PREVENTION: Les jeux ne sont pas encore faits

Le bilan 2008 du Centre de prévention des toxicomanies se lit aussi comme un catalogue de revendications au nouveau gouvernement.

Selon le Cept, le Zubito aurait les mêmes effets sur les jeunes que les bandits manchots sur les cracks de Vegas.

Qui croit encore que la prévention des toxicomanies se limite à raconter aux jeunes que se piquer à la brune serait mal, très mal, se trompe. La prévention comme l’entend réaliser le Centre de prévention des toxicomanies (Cept) commence beaucoup plus tôt que la première rencontre avec de l’héroïne. Selon sa directrice Thérèse Michaelis, elle serait même omniprésente dans notre vie, car ce ne sont pas seulement les substances, mais aussi certains comportements qui peuvent se révéler hautement addictifs. «C’est une histoire d’attitude face à la vie », expliquait-t-elle lors de la présentation du bilan 2008 du Centre, « Tout un chacun peut s’offrir un petit plaisir de temps en temps, mais c’est l’attitude face à ces plaisirs qui compte – je peux manger du chocolat pour mon plaisir, mais je peux aussi m’empiffrer compulsivement ».

Le comportement addictif commence donc bien avant la première rencontre avec une drogue, qu’elle soit illégale ou non – c’est une histoire psychologique avant tout. De plus, le rôle du Cept n’est pas de prévenir la criminalité liée aux drogues, mais bien de lutter contre tout ce qui peut être addictif. Rentrent donc en ligne de compte aussi les jeux du hasard. Et c’est même là où il y a les plus grands déficits en matière de prévention, estime le Centre. Le problème avec les jeux du hasard au Luxembourg est double : d’abord la loi n’interdit pas de vendre des lots de loterie ou autres produits proposés par la Loterie Nationale à des jeunes de moins de 18 ans, et ensuite, parmi ces derniers, la proportion de ceux qui s’adonnent à ces pratiques est beaucoup plus élevée qu’on aimerait bien le croire. Ainsi, une étude sur 3.000 élèves de 7e, IVe classique et 10e technique effectuée en 2007 révèle que 30 pour cent des jeunes âgé-e-s de douze ans achètent des billets à gratter. Tandis que 16 pour cent jouent à Euromillions, neuf au Loto et neuf au Zubito. C’est surtout ce dernier jeu qui se retrouve dans la ligne de mire du Cept. Et pour cause, car ce genre de jeu est hautement addictif. En somme, le principe est le même que pour les célèbres « bandits manchots », les automates qui génèrent des combinations au hasard déterminant les gains ou les pertes du joueur. Et comme au Casino, la maison gagne toujours. L’aspect le plus dangereux du jeu est paradoxalement constitué par les sommes relativement petites qu’il faut investir pour participer. Ainsi, le joueur ne se rend pas compte de ce qu’il dépense et continue – ce qui en fin de compte augmente encore les gains de la loterie. Laisser jouer des mineurs à ce jeu est donc dangereux – rappelons qu’aux Etats-Unis les moins de 21 ans n’ont même pas le droit de mettre ne serait-ce qu’un pied dans un casino, même s’ils peuvent se défouler avec des pumpguns entretemps – c’est pourquoi le Cept exige sa suppression pure et simple.

Selon la directrice du Cept, Thérèse Michaelis, les chances pour que leur revendication soit entendue ne sont pas minces : « Nous pensons que ce jeu pourra être interdit au courant de la prochaine législature. » La seule chose qu’elle regrette amèrement, c’est que cela prenne aussi longtemps. « Il est intolérable qu’une institution telle que la loterie nationale – qui possède le monopole sur les jeux du hasard dans notre pays – se revendique d’une charte éthique qui fait référence à la solidarité et vende en même temps ces produits à des mineurs ». Selon Michaelis, ce serait au législateur d’interdire ces pratiques, car les contacts entre le Cept et la Loterie Nationale n’auraient rien donné de productif. « Tout ce qu’ils font, c’est argumenter que de toute façon, celles et ceux qui ne pourraient plus jouer dans les bistrots iraient voir ailleurs, sur internet. Ce n’est pas un argument pour nous. Il faut cesser ces pratiques », conclut-elle.

Zubito, un jeu à disparaître subito ?

