RECHERCHE: Pas si
innovante, mais si fondamentale

Même en temps de crise, il faut continuer à financer la recherche fondamentale, dit le ministre de la recherche. Comme quoi, il faut parfois quelques électrochocs pour ramener les gouvernements à la raison.

Jeannot Krecké et François Biltgen ou le court et le long terme en matière de recherche.

La crise va-t-elle mettre à mal la recherche luxembourgeoise ? « Ce serait un grand danger que de se concentrer sur l’innovation et de négliger la recherche, surtout en temps de crise », prévient le ministre de la recherche François Biltgen (CSV), lors de la présentation, cette semaine, du programme gouvernemental en matière de recherche publique. C’est à ce genre d’affirmation sensée que l’on reconnaît que le monde est entré dans une nouvelle ère. Naguère, il y a encore peu, des hommes tels que Tony Blair ou Gerhard Schröder pensaient avoir trouvé le salut économique du continent dans les nouvelles technologies, où tout résidait dans la capacité d’innover. Ils parvenaient à faire passer leurs courtes pensées pour des visions politiques : « flexibilité » remplaçait « dégradation des droits sociaux », « modernisation » signifiait « privatisation » et les luttes sociales étaient considérées comme « archaïques ».

Comme c’est souvent le cas, le centre-gauche, dans sa course après le centre-droit, est toujours en retard d’une bataille : l’idole « innovation » a finalement été brisée par un ministre chrétien-social. Alors que le Livre Blanc sur l’enseignement supérieur publié en 2000 voyait dans la future université une « pépinière d’entreprises », le monde de la recherche s’est repris en main. Il serait évidemment illusoire d’imaginer une sortie de l’esprit de compétition. Mais une certaine raison semble s’être installée au ministère sis à la montée de la Pétrusse. En soulignant qu’il serait dangereux pour un Etat de délaisser la recherche en temps de crise, car un tel Etat accumulerait un retard considérable sur ses « concurrents », Biltgen n’a fait que rappeler, comme l’a pertinemment affirmé un article de la « Zeitung vum lëtzebuerger Vollek », le quotidien communiste, une contradiction fondamentale du capitalisme : celle marquant le rapport entre la poursuite effrénée de la maximisation des profits et le développement des forces productives.

Pas de magot sans cerveaux

Cette sortie de Biltgen a une raison : elle fait écho à une prise de position de la Chambre du commerce (CDC) qui plaide en faveur d’une politique de recherche plus axée sur les résultats économiques. Dans le même ordre d’idées, la CDC demande au gouvernement d’indiquer plus clairement aux centres publics de recherche (CRP) ce qu’ils doivent rechercher. Si le gouvernement entend suivre les recommandations de l’OCDE, selon lesquelles les décisions relatives aux projets de recherche devraient adopter une plus grande approche « top-down », c’est-à-dire une plus grande impulsion du gouvernement, celui-ci « ne désire pas rentrer dans les détails de la recherche », comme l’a affirmé Biltgen. Toutefois, il s’agira d’encadrer la recherche en fixant des objectifs selon une structure pyramidale : à la base, l’on retrouve les trois CRP (Lippmann, Tudor et Santé), le Ceps-Instead et l’Université comme lieux de recherche. Au-dessus, sont placés le Fonds national pour la recherche et l’agence Luxinnovation qui délivrent les aides financières pour les différents projets. Le tout est chapeauté par le Comité supérieur de la recherche et de l’innovation (CSRI), dont les principales tâches consisteront à formuler les politiques de recherche, à élaborer des propositions d’objectifs stratégiques et à conseiller le gouvernement dans leur mise en oeuvre.

Le CSRI est composé de neuf personnes « indépendantes », et qui, selon les dires de Biltgen, « ne viendront pas mendier ». Pour le « monde scientifique », il s’agit des professeurs François Diederich de l’ETH Zurich, Guy Kirsch de l’université de Fribourg et de John Scheid du Collège de France. Le « monde économique » est quant à lui représenté par Raymond Freymann de BMW de Munich, de Marc Hoffmann de la CBP et de l’ancien dirigeant d’Arcelor-Mittal Roland Junck. Enfin, la société civile est représentée par Erny Gillen, le directeur de la Caritas, Germaine Goetzinger, la directrice du Centre national de littérature et de Romain Schintgen, ex-membre de la Cour de justice européenne. Ces neuf « sages » seront présidés par les deux ministres de tutelle : Jeannot Krecké, le ministre de l’économie (LSAP) et François Biltgen. Ce dernier a par ailleurs bien défini la répartition des rôles : si le ministère de l’économie sera le « sponsor principal » et il sera plutôt cantonné à la recherche privée, plus axée sur le court terme, tandis que Biltgen s’occupera des grandes orientations.

En tout cas, l’augmentation exponentielle des moyens financiers est tout à fait propice à attirer les « mendiants » : en dix ans, les crédits budgétaires publics accordés au secteur « recherche-développement-innovation » se sont décuplés et triplés si on les rapporte à l’évolution du PIB. C’est surtout dans les deux dernières années que l’évolution a été particulièrement sensible : si le budget total pour les différents objectifs de recherche était de 76,9 millions d’euros pour l’année 2008, pour 2010, il atteindra 271,1 millions. Ce qui se traduit également par une augmentation en personnel de recherche de 250 personnes

Des sous et du résultat

Mais, en échange, le gouvernement attend du « concret » : si l’évaluation qualitative est certes importante, les CRP, le Ceps ainsi que l’Université doivent « faire du chiffre », mais en termes de travail scientifique : il s’agit donc d’augmenter le nombre de publications scientifiques, de thèses de doctorat, de brevets déposés et de « spin-off » créées. Derrière ce terme barbare se cache en fait une entreprise créée à partir d’une découverte issue d’un centre de recherche. En fait, le Luxembourg est en train de donner corps à sa politique de recherche de niches économiques alternatives, notamment dans les biotechnologies. Ainsi, un master en « systems biology » est créé, soutenu par un projet en recherche fondamentale du CRP-Santé et dont le but est la lutte contre le cancer des poumons. Dans un ordre de recherche plus appliqué, c’est l’instauration d’une « Biobank » au Centre hospitalier de Luxembourg que le gouvernement envisage : ce projet assez controversé est censé récolter les coordonnées médicales individuelles des patients, ceci afin de rendre la politique de soins moins onéreuse et plus efficace. A ce sujet, le ministre tient à rassurer en promettant que les données génétiques seront protégées.

Biltgen veut donner des gages de bonne volonté aux chercheurs et chercheuses en sciences humaines, notamment celles et ceux chargé-e-s d’inventer ou de réfuter (c’est selon) une hypothétique « identité ». « Le Luxembourg dispose d’un réel avantage et d’une compétence dans les question d’immigration et de la manière dont il va maîtriser l’intégration », affirme-t-il. Avec cette phrase, Biltgen verbalise ce que nombre de chercheurs en sciences sociales revendiquaient il y a quelques années, à la naissance de l’Université : tirer profit des compétences « locales », comme les questions migratoires et socio-linguistiques. Ce ne serait aujourd’hui que rendre justice à celles et à ceux qui s’étaient engagés dans cette voie sans l’invitation gouvernementale.


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