Élections sociales : Un indicateur du rapport de force social

Les salarié-es ont jusqu’à ce 12 mars pour élire, par correspondance, leurs représentant-es à la Chambre des salariés. Ce jour-là se tiendront également les élections des délégations du personnel dans les entreprises de plus de 15 salarié-es. Ces scrutins, plus politiques qu’il n’y paraît, détermineront le rapport de force social entre monde du travail d’un côté et patronat et gouvernement de l’autre.

Difficile d’échapper, ces jours-ci, aux affiches et clips de la CSL encourageant les salarié-es à voter aux élections sociales de ce 12 mars. (Capture d’écran)

« You’ll never work alone » : on ne sait pas si le publicitaire qui a imaginé le slogan de la Chambre des salariés (CSL) pour les élections sociales est un fan de ballon rond, mais il semble tout droit inspiré du « You’ll never walk alone », l’hymne du FC Liverpool et de bien d’autres clubs de foot dans le monde. Affiches, clips, spots radio, encarts dans les journaux : difficile, ces dernières semaines, d’échapper à ces messages qui ont pour objectif de mobiliser l’électorat salarié privé autour des valeurs de solidarité et d’unité. S’y ajoute la propagande propre à chaque syndicat représenté à la CSL et dans les entreprises. Le tout est décliné dans cinq langues, illustrant la diversité de la population active du pays : luxembourgeois, français, allemand, portugais et anglais.

Seul scrutin pour lequel le vote n’est pas obligatoire, les élections sociales s’adressent à un corps électoral étendu à l’ensemble des personnes travaillant ou ayant travaillé dans le privé au grand-duché, qu’elles y résident ou qu’elles soient frontalières, qu’elles possèdent ou non la nationalité du pays. Soit plus de 600.000 salarié-es, retraité-es, apprenti-es et bénéficiaires du chômage. Cela représente plus du double des 286.000 électeurs et électrices inscrit-es aux dernières élections politiques nationales. Pour les syndicats, cela fait autant de suffrages à attirer dans ce double scrutin qui désignera, d’un côté, les 60 représentant-es des salarié-es à la CSL et, de l’autre, les milliers de délégué-es du personnel dans les entreprises. 

L’élection à la CSL se déroule par correspondance, les bulletins de vote devant être renvoyés avant ce mardi 12 mars au moyen de l’enveloppe de retour reçue avec ceux-ci. Actuellement dominée par l’OGBL, qui y dispose de la majorité absolue avec 35 sièges, la chambre professionnelle rend des avis sur les lois concernant le travail, la Sécurité sociale, la formation et la fiscalité. Ses élu-es représentent par ailleurs le monde salarié dans diverses institutions, à l’exemple de la Caisse nationale de santé. La CSL participe ainsi au processus législatif du pays et à la gestion d’organismes paritaires dans lesquels sont aussi impliqués patronat et gouvernement.

Taux de participation en baisse

(CSLGraphique : woxx)

Dans ce sens, ce scrutin est éminemment politique. Au-delà de la répartition des sièges entre organisations, son enjeu réside dans le taux de participation, car il est un indicateur du rapport de force social que les syndicats peuvent établir face à leurs interlocuteurs. Or, le taux de participation décline au fil des scrutins : il est passé de 36 % en 2013 à 32,2 % en 2019 et, en aparté, des syndicalistes confient leur crainte de le voir encore baisser cette année. La participation est particulièrement faible chez les frontalières et frontaliers, qui n’étaient que 23 % à voter en 2019, selon une étude commandée par la CSL au Liser pour analyser cette désaffection. « Si on prend ce taux de participation de 32 % et qu’on le compare à celui du nombre des personnes qui décident de l’avenir du pays dans les élections nationales, on constate qu’il est à peu près semblable, une fois qu’on le rapporte à la totalité de la population résidente », relativise le président du LCGB, lors d’un entretien avec le woxx (woxx 1775). Pour Patrick Dury, l’exigence de « davantage de justice et d’équité sociale » passe dès lors par l’extension du droit de vote politique aux étrangers, « un élément essentiel pour rééquilibrer le plus largement possible notre base démocratique ». La revendication se situe clairement sur le terrain politique.

Présidente de l’OGBL et de la CSL, Nora Back insiste sur le « pilier » démocratique que représente la CSL au Luxembourg. Elle juge que « ces élections sont vraiment décisives et importantes », car elles interviennent dans un contexte de crise dans lequel les salarié-es voient leur pouvoir d’achat rogné par l’inflation et l’incertitude peser sur l’avenir de leurs emplois. Il y a surtout le changement de donne politique avec une coalition conservatrice et libérale, face à laquelle Nora Back appelle à la vigilance (woxx 1774). Seuls des syndicats forts, estime-t-elle, peuvent peser face aux projets gouvernementaux de réforme des pensions ou encore de flexibilisation du temps de travail. Le discours se situe, là encore, dans le champ politique.

L’Aleba ne veut pas faire de politique

Mais la politique est un terrain sur lequel ne veut pas s’aventurer l’Aleba. Le syndicat, jusque-là cantonné principalement dans le secteur de la finance, change de braquet pour ces élections sociales en visant la représentativité nationale, à l’instar du LCGB et de l’OGBL. Le syndicat compte atteindre cet objectif lors des élections sociales suivantes, en 2029. En attendant, pour la première fois, l’Aleba présentera, cette année, des candidat-es dans six des neuf groupes professionnels représentés à la CSL. Son président, Roberto Mendolia, répète à l’envi qu’il se singularise de ses rivaux par sa « neutralité politique », ce qui paraît en contradiction avec la mission de la CSL, laquelle intervient dans l’élaboration des lois. Pour l’Aleba, ce signe distinctif est surtout une manière de rappeler sa conviction que le retrait par le ministre du Travail, en 2020, de sa représentativité sectorielle dans la finance est lié aux accointances politiques de l’OGBL avec le parti socialiste et du LCGB avec les chrétiens-sociaux, qui n’étaient pourtant pas au pouvoir à ce moment-là (woxx 1731).

