Le pays a élu le 7 juillet dernier les 200 députés qui constitueront l’Assemblée nationale. Si le scrutin s’est relativement bien passé, la Libye est désormais confrontée à de nombreux enjeux.
Le Congrès national libyen devrait se réunir pour la première fois la semaine prochaine. Cette Assemblée, sans majorité éclatante, devra faire face à différents problèmes : inexpérimentés, les 200 élus devront décider des premiers fondements de leur pays qui reste pour le moment enveloppé dans un brouillard législatif. Lors du scrutin, les Libyens ont choisi l’Alliance des Forces nationales (AFN). L’organisation, que les médias étrangers qualifient de « libérale » – au grand dam de ses leaders – a ainsi obtenu 39 des 80 sièges réservés aux entités politiques, selon les résultats finaux annoncés le 17 juillet.
Mais elle annonce déjà en disposer de 46 grâce au ralliement de certaines listes politiques. Pourtant, cette coalition d’une soixantaine de partis ne semble pas avoir un programme politique très solide. L’AFN défend un « dialogue national » et un islam « modéré », selon les propres termes de l’organisation. Plus précisément, « l’islam doit être l’une des sources de la Constitution », selon Daw Abu Dawi, membre du comité exécutif de l’AFN. Une opposition claire aux islamistes du Parti de la Justice et de la Construction (PJD) – arrivé en deuxième position avec 17 des 80 sièges – souhaitant en faire l’unique source.
Mais au-delà de ces tendances, rien de précis ne sort du programme de l’AFN. Concernant par exemple le type de régime qui sera mis en place en Libye, Daw Abu Dawi explique : « Nous accepterons ce que les Libyens voudront. Nous serons ouverts à toute proposition venant du parlement. » En réalité, Daw Abu Dawi sait très bien que ce n’est pas le programme de l’AFN qui a réellement convaincu les électeurs, mais plutôt un homme : Mahmoud Jibril, l’un des leaders du parti. Présent sur toutes les affiches électorales, cet ancien professeur d’université aux Etats-Unis est très populaire en Libye.
Le 7 juillet dernier, dans tous les bureaux de votes, les électeurs n’avaient que son nom à la bouche. Un comble alors que le président du conseil exécutif du Conseil national de transition (CNT) de mars à octobre 2011 n’était même pas candidat. « Les gens nous demandent comment faire pour voter Jibril. Je ne sais pas quoi leur répondre ! Je ne peux pas leur conseiller de voter pour telle personne parce qu’elle est du même parti », expliquait alors Amna Elsallak, chargée d’observer le scrutin dans une école de Benghazi. Les Libyens ont pourtant bel et bien reporté leur voix sur les candidats de l’Alliance des forces nationales (AFN).
Vainqueur, sans être candidat : Mahmoud Jibril a réussi à rassembler les Libyens autour de l’AFN grâce à son nom. « Mais l’AFN a aussi fait une meilleure campagne que les autres. Enfin, il vaut mieux dire qu’elle a été moins pire que les autres. A l’opposé, les islamistes ont été trop présomptueux. Ils étaient sûrs de gagner, donc ils n’ont fait aucune campagne, analyse Icham, un jeune steward. Et puis Mahmoud Jibril, c’est une figure ! »
« Pas d’islam radical chez nous »
Mahmoud Jibril a été l’un des premiers leaders à rejoindre la Révolution du 17 février 2011. Il a parcouru le monde pour demander le soutien des grandes capitales. Une dimension internationale qui plaît particulièrement à la population libyenne, longtemps mise au ban des nations. Ce docteur en sciences politiques a aussi su jouer la carte ethnique. Membre des Warfallas, la plus importante tribu libyenne, il a tendu la main aux groupes qui sont restés fidèles au colonel Kadhafi jusqu’au bout. Enfin, l’ancien directeur de l’agence de développement économique sous la dictature s’est prononcé en faveur d’un « islam modéré ». C’est justement cette idée qui a convaincu Salma Randour de voter pour « Mahmoud » : « Nous ne sommes pas comme en Arabie Saoudite, il n’y a pas d’islam radical chez nous ».
Contrairement aux Egyptiens et aux Tunisiens, « les Libyens ne souhaitaient pas donner le pouvoir aux islamistes, analyse Ahmed Agatrash, professeur en sciences politiques à l’université de Tripoli. Ils redoutent que les islamistes ferment les salles de fête pour les mariages. » Mais les islamistes n’ont pas dit leur dernier mot. Le parti de la Justice et de la Construction (PJD), proche des Frères musulmans, devient ainsi la deuxième force politique du pays avec 17 des 80 sièges réservés aux listes politiques.
