DROIT DE VOTE DES JEUNES: A la place des grands hommes

Entre Grand Guignol et réflexions fondamentales, le débat à la Chambre cette semaine au sujet de l’abaissement de l’âge du droit de vote a souligné à quel point les raisons partisanes l’emportent sur les questions de fonds.

La politique, ça concerne tout le monde. Même les tous petits…

Qui croyait que le benjamin de la Chambre des député-e-s, le CSV Serge Wilmes, allait entonner ce mardi un hymne à l’abaissement de l’âge légal du droit de vote, a fait preuve d’une belle naïveté. C’était en effet au président du CSJ (Jeunesse chrétienne-sociale) de monter à la tribune parlementaire pour battre en brèche la proposition de loi du député libéral Eugène Berger qui avait pour but d’abaisser cet âge de 18 à 16 ans. Le discours de Wilmes aura au moins eu le mérite de donner une leçon à celles et ceux qui pensent que l’appartenance générationnelle primerait sur d’autres facteurs d’identité, comme l’origine et le statut social ainsi que l’orientation politique et philosophique.

Tandis qu’il devait faire face aux habituelles interjections de parlementaires plus ou moins inspirés, comme « Quel vieux lui a écrit ce discours ? », Wilmes, qui – contrairement à nombre de ses collègues aînés – n’est pas du genre à découvrir son propre discours lors de sa lecture au pupitre, s’est comporté ni plus ni moins en bon soldat CSV. Et ce qu’il ressort de sa plaidoirie, qui, si nous l’avons bien compris, n’est en fait pas tout à fait contre, mais ne peut pas voter pour, c’est que la principale embûche pour se rallier à ce texte, est qu’il n’a pas été rédigé par le CSV lui-même. Pour le CSV, c’est d’ailleurs un mode de gouvernement : s’opposer à une innovation sociétale, laisser les autres aller au casse-pipe et faire le travail de pionnier, pour, une fois un large consensus acquis au sein de la population, s’en octroyer la paternité. Exemples : le CSV a toujours été opposé à la création d’une université, jusqu’à ce que l’évidence pousse une de ses ministres à en rédiger le texte de loi. Idem pour le partenariat (le pacs à la luxembourgeoise), l’avortement ou bientôt le mariage gay, voire l’adoption par les couples homosexuels. Dans cette logique, il ne serait pas étonnant de retrouver le ministre de la Justice Serge Wilmes dans une dizaine d’années, expliquant triomphalement les vertus d’accorder le droit de vote aux jeunes de 16 ans… D’ailleurs, il le dit lui-même : ce texte ne serait « pas opportun à l’heure actuelle ».

Mais c’est un « vieux » renard, le député-maire de Dudelange et président du LSAP, Alex Bodry, qui lui a montré comment l’on pouvait tout aussi bien tenir un discours engagé et rhétoriquement puissant pour expliquer pourquoi l’idée est bonne, mais qu’elle ne pourra pas être voté en l’état. A cet effet, il a ouvert de nouveaux champs problématiques. Primo, il rappelle au DP ses propres manquements, notamment lorsque les libéraux n’ont pris aucune initiative dans cette matière alors qu’ils étaient au gouvernement de 1999 à 2004. Il en rajoute ensuite une petite louche (tout le monde a ses petits dossiers gênants, l’important, c’est de ne pas oublier ceux des autres, au cas où) : « Et où étiez-vous lorsque nous discutions de la loi électorale dans la commission des institutions, il y a deux ans ? » Avec un peu d’imagination, l’on aurait pu entendre Bodry dire à Wilmes : « Voilà petit. Maintenant que je les ai mis face à leur nullité, je vais leur démontrer que leur loi est à leur image. Regarde ! »

Effets de manche

Et voilà la seconde offensive : Bodry estime qu’il faut y aller pas à pas. Or, cette loi irait déjà trop loin, car elle prévoit l’abaissement de l’âge électoral pour toutes les élections : communales, législatives et européennes. Prenant à témoin le grand nombre de député-e-s cumulant également des responsabilités communales, il propose de tenter le coup en premier lieu à ce niveau, dans six ans. Et de rallier son jeune collègue du CSV en proposant de mettre un terme à l’exclusion de la politique et des partis des écoles. Alex Bodry aurait tout aussi bien pu s’en tenir à un autre – court – volet de son argumentation : bien qu’un texte similaire ait déjà été proposé dans les années 1990 par les anciens députés socialistes René Kollwelter et feu Marc Zanussi, cette proposition n’a toujours pas trouvé de majorité au sein du parti lui-même. Bodry a dit « respecter » la prise de position de son organisation de jeunesse, qui, quelques jours plus tôt, venait de publier un communiqué de presse appelant les députés à se rallier à la proposition de loi du libéral Berger et s’est même engagé à contribuer à faire intégrer cette proposition dans le prochain programme socialiste. Mais pour l’instant, c’est « Njet ». Après tout, c’est le CSV qui l’a dit.

