CINEMA: Missile „croisette“ sur Maison Blanche

C’était un jury de cinéphiles qui s’était rendu à Cannes cette année. Pourtant, plutôt qu’à la fiction, ils ont choisi de donner la plus haute récompense à un documentaire.

La palme pour Moore, la fin du mandat pour Bush? Il faudra attendre novembre pour savoir si le cinéaste sera le gagnant de l’épreuve de force qui l’oppose au président américain.

„Nous avons couronné Fahrenheit 9/11 pour ses qualités cinématographiques et non pour des raisons politiques“ a déclaré Quentin Tarantino lors de la conférence de presse du jury. Maintenant, reste à savoir ce que l’on appelle qualités cinématographiques lorsque l’on a devant soi un documentaire dont 80% des images ont été prises à la télévision et que celui-ci a été monté comme un reportage télé. Peut-on également octroyer une palme d’or à un homme qui tombe à pic pour faire de la propagande politique à l’aide de documents et de soi-disant preuves qui, d’un point de vue juridique, n’auraient pas de poids aux yeux d’un juge? En attribuant la palme d’or à Michael Moore, Quentin Tarantino rentre à la fois dans le jeu
de George Bush, d’ailleurs Jean-Luc Godard avait déclaré quelques jours plus tôt: „le film de Michael Moore risque de plus servir Bush que de le détruire“, et transforme le
Festival de Cannes en une tribune politique.

Que Michael Moore dénonce les travers de George Bush, on peut le cautionner. Mais dans Fahrenheit 9/11 il va beaucoup trop loin, finissant par se discréditer lui-même. Que son film soit présenté à Cannes afin d’obtenir un tremplin, passe encore, mais il n’aurait jamais dû être en compétition et encore moins primé dans l’unique but de faire visionner le film par un maximum d’Américains qui, par la même occasion, sont invités à ne plus voter pour George Bush. Franchement, on a du mal à comprendre comment Cannes a pu tomber dans un tel panneau et se faire mener par le bout du nez par les discours démagogues de Michael Moore. Où est passé l’esprit critique de la critique cinématographique internationale? Comment ne peut-on pas réagir lorsque Michael Moore parle, comme cela a été le cas en conférence de presse des lauréats, d’une ´uvre de fiction puis d’un documentaire. D’annoncer et de remercier l’interprétation de George Bush et de ses acolytes qui sont parvenus à faire rire la Croisette? D’ailleurs, lors de la rencontre entre le jury et la presse le lendemain du palmarès, celui-ci a déclaré sérieusement avoir pensé octroyer le prix d’interprétation à George Bush! Certes, Cannes a déjà joué dans le passé de médiateur politique et a soutenu des films aux messages politiques clairs. Mais à chaque fois, ces messages passaient à travers des fictions. Avec Farenheit 9/11, Michael Moore nous plonge bien dans la réalité des choses avec comme seule petite différence des images chocs qui ont pu à tout moment être modifiées.

Lors de la conférence de presse du film, Michael Moore avait annoncé qu’il n’avait peur de rien et de personne. Pourtant, une armée de gardes du corps se trouvait à ses côtés dans la salle de conférence de presse. Lorsqu’un journaliste lui a fait remarquer cela, il a joué l’étonné, prétendant que c’était le Festival qui se chargeait des mesures de sécurité et qu’il n’avait rien demandé. Samedi soir, quelques minutes avant le début de la conférence de presse des lauréats, un chien de la brigade des démineurs se promenait dans la salle des conférences de presse à la recherche d’éventuels explosifs. Une démonstration des talents et de l’efficacité de la race canine qui ne s’était jamais vue pour ma part depuis 16 ans de couverture cannoise. Officiellement, ce passage au peigne fin de la salle est quotidienne. Officieusement, il y avait angoisse malgré une fouille systématique des sacs et un passage obligé au détecteur de métaux à chaque fois que l’on souhaite entrer au Palais ou dans une salle de projection. Le tout est de savoir à qui s’adresse cette angoisse.

Quoi qu’il en soit, on se doutait que Quentin Tarantino allait surprendre la Croisette. De là à couronner un documentaire, lui qui se dit cinéphile averti, qu’il ne souhaite pas se mettre à la place d’un juge mais de seulement profiter de son titre de Président du jury pour s’offrir un festin cinématographique, il y a de quoi polémiquer.

Pour le reste du palmarès, à deux voix près, „Old Boy“ du Coréen Park Chan-Wook décrochait la récompense suprême. A défaut, il s’est vu attribué le Grand Prix du jury. En revanche, on ne comprend pas comment le petit Yagira Yuya (douze ans) s’est vu récompenser par le prix du meilleur acteur alors que les autres enfants de „Nobody Knows“ sont rentrés bredouille. Tout comme on ne comprend pas pourquoi l’acteur de „Les Conséquences de l’amour“ n’ait pas obtenu ce prix alors que son personnage et son interprétation évoluait au fur et à mesure du déroulement de l’histoire. Quant à Maggie Cheung, son prix d’interprétation féminine pour „Clean“ ressemble plus à une compensation pour l’avoir oublié en 2000 pour son rôle dans le film de Wong Kar-Waï „In the Mood for Love“. Toujours dans la rubrique déception du palmarès, on retiendra le prix du scénario pour „Comme une image“ d’Agnès Jaoui qui en définitive n’est pas différent de leurs ´uvres précédentes. Egalement surprenant, c’est le prix de la mise en scène pour le film de Tony Gatlif „Exils“. Film où justement la mise en scène est totalement absente et où la scène finale de la mise en transe est interminable.

Sur quatre films français en compétition, trois ont été récompensés par un jury à majorité américaine. Avec ce genre de palmarès, cela sent le compromis à plein nez. Comment des cinéphiles ou boulimiques du cinéma, comme se prétend l’être Quentin Tarantino, ont-ils pu oublier au palmarès des longs-métrages comme „2046“ de Wong Kar-Waï, qui bénéficiait d’une excellente mise en scène, „Carnets de Voyage“ de Walter Salles qui partait favori à la Palme d’Or?

En dehors de ce palmarès, la 57e édition a été quelque peu secouée par les intermittents du spectacle sans pour autant troubler cette grande messe cinématographique annuelle. Les stars, principalement américaines, sont enfin venues en nombre suffisant pour que Cannes puisse garder son statut de Festival le plus prestigieux du monde – sans toutefois accepter à chaque fois de jouer le jeu et préférant le calme de l’hôtel du Cap d’Antibes aux brouhahas de la Croisette et des palaces cannois – et la sélection a été d’un niveau correct sans toutefois avoir un long métrage qui sorte véritablement du lot. C’est également pour cela que les prédictions du palmarès se sont avérées bien plus difficiles encore que les années précédentes.


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