Surtout, la future majorité ne se construira pas sans les 120 élus « indépendants » (voir woxx n° 1170). Il est de notoriété publique que nombres des candidats indépendants sont en réalité membres d’un parti ou ont été approchés par telle ou telle entité politique. Le PJD annonce disposer ainsi de 17 élus indépendants appartenant au parti et affirme que 15 autres élus sans étiquette ont demandé à les rejoindre après leur élection. Les islamistes obtiendraient ainsi 49 sièges au total sur les 200 de l’Assemblée. « Nous serons une opposition de blocage », affirme Alamine Belhaj, chargé de la campagne électorale pour le PJD. Et probablement la seule, car les autres entités politiques, comme le Front national (FN) de Mohamed el-Magariaf, opposant de la dictature depuis toujours, n’ont obtenu que des miettes : trois sièges pour le FN, deux sièges respectivement pour « Union for the homeland » (Union pour la patrie), « Wadi al-hayah parti » et le parti national centriste. Les 15 derniers partis obtiennent chacun un siège. Parmi ceux-ci, quelques-uns ont choisi de rejoindre l’AFN.
Mais les islamistes pourraient revenir dans la course grâce à un atout majeur : leur organisation. Alors que nombre d’élus n’ont aucune idée de ce qui les attend vraiment en tant que députés, seul le PJD a organisé une formation. Celle-ci a lieu en ce moment même à Benghazi. Les 49 élus du PJD apprennent à rédiger une loi, à quoi elle sert, qui la vote, qui l’exécute? Des notions qui peuvent paraître simples, mais qui ne sont pas naturelles dans un pays sortant d’une dictature de 42 ans. « Tous les élus en auraient besoin, mais seul le PJD le fait. Cela montre bien qu’ils souhaitent être actifs et s’affirmer. Ils pourraient gagner des points pour les prochaines élections », analyse un diplomate étranger.
La question du comité chargé de la Constitution
Othman Bensousi, chargé du parlement au sein du CNT, a bien envisagé une formation pour tous les élus : « On va leur poser la question, mais on ne veut pas leur imposer quelque chose. Il ne faut pas les vexer. Après tout, ils ont été élus, c’est à eux de décider. » En attendant, Othman Bensousi a d’autres problèmes : concernant le parlement, tout est à organiser et à créer. A commencer par la salle qui accueillera le Congrès ou encore les indemnités et les collaborateurs des députés. « Nous travaillons depuis six mois là-dessus, nous nous sommes organisés en prenant exemple sur les pays voisins », explique-t-il.
Mais beaucoup de choses restent floues, pour ne pas dire très floues. Par exemple, la nomination du comité chargé de la rédaction de la Constitution pose encore question. Les 60 experts (20 venant de l’Est, 20 venant du Sud et 20 venant de l’Ouest) constituant ce comité devaient au départ être nommés par la nouvelle Assemblée. Mais coup de théâtre, deux jours avant les élections, le CNT a annoncé qu’ils seraient finalement élus par le peuple. « Il y avait deux possibilités : soit nous faisions un décret qui mettait en place une élection pour ce comité et on calmait ainsi les indépendantistes de l’Est ; soit on ne faisait rien et on prenait le risque que cela se passe mal lors des élections du 7 juillet », explique Othman Bensousi. Le décret a été signé et les indépendantistes ont fait moins de dégâts que ne le redoutait le CNT. Seuls huit bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir le 7 juillet, empêché par des militants qui protestaient contre le nombre de sièges de l’assemblée réservés à l’Est (60 sur 200).
Mais pour Asharf Shah, secrétaire général du parti libyen de la solidarité – une entité membre de l’Alliance des forces nationales -, la raison est à chercher ailleurs : « Les islamistes du CNT ont compris une semaine avant les élections qu’ils allaient perdre, qu’ils n’allaient pas jouer de rôle dans le prochain gouvernement. Ils ont donc pris cette décision pour se laisser une chance de revenir dans la course. » Lorsqu’on évoque le sujet avec Alamine Belhaj, le militant du PJD change de casquette. Il fait justement partie des membres du CNT qui ont rédigé ce décret. Pour cet islamiste, il n’est pas question de revenir en arrière « parce que le Congrès ne doit pas détruire ce qu’a fait le CNT mais aller de l’avant ».
Othman Bensousi voit, quant à lui, les choses différemment : « Le Congrès a été élu. Il a une plus grande légitimité que le CNT. Il a donc la possibilité de revenir sur cette décision. » Annuler ce décret, c’est ce que souhaite Othman Bensousi à titre personnel. Pour une raison bien précise : « Il faudrait compter encore quatre à cinq mois de plus pour organiser cette élection. » Mais la majorité au Congrès en aura-t-elle le pouvoir ? Selon le CNT, les lois devront être votées aux 2/3 par l’Assemblée. Hors, il est peu probable que l’Alliance obtienne cette majorité-là. Pour Abdelrahman Shatter, candidat indépendant élu à Hai Andalous (circonscription de Tripoli) qui soutient l’AFN, la situation est simple : « L’une des premières décisions de l’Assemblée sera de dire qu’une majorité simple à 50 pour cent, suffit. » Oui, mais avec quelle majorité sera votée cette première décision ? La question reste ouverte.