La jeune cinéaste Beryl Koltz vient de gagner deux prix au festival international de courts-métrages à Clermont-Ferrand. Pourtant, elle ne rêve vraiment pas d’Hollywood.
„Je ne suis pas de ceux qui recherchent le confort et la sécurité à tout prix. De plus trop de confort empêche souvent la créativité. C’est dans l’urgence qu’il faut créer“, dit-elle et ajoute que cela ne l’empêche pas d’aimer la bonne bouffe et le bon vin. Celle qui s’est faite virer d’une école de film prestigieuse – l’INSAS de Bruxelles – pour cause de désaccords idéologiques, est aujourd’hui une des étoiles montantes du cinéma luxembourgeois. Non pas qu’à l’époque elle ait été trop à gauche, au contraire, elle fuyait le formatage communiste de cet établissement. Rentrée à Paris, où elle a commencée sa formation, elle finit son cursus à la section cinéma de la Sorbonne.
„Là les moyens étaient réduits et les cours plus théoriques, mais par contre j’étais libre de faire ce que je voulais“, raconte-t-elle. Puis elle commence à travailler sur de gros tournages au Luxembourg, histoire de gagner un peu d’expérience pratique. „C’est primordial de savoir observer un tournage, car diriger toute une équipe de créatifs est un vrai exploit psychologique. Tu te rends compte que le petit stagiaire au fond peut devenir aussi important que ton acteur principal.“ Elle enchaîne avec des petits films documentaires sur commande, dont un pour le ministère de la Santé qui traite le sujet des maladies mentales chez les adolescents, ce qui l’a vraiment marquée. En acceptant ces travaux, elle se fait en même temps un petit nom, et aggrandit la longueur de son CV. „Pourtant, je ne ferais pas un clip pour MacDo par exemple, j’ai des principes. Si j’accepte ces travaux, c’est d’abord pour en vivre matériellement.“ Car spirituellement elle vit pour autre chose, pour ses films. Ou, plus justement, ses courts-métrages. Car c’est, à en croire Beryl Koltz, un genre à part: „Le circuit des courts-métrages est beaucoup plus humain que si on travaille dans les longs-métrages. Ca vient du fait que leur valeur marchande est moindre. Du coup la solidarité du milieu augmente“, commente-t-elle.
L’art de vomir – Vomir de l’art
Même si en termes de travail et de côuts cela se rapproche des longs-métrages, on peut bel et bien travailler pendant deux ans sur un court-métrage et n’avoir à la fin que vingt minutes de film. Pourtant, quand on lui demande si elle ne prévoit pas un long-métrage au futur, elle s’éclipse en riant.
Alors, comment fait-elle pour concevoir cette forme un peu spéciale qu’est le court-métrage? „Je ne suis pas une créatrice de longue haleine, „explique-t-elle, „je fais tout d’un jet. En fait, je sors beaucoup, dans des bars ou des expos, et si on me fait remarquer qu’apparemment je ne fous rien du tout, je réponds toujours que je suis en maturation. Je ne commence qu’à partir du moment où tout devient clair. „Si elle a une idée en tête elle couche directement une version sur papier. L’histoire du premier jet, relève dans l’idée que Beryl Koltz se fait de l’art d’une importance quasi métaphorique.
En fait, elle est restée fidèle à une doctrine qu’elle a énoncée elle-même dans une dissertation théorique pendant son temps d’études parisien. Sur demande expresse du woxx et pour le bien de la postérité, elle nous accorde la transcription exacte: „L’art c’est la matérialisation de tout ce qu’on a pas pu digérer. C’est du vomi glacé à partir d’ingrédients tièdes et mièvres mais dans lequel chacun, avec un peu d’imagination, peut reconnaître ses raviolis de la veille.“ Elle insiste que son credo artistique n’est pas anti-esthétique du tout, qu’une flaque de vomi glacé ça peut rayonner de toutes les couleurs. Et qu’en plus, ça ne pue pas.