La principale intéressée, la loterie nationale ne voit pas les choses du même oeil : «  J’étais franchement étonné de lire cette revendication dans la presse », déclare Léon Losch de la loterie nationale, « et je vais reprendre contact avec le Cept. » Selon lui, qu’une certaine proportion de la jeunesse ait un problème ne serait pas la faute de la loterie nationale. De plus, il met en doute les chiffres avancés. « Je ne parlerais même pas d’étude à cet égard, mais plutôt d’un questionnaire. Que j’ai montré d’ailleurs à des professionnels étrangers qui tout comme moi doutaient fort de la représentativité d’une telle approche. On a omis de demander aux jeunes combien de fois ils ont joué à tel ou tel jeu et en compagnie de quelle personne de leur entourage », résume-t-il. Le problème demeure qu’il n’existe pas au Luxembourg de limite d’âge pour ces jeux de hasard. Toute la responsabilité échoue donc aux bistrotiers qui ne doivent pas servir, ni vendre de l’alcool à des mineurs de moins de 16 ans non-accompagnés. « Le vrai risque est sur internet, qu’on ne peut pas contrôler. Vous pouvez jouer à des jeux basés sur le même principe que le Zubito 24 heures sur 24 sur la toile si vous le voulez. » Le désavantage serait que les profits n’iront pas dans le fonds de solidarité comme les bénéfices de la loterie, mais tomberont entre des mains privées. « Empêcher les gens de jouer, c’est les contraindre à aller voir ailleurs », conclut le porte-parole de la loterie nationale. Le problème d’une telle déclaration est qu’elle sous-entend que Zubito est réellement addictif. Si tel n’était pas le cas, pourquoi cette peur que les gens aillent se procurer leur drogue ailleurs ?

Cependant Léon Losch persiste et signe : « Zubito est à cent pour cent compatible avec la charte éthique que nous nous sommes imposés. » Selon lui il y aurait consensus à travers toute l’Union européenne qu’une interdiction pure et simple ne serait pas dans l’intérêt des différents acteurs. « D’ailleurs nous venons d’adopter un certificat `jeu responsable‘ qui doit réglementer un peu plus les pratiques de vente », ajoute-t-il. Pour le reste, la loterie nationale renvoie la balle au législateur : « S’il y avait une limite d’âge légal, nous adapterions nos systèmes. De toute façon, vendre des lots de loterie à des mineurs n’est pas du tout dans notre intérêt, car ce n’est pas notre clientèle », affirme-t-il. Au prochain ministre de la santé ainsi qu’à son collègue de l’économie donc de bien jouer sur ce dossier.

Une autre revendication qui frappe dans le bilan du Cept concerne les moyens que le gouvernement s’est donnés pour la prévention. En effet, le « Plan d’action 2005-2009 en matière de lutte contre les drogues et les toxicomanies » prévoyait que le Cept bénéficierait avant 2009 de quatre postes supplémentaires, alors qu’en réalité ce n’est qu’un quart de poste qui vient d’être créé à ce jour.

Ce fait est d’autant plus étonnant que ce même plan d’action stipule que « la prévention primaire est à privilégier par rapport aux mesures de traitement ». Une idée a priori loin d’être désintéressée économiquement, car la prévention coûte en fin de compte beaucoup moins pour toucher plus de personnes que le traitement des toxicomanes. Pour ces derniers, il est vrai, de nombreuses institutions et commodités viennent d’être mises en place, même si l’infrastructure nationale est loin de pouvoir fonctionner de façon autonome. Beaucoup trop de malades doivent encore aller chercher leurs cures au-délà de nos frontières, et cela génère des coûts supplémentaires.

Or, selon Michaelis, la prévention primaire ne serait nullement privilégiée actuellement. « La prévention a finalement obtenue moins de moyens que les traitements. Je ne suis absolument pas opposée au fait d’aider des personnes en détresse, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de les privilégier systématiquement au détriment de toutes les personnes qui peuvent tomber dans cette détresse. » Pour elle, la mission du centre de prévention est de toucher la population entière. « C’est le plus important si on veut qu’un jour ces problèmes disparaissent de notre société », estime-t-elle, Elle regrette particulièrement qu’on oppose prévention et traitement des toxicomanies. « Cela n’aide personne. Il faut qu’on travaille davantage ensemble et la politique devrait nous voir comme des entités complémentaires et non pas contraires. »

En tout cas, le nouveau ministre de la santé aura du pain sur la planche et des dossiers épineux qui l’attendent sur son bureau lors de la rentrée.


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