GRAND THÉÂTRE: La ruche a 50 ans

Le Grand Théâtre de la ville de Luxembourg fête son demi-siècle. Son cheminement réflète surtout la longue marche entamée dans la politique culturelle luxembourgeoise.

West Side Story – du léger pour le cinquantenaire.

Vu de l’extérieur, il faut l’admettre, l’architecture du Grand Théâtre a mal vieilli. Ce bloc, qui par les motifs géométriques ressemble aussi à une ruche, réflète un style architectural très osé dans les années 1960, mais tout à fait dépassé aujourd’hui. Pourtant le concept de ce théâtre avait déjà parcouru un bon bout de chemin lorsqu’il fût inauguré le 15 avril 1964. C’est en 1869 que le premier théâtre luxembourgeois digne de ce nom voit la lumière du jour, dans l’ancienne église des Capucins – le Théâtre des Capucins qui existe encore de nos jours. Et même si ce théâtre a été durement critiqué après son ouverture, notamment à cause de son infrastructure catastrophique, il aura fallu presque un siècle pour qu’un nouveau théâtre soit construit. Il est vrai que des plans existaient déjà dans les années 1930, mais ceux-ci n’ont pas été réalisés. Tout comme les plans mégalomanes des occupants nazis, qui voulaient faire du Luxembourg une métropole culturelle avant l’heure. Mais ce sera aux Luxembourgeois eux-mêmes d’accomplir ce destin et on peut affirmer sans problème que le Grand Théâtre a été la première pierre de l’édifice culturel luxembourgeois.

Première pierre de l’édifice culturel luxembourgeois

Bien sûr qu’un tel projet ne pouvait pas se faire sans scandales et hics pendant sa construction. L’architecte choisi par les édiles locaux, le Français Alain Bourbonnais, qui a aussi construit la gare RER de Nation à Paris avant de se dédier à l’art brut – ou « hors-les-normes » comme il l’appelait -, est entré en conflit ouvert avec les commanditaires du Grand Théâtre, avant de partir avec les plans sous les bras. Ce qui a entraîné un certain retard pour le projet et n’est pas sans rappeler le très douloureux et difficile cheminement du Mudam quelques décennies plus tard – une histoire qui hypothèque toujours l’image publique du Musée d’art contemporain luxembourgeois.

Mais ce qui compte, c’est que le résultat est là : à partir de 1964, le Luxembourg dispose enfin d’un théâtre à la hauteur de ses ambitions. Et il est curieux de voir que cette structure nouvelle à l’époque a éprouvé les mêmes difficultés que celles nées de l’année culturelle 1995 : après le contenant, il faut du contenu. Et pas n’importe lequel. Et là, le Grand Théâtre a pendant longtemps souffert de la pénurie et de l’amateurisme des productions luxembourgeoises. Aujourd’hui encore, il n’y a toujours pas de troupe maison – un des seuls manques par rapport aux grandes maisons internationales avec lesquelles le Grand Théâtre aime se comparer. Il a ainsi été pendant longtemps un théâtre d’importation, qui achetait chez les grands voisins ce que le grand-duché ne savait pas produire.

Et la programmation reflétait souvent cet état des faits. Comme se l’est demandé la nouvelle bourgmestre de la ville de Luxembourg dans son discours lors de la cérémonie du cinquantenaire : « Comment expliquer le succès étonnant de cette maison et du Théâtre des Capucins ? » Question judicieuse au vu des chiffres d’occupation des deux théâtres, tellement élevés que d’autres voisins européens en baveraient presque. La réponse, selon la bourgmestre, tient dans la personne du directeur Frank Feitler.

Ce n’est pas un hasard que la plupart des critiques de théâtre luxembourgeois s’accordent pour dire qu’il existe bel et bien une « ère Feitler ». Depuis sa prise de fonction en 2001 – après la mort inopinée du directeur Jeannot Comes -, c’est l’ouverture aux artistes luxembourgeois et l’excellence des importations qui ont caractérisé la programmation. D’autant plus qu’au cours de la rénovation au début de son mandat, son influence a été positive côté infrastructure, notamment en ce qui concerne la petite salle, devenue multimodale et expérimentale. Les ensembles luxembourgeois en ont sûrement profité beaucoup et le Grand Théâtre a été le coup d’envoi de l’une ou l’autre carrière sur les planches. Ce qui tient sûrement aussi au fait que le directeur lui même a une âme d’artiste, de metteur en scène et même de scénariste.

D’un autre côté, Feitler a su attirer des productions internationalement reconnues grâce à ses relations tissées en tant que conseiller en dramaturgie au théâtre de Bâle et au « Deutsches Schauspielhaus » à Hamburg. Que ce soit dans les domaines de la danse, ou du théâtre plus traditionnel, la renommée du Grand Théâtre a depuis longtemps dépassé les dimensions exigües du pays. Et les venues de stars de l’écran – comme Juliette Binoche, Isabelle Huppert ou encore Ralph Fiennes – sur les planches grand-ducales n’a fait qu’ajouter au prestige – même s’il faut dire que la venue d’une telle star n’est pas une garantie pour une représentation réussie.

C’est peut-être aussi pourquoi Feitler a décidé de ne prendre aucun risque pour le cinquantenaire de « son » théâtre et, au lieu d’éditer une belle brochure et de montrer une pièce compliquée , il a préféré faire venir une valeur sûre avec le musical « West Side Story » – peut-être aussi pour se défaire de l’image un peu élitiste du théâtre. En tout cas, ça marche : la douzaine de représentations se joue à guichets fermés. Et il faut dire que la musique de Bernstein, interprétée par des ultra-professionnels du théâtre musical – fait toujours frémir – même si on n’aime pas les musicals. Et même si la perfection de la production fait parfois froid dans le dos.

En tout cas, le Grand Théâtre continuera à être une des premières adresses culturelles du pays, même sans son directeur, qui veut partir à la retraite en 2015. Ce qui promet déjà une nouvelle bataille pour la succession, dont on espère qu’elle ne sera pas aussi ridicule que celle qu’on vient de vivre au Centre culturel de rencontre de l’abbaye de Neumünster.


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