Une fois n’est pas coutume, le woxx s’intéresse à un format presque disparu : le polaroïd. Pourquoi cette invention, concurrencée à mort par le digital, est-elle tellement importante ?
1972 fut une année importante dans l’histoire de la photographie. C’est l’année de parution du « SX 70 », une petite caméra qui allait devenir un standard industriel à l’image de la coccinelle de Volkswagen – tout le monde en a une. Pour les profanes : le « SX 70 » est l’appareil polaroïd le plus vendu de la planète. Vous-vous rappelez ? Ces appareils qui permettaient pour la première fois dans l’histoire de voir le résultat directement après avoir appuyé sur le déclencheur. Après quelques minutes d’attente fébrile ? apparemment, le fameux « truc » consistant à remuer la photo afin d’obtenir un meilleur résultat serait du n’importe quoi – toute la famille pouvait découvrir le cliché de leur fête ou rassemblement.
Le polaroïd a été pour les années 70 ce que la photographie digitale est pour les années 2000 : un pas de géant dans la démocratisation de l’image. Non seulement qu’avec cette invention les gens pouvaient tenir entre leurs mains des résultats quasi instantanés, mais ils pouvaient aussi se passer des coûteux studios de développements. En plus, la technique de cet appareil était tellement simple, qu’il ne fallait plus être un expert en objectifs, lentilles et autres détails techniques pour faire des photos.
« A cette époque, presque tous les ménages possédaient un appareil polaroïd », explique le photographe luxembourgeois Jean-Luc Koenig, « Mais pas uniquement eux, des tonnes de métiers, comme les techniciens sur les tournages, les architectes, les assureurs et même la police s’en servaient pour faciliter leurs tâches ». Ainsi, il est devenu partie intégrante du quotidien de millions de personnes. Et aussi des artistes. « Si je devais choisir un seul moyen entre tous pour photographier, ce serait probablement le polaroïd », admet Koenig. Lui, qui a souvent travaillé avec cette technique, s’en dit absolument convaincu, et ce pour différentes raisons et pas vraiment celles auxquelles on pouvait s’attendre : c’est surtout le grand potentiel de manipulation de ces appareils et de ces films qui l’intéresse. Et pas seulement lui, puisque la photographie polaroïd est devenue au fil des ans un véritable courant artistique. Comme le prouve une brochure assez intéressante de 1999, parue à New York « Innovation/Imagination – 50 Years of Polaroïd Photography », où l’on découvre que la petite caméra a profondement marqué les grands photographes et artsites de l’époque comme Robert Mapplethorpe, Andy Warhol, Robert Rauschenberg ainsi que ? Jean-Luc Koenig. Du moins en polaroïd, un Luxembourgeois est parvenu à se hisser parmi les grands de son temps, pourrait-on dire.
La firme Polaroïd – qui existe toujours – a même saisi cette occasion pour constituer des archives énormes, la collection d’Offenbach. Dans cette collection, plus de 16.000 pièces d’artistes divers étaient conservées. « Cela fonctionnait de façon assez facile: si on pensait avoir fait quelques bonnes photos, on les envoyait à Polaroïd. Si elles étaient retenues, on pouvait gagner du matériel d’une valeur d’environ 150 dollars », se rappelle Koenig. Ainsi, trois de ses photos et une vingtaine de son collègue luxembourgeois Michel Medinger ont trouvé leur chemin dans cette grande et unique collection.
Jusqu’au début de cette année, où, après des tractations financières diverses, une partie de ces archives est passée en juin 2010 sous le marteau de la maison de ventes aux enchères Sotheby’s, faisant en sorte que cet ensemble unique se trouve aujourd’hui dispersé sur les cinq continents. Ainsi, il sera beaucoup plus difficile de les réassembler un jour en vue d’une exposition qui permettrait de voir le vrai impact de cette photographie sur l’ensemble de l’art. Même si la décision de cette vente a été contestée devant la justice américaine, il semble presque inimaginable de retrouver la collection un jour intacte.
