films, en suivant la maxime du fondateur de la cinémathèque française, Henri Langlois, „il faut tout
garder“.

Copies vinaigrées

Depuis l’époque des débuts aventureux autour du fondateur Fred Junck, beaucoup de choses ont changé. „Il faut dire que l’époque des corsaires des cinémathèques est terminée“ avance Claude Bertemes dans son bureau rempli d’affiches de films et de collections de journaux. „Au début, les cinémathèques se sont construites contre les ayant droits des films, qui ne se souciaient absolument pas de la préservation des films, considérés comme de simples marchandises.“

Aujourd’hui, l’explosion du marché des DVD et l’arrivée du numérique ont changé la donne. Les majors américains de la production de films ont tout à fait intérêt à ce que leurs films soient conservés dans de bonnes conditions en vue d’une exploitation ultérieure sur le marché des DVD ou pour alimenter le marché vorace des chaînes de télévision pour cinéphiles. La cinémathèque municipale reçoit ainsi en dépôt des films de la part de distributeurs belges. Les copies sont conservées dans une espèce de frigo géant, à une température constante de six degrés, avec une humidité de l’air de 40%.

Les films aussi sont mortels. Des scientifiques ont mené des études détaillées sur la durée de vie des copies de films et ont mis à jour des différences spectaculaires en fonction de la température de conservation. Si les bobines de films sont exposées à une chaleur trop élevée, le „syndrome du vinaigre“ menace les copies: elles commencent par dégager l’odeur caractéristique du vinaigre, pour terminer par se décomposer complètement.

Les effets du syndrome du vinaigre apparaissent pourtant relativement bénins en comparaison avec le caractère explosif des pellicules nitrate, utilisées jusqu’en 1952. Le nitrate a en effet la particularité d’être hautement inflammable. Dans le passé, des collections entières de films nitrate sont devenues la proie des flammes dans des incendies spectaculaires. Par mesure de précaution, la cinémathèque municipale ne garde pas elle-même les copies nitrates qu’elle acquiert, mais les confie à la cinémathèque royale de Belgique, mieux équipée pour stocker ce genre de matériel.

A partir de 1952, des pellicules acétates, dites de „sécurité“, ont pris le relais, rendant l’archivage de films une entreprise moins brûlante. Certaines copies couleur présentent néanmoins un autre problème de conservation: elles virent au rouge ou au bleu selon les cas (phénomène des „fading colors“). Les pellicules produites par la firme Eastmancolor sont particulièrement sensibles à ce phénomène, qui rend nécessaire l’utilisation de filtres spéciaux lors de la projection.

Certaines prédisent l’extinction des copies pellicule. Le DVD et la numérisation des films tueraient les copies pellicule. Claude Bertemes ne le pense pas. „On ne sait rien de la durée de vie des supports numériques. On n’a tout simplement pas l’expérience de long terme avec ces formats. Pour les DVD on sait en revanche que leur durée de vie est de 30 ans environ“ Chaque transfert d’un format à un autre provoque aussi une déperdition de qualité. „La différence est un peu comme entre la Joconde au Louvre et les affiches qui peuvent en être tirés. C’est tout simplement une question d’aura“, résume Bertemes. Sans compter que la meilleure copie DVD n’offre pas de substitut au plaisir partagé d’une séance de cinéma collective.

Public exigeant

La collection de la cinémathèque reflète fortement les goûts cinématographiques de son fondateur. „Fred Junck a été très marqué par les goûts des macmahoniens, cette génération de cinéphiles qui se retrouvait au cinéma Mac-Mahon à Paris. Ses préférences allaient au cinéma d’Otto Preminger, Raoul Walsh, Fritz Lang et Joseph Losey“, raconte Claude Bertemes. A ses débuts, la cinémathèque achetait beaucoup de copies en 16 mm de films de série B américains, de préférence en version originale. Ces dernières années, l’accent a été mis davantage sur l’achat de copies en format 35 mm et d’une qualité suffisamment bonne. „Le public est devenu plus exigeant, notamment à cause des DVD. Il n’apprécie pas forcément
les copies en mauvais état, rayées ou abîmées“, explique Bertemes.

Les échanges internationaux avec d’autres cinémathèques constituent une part importante des activités de la cinémathèque, bien qu’elle ne soit pas visible pour le public luxembourgeois. Il ne se passe pas une semaine sans que la cinémathèque municipale, réputée au niveau mondial pour sa collection de films américains des années quarante et cinquante, ne soit sollicitée par une cinémathèque étrangère pour le prêt d’une copie. Claude Bertemes et son équipe doivent alors décider si l’état de la copie permet un prêt et si l’institution demandeuse présente toutes les garanties de professionnalisme.

La cinémathèque s’engage périodiquement dans des
activités de restauration de films. Elle a ainsi participé en 2002 à la restauration de „Lola Montès“, l’un des chefs d’oeuvre de Max Ophuls. „Mr. Arkadin“, l’un des grands films maudits d’Orson Welles, a été restauré récemment, en coopération avec le Filmmuseum de Munich. La cinémathèque de Luxembourg disposait de plusieurs versions du film, ce qui a rendu possible un travail de reconstruction. La version restaurée, la plus fidèle possible aux intentions initiales de Welles, sortira en janvier 2006 en DVD aux Etats-Unis.

„To preserve and to show“ est la maxime des cinémathèques à travers le monde. Le renouvellement du public est également une priorité pour Claude Bertemes. „Chaque génération de cinéphiles se construit ses propres références; nous ne devons pas perdre le contact avec les nouvelles générations.“ La programmation de la cinémathèque s’est beaucoup diversifiée au cours des dernières années: des cycles plus courts et davantage axés sur des thématiques spécifiques ont pris la place des longues rétrospectives chronologiques consacrées à un acteur ou réalisateur. „La conservation des films n’est pas seulement une tâche matérielle. Il y a aussi la préservation mentale. Il faut que le cinéma d’hier continue à vivre dans l’esprit du public.“


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