Mais le moins que l’on puisse dire de l’orateur chrétien-social, c’est qu’il a déjà intégré à merveille les ruses de ses anciens. Ainsi, il cite Sammy Wagner, le président du Parlement des jeunes : « Les jeunes refusent une obligation de vote à partir de 16 ans parce qu’ils ne se sentent pas assez informés. Le droit de vote facultatif les intéresse plus, mais également à condition qu’ils soient mieux informés. » Mais l’interprétation que Wilmes fait de cette affirmation est toute personnelle : les jeunes seraient « opposés » au droit de vote même facultatif tant qu’ils ne seraient pas assez informés.

Nous voici renvoyés vers un argumentaire usé jusqu’à la corde et employé à toutes les sauces, lorsqu’il s’agit de dénier un droit de vote à une certaine catégorie de la population ou de relativiser des résultats électoraux non conformes aux attentes officielles. Dans la même logique de « suffrage capacitaire », les analphabètes furent longtemps exclus des élections aux USA, histoire d’empêcher les Noirs d’exercer leurs droits civiques. Cet argumentaire fut également employé afin de tenir les femmes à distance du processus électoral, au Luxembourg notamment par la notabilité libérale, qui craignait ? alors à juste titre – que les femmes, encore largement exclues des études, ne feraient que respecter les consignes de vote cléricales.

Le brevet de l’Etat-CSV

Mais l’argumentaire reposant sur les supposées « capacités civiques » sert aussi à disqualifier des résultats déplaisants : ainsi, lors du référendum au sujet du Traité constitutionnel européen, dont les 44 pour cent de « Non » avaient fait sursauter les politiciens établis, ont été relativisés par François Bausch, chef de fraction des Verts. Il estima alors que les jeunes (qui avaient alors majoritairement voté pour le « Non ») ne disposaient pas des connaissances suffisantes à propos de l’Europe.

Une logique contestée par Serge Urbany, le député de déi Lénk, qui a rappelé que toutes les personnes qui ont lutté pour l’acquisition du droit de vote ne disposaient « ni d’un diplôme d’instruction civique, ni d’un brevet de l’Etat-CSV ». Le débat sur l’abaissement du droit de vote, à l’instar de tout débat sur l’élargissement du corps électoral, met à l’ordre du jour la question de la nature de la démocratie dans laquelle nous vivons, voire dans laquelle les composantes dominantes de la société veulent que nous vivions. « Je soutiens cette proposition car elle renforce notre démocratie », a ainsi entamé Urbany. Il s’est également rallié aux réflexions émises par Alex Bodry et la verte Josée Lorsché, qui ont rappelé que le parlement luxembourgeois est de moins en moins représentatif du fait de l’exclusion du droit de vote des étrangers, qui représentent actuellement quasiment la moitié de la population.

Lorsché propose d’ailleurs d’éviter de créer deux catégories d’électeurs : ou bien il faut abolir l’obligation de vote pour tous les électeurs, ou bien le rendre obligatoire, y compris aux jeunes de 16 ans. Et de renverser la « charge de la preuve » propagée par Wilmes : à son « fatalisme » qui conditionne l’exercice du droit de vote à une supposée connaissance des règles civiques, Lorsché estime que toute connaissance du fonctionnement de l’Etat de droit serait vide de substance sans donner aux intéressés la possibilité d’exercer activement leur citoyenneté. Alors que le député de l’ADR, Jacques-Yves Henckes ne conçoit pas que l’on puisse dissocier l’âge de la majorité de l’âge du droit de vote, d’autres orateurs, notamment le leader socialiste, ont relevé que certains jeunes de 16 ans se trouvent déjà dans la vie active et que leur droit de vote aux élections professionnelles ne leur est pas non plus accordé.

Finalement, la proposition de loi n’a été soutenue que par les voix du DP, des Verts et de déi Lénk. Quant au ministre de la Justice, François Biltgen, il a conclu en se disant satisfait du débat et en souhaitant qu’il continue. Rendez-vous dans dix ans.


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