Roberto Mendolia avance un autre élément pour contester le caractère représentatif de ses deux principaux concurrents : le faible taux de syndicalisation des délégué-es du personnel dans les entreprises. En 2019, 58 % des délégations n’affichaient aucune couleur syndicale et avaient été élues sous la bannière « neutre » ou « autre », si l’on retient le terme employé par l’Inspection du travail et des mines (ITM), qui centralise les résultats de ce scrutin. Dans les sociétés de moins de 100 employé-es, ce taux grimpait même à 77 %. Là encore, il augmente d’élection en d’élection. La critique n’est donc pas infondée, alors qu’en 2019 l’OGBL décrochait 23 % des délégué-es, le LCGB 13 % et l’Aleba 3 %.

Les syndicats reconnaissent ce problème, qui constitue un autre enjeu central de ce scrutin. Ils sont unanimes à appeler les délégué-es à rejoindre leurs rangs, en argumentant sur la force collective, les moyens et les compétences dont disposent leurs organisations. Des éléments clés, selon celles-ci, pour la négociation de conventions collectives ou dans des conflits sociaux durs qui nécessitent par exemple un soutien matériel aux grévistes.

Le taux de participation aux élections des délégations est plus compliqué à évaluer, car dépendant notamment de la bonne volonté des entreprises à communiquer leurs résultats à l’ITM, qui fait parfois défaut. Mais lorsque nous les avons rencontré-es ces dernières semaines, tant Nora Back que Patrick Dury étaient optimistes quant à l’issue de ces élections. L’un et l’autre affirment que le syndicalisme vit un regain d’intérêt auprès des salarié-es, alors que la proportion de salarié-es syndiqué-es au Luxembourg est passée de 50 % en 1980 à 31 %, selon une évaluation de l’OCDE, en partie contestée par les syndicats. Le nombre d’adhésions a en tout cas fortement augmenté ces deux ou trois dernières années, avancent Nora Back et Patrick Dury. L’OGBL compterait désormais plus de 80.000 membres et le LCGB très exactement 47.301, se plaît à indiquer son président. Pour sa part, l’Aleba revendique 10.000 adhérent-es.

Ces derniers jours, LCGB et OGBL ont aussi amplement communiqué sur le nombre de candidat-es qu’ils présentent chacun dans les entreprises. Le syndicat de gauche en affiche 6.124 dans 831 sociétés, un record qui, selon lui, témoigne « de la vitalité et du dynamisme du syndicalisme luxembourgeois ». Pour sa part, le syndicat chrétien aligne 4.297 candidat-es dans 531 entreprises, « un résultat jamais atteint auparavant ». Pour les deux syndicats, ces chiffres représentent en tout cas une hausse de l’ordre de 15 à 20 % par rapport à 2019, une augmentation assurément significative.

Chacun compte bien sûr tirer profit de ces évolutions. Le LCGB vise trois sièges supplémentaires à la CSL, pour passer de 18 à 21 représentant-es, alors qu’il en avait déjà ravi trois à l’OGBL en 2019. Quant à ce dernier, il entend au moins tenir ses positions actuelles et, en toute logique, les renforcer. Ces élections feront aussi office de test pour sa présidente, Nora Back. En 2019, elle n’était à la tête de l’OGBL que depuis quatre mois quand se sont tenues les élections sociales. Cette année, il s’agit donc de la première campagne qu’elle a menée de bout à bout.

CSL : neuf syndicats en lice, sans la FNCTTFEL

Neuf syndicats présentent des candidat-es aux élections à la Chambre des salariés (CSL). Une grande absente cette année, la FNCTTFEL, plus couramment appelée le Landesverband, le syndicat de gauche des cheminots. Son nom a disparu du paysage depuis son « intégration » à l’OGBL, officiellement actée le 7 octobre dernier, en amont des élections sociales. Ses candidat-es se présenteront donc cette année sous la bannière de la centrale syndicale d’Esch-sur-Alzette. Dans l’assemblée plénière sortante de la CSL, la FNCTTFEL occupe deux sièges, uniquement dans le groupe 8, celui des « agents actifs et retraités des CFL ». Le Syprolux, l’autre organisation de cheminots, y détient le troisième siège. Ensemble, l’OGBL et la FNCTTFEL ont raflé 37 sièges sur 60 en 2019 et c’est donc à l’aune de leurs résultats cumulés qu’il faudra analyser le score de l’OGBL lors de ce scrutin. Les deux syndicats à représentativité nationale, le LCGB et l’OGBL, présentent le plus de candidats et de candidates dans les neuf groupes qui composent la CSL. Certaines organisations, comme la FGFC, le syndicat des employés communaux, concourent dans le seul groupe où sont employés leurs membres. En vue du scrutin, chaque syndicat s’est vu attribuer un numéro de liste, tiré au sort en novembre dernier : LCGB (liste 1), OGBL (liste 2), Aleba (liste 3), FGFC – Gewerkschaft vum Gemengepersonal (liste 4), Syprolux (liste 5), SEA – Syndicats des employés du secteur de l’aviation (liste 6), NGL-SNEP (liste 7), CLSC – Confédération luxembourgeoise des syndicats chrétiens (liste 8) et Neutrale Verband Gemeng Lëtzebuerg N.V.G.L. (liste 9).


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.