Collection dispersée
« Pour moi, travailler avec cette technique, c’est surtout manipuler », raconte Koenig, « Ce n’est pas tellement la photographie qui ressort de l’appareil qui m’intéresse, mais surtout le négatif. Ce dernier, il faut l’arracher dès la première seconde et puis on peut le développer à l’ancienne, ce qui donne des résultats assez intéressants ». En effet, les images obtenues à partir de négatifs de polaroïds, présentent tous un cadre qui a l’air d’être fait de métal rouillé – évoquant ainsi une atmosphère à la fois glauque et chaude. Pourtant, travailler ainsi n’est pas sans risque pour la santé : « Les composantes chimiques contenues dans les cassettes de films originaux sont pleines de saloperies. Si tu les verses sur ta main, cela peut provoquer des brûlures ».
Pourtant, le risque que beaucoup d’accidents se produiront encore avec les cassettes de films polaroïd est plutôt petit. Même si la firme Polaroïd s’essaie encore dans la production d’hybrides entre appareils digitaux et caméras instantanées, sans pourtant garder son format habituel, et que Fujifilm – l’autre grand producteur de caméras instantanées – produit toujours un modèle qui ne permet néanmoins pas de travailler avec un négatif, le futur de ce format semble bel et bien compromis.
C’est en 2007 que la firme Polaroïd annonce la fin de la production des films instantanés, devenus victimes de l’avènement du numérique. La fin effective est en 2008 et tous les sites producteurs sont fermés. Tout de même, l’annonce de la fin du polaroïd n’est pas passée inaperçue près du public. Au contraire de ce que pensaient les managers, beaucoup de consommateurs n’étaient pas prêts à lâcher cette technique qui leur était chère – que ce soit pour des raisons nostalgiques ou artistiques. En tout cas, la firme a été submergée par des lettres de personnes qui imploraient de ne pas lâcher la production de ces cassettes et appareils. Et pourtant, à partir de 2009, quand les stocks étaient vides, il semblait que le polaroïd était définitivement mort.
« On trouve encore des appareils ou des films sur e-bay ou d’autres sites plus spécialisés », commente Koenig, « Mais les prix sont ahurissants ». Lui-même n’en conserve que deux ou trois cassettes. « C’est un peu devenu l’inverse de la photographie digitale. A cause de leur extrême rareté, je ne peux pas vraiment me permettre de rater quoi que ce soit. Alors qu’en numérique, on peut tout réparer ».
Pourtant, l’espoir de voir la technique polaroïd renaître de ses cendres n’est pas tout à fait mort. A l’instar du vinyle, autre médium proclamé mort et enterré mais qui vit un étonnant comeback ces dernières années, le polaroïd pourrait bel et bien revoir la lumière du jour.
En tout cas, si on veut bien suivre le chemin un peu tordu du docteur Florian Kaps. Ce féru de la photographie – avant de se lancer dans le polaroïd, il était proche de la scène des photographes lomo – a décidé ni plus ni moins de sauver le format. Pour ce faire, il a pompé trois millions d’euros dans une ancienne usine Polaroïd à Enschede aux Pays-Bas, recruté des anciens ouvriers à la retraite pour leur savoir-faire et recommencé la production de films polaroïd pour les amateurs du monde entier. Sachant que c’est de la folie, il a baptisé cette entreprise conséquemment : « The Impossible Project ».
« Certes, ce ne sont pas exactement les mêmes films », explique Koenig, « Le problème, c’est qu’avec la fermeture de l’usine principale, beaucoup de fournisseurs n’existent plus. Il leur a donc fallu réinventer le polaroïd en quelque sorte, en employant d’autres moyens plus réduits ». En effet, le hall d’usine utilisé par « The Impossible Project », ne fait qu’un quart du complexe original. Mais l’essentiel est que l’aventure soit relancée et sur le bon chemin, même si les films produits à Enschede nécessitent plus de connaissances techniques pour le maniement et sont loin d’êtres parfaits. En tout cas, l’équipe du docteur Kaps travaillerait déjà à une réédition du mythique « SX 70 ».