Ce premier jet est souvent abstrait, et plutôt littéraire. Ce n’est qu’après que le travail de cinéaste commence vraiment, on sort la hache et on découpe le tout en scènes, pourvues de dialogues et de décors précis. En fin de compte, le film c’est surtout une autre façon de raconter une histoire. Surtout si on est venu au film par la lecture de romans, comme Beryl Koltz. Pour elle, le principal défi est de mélanger et de fondre l’un dans l’autre le fond et la forme, afin de créer tout un univers nouveau. „Je ne suis pas adepte des tranches de vie. Je n’aime pas l’idée qu’on puisse appliquer une grille de lecture à la réalité pour la sublimer en art“. Elle se réclame plutôt de la démarche d’abstraction du monde, de sa récréation en espace-univers clos. Même si elle admet que son dernier film „Starfly“ est plus émotionnel et donc plus accessible au public que „Your Chicken Died of Hunger,“ celui d’avant.
Claquements de portes
Pour réaliser son idée, elle fait appel à „son“ équipe: des ami-e-s, professionnel-l-e-s dans leur milieu qui acceptent de travailler presque bénévolement (à raison de 75 € par jour). Le travail collectif donne une nouvelle dimension au projet: „C’est une expérience très forte quand tu te retrouves autour d’une table et qu’une dizaine de personnes est en train de parler de ton idée qui, jusque-là, n’existait que dans ta tête. „L’ambiance au cours des préparatifs et du tournage même est souvent potache, on rit beaucoup, mais: „chacun sait quand ça devient sérieux et on sait enchaîner de longues heures de travail jusque dans la nuit“, assure-t-elle.
A son habitude, elle suit son film même dans la post-production, le montage-image et le montage-son. Ce dernier semble d’autant plus important qu’il vient d’être primé à Clermont-Ferrand. Pourtant „Starfly“ contient peu de musique originale, la grande partie de la bande-son se compose de standards de jazz. Arrangés par le duo franco-luxembourgeois Lingo et monté par Diane Dumont. C’est dans les détails, dans les sons „non-musicaux“ que Beryl Koltz aime placer des petits clins d’oeil qui font le charme de ses productions: „Le son est très important pour moi, car un film c’est aussi une affaire de rythme. Dans „Starfly“, il y a un moment que j’adore: celui où le docteur se prononce définitivement sur l’euthanasie du patient. A ce moment précis, on entend un claquement de porte quelque part en dehors de la pièce. C’est là les petits trucs qui décident, aussi bien que le jeu des acteurs, de la qualité d’un film.“
Cette qualité a donc fait que son film et sa bande-son ont été primés. Et Clermont-Ferrand – même si ça sonne comme un bled lointain – c’est „the“ festival du court-métrage. Le plus grand du monde. En chiffres ça donne 140.000 entrées, des bars pleins à craquer et des queues interminables devant les salles obscures. „C’est absolument fou ce qui se passe là. Les Clermontais prennent congé juste pour assister à un maximum de séances. C’est carrément une ville éduquée au court-métrage“, jubile-t-elle. Ce rêve de tout producteur de courts représente en même temps une sorte d’états-généraux du genre. Des films proviennent de par tous les coins de la planète: Chine, Inde, même l’Afrique est au rendez-vous. „Ce festival est surtout une excellente occasion pour discuter et s’échanger, tant avec le public qu’avec d’autres professionnels. D’autant plus que l’ambiance est très relaxée: tu entres dans un bar et trente secondes plus tard tu es en pleine conversation.“ Elle persiste dans son émerveillement et elle a raison: parmi les 3.600 films envoyés, seulement 77 sont nominés pour un total de sept prix à distribuer. „Déjà la nomination était une grande récompense pour nous, gagner un prix en plus ça nous a fait flipper.“ Comme son acteur principal, venu exprès de Grande-Bretagne, qui pendant quelques jours a pu vivre une vraie petite vie de star. „Mais il ne prend pas cela trop au sérieux“ assure-t-elle.
Et elle, regardera-t-elle son film quand il passera sur Canal+? „Je n’ai pas de décodeur,“ répond-elle, „même pas une télévision.“
On peut visionner „Starfly“ sur: www.la-boheme-films.com