Le grand-duc Henri abdiquera le 3 octobre prochain en faveur de son fils Guillaume, à l’issue d’un règne de 25 ans qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.
S’il y a une chose que le grand-duc Henri n’aura pas réussi à effacer au cours de ses 25 ans de règne, c’est sa timidité. Elle affleure dans ses interventions, et le discours de Noël, diffusé au soir du 24 décembre, n’y a pas dérogé, conférant une dimension touchante au personnage. Debout, face caméra, apparaissant un peu figé, c’est d’une voix empreinte d’émotion que le chef de l’État a annoncé son abdication le 3 octobre prochain, en faveur de son fils Guillaume. Le monarque, qui fêtera ses 70 ans en avril, a dressé à gros traits un bilan du quart de siècle qui le sépare désormais de son accession au trône. Des années au cours desquelles il dit avoir avantageusement accompagné le développement du pays vers davantage de prospérité. Dans cet ultime discours de Noël comme grand-duc, il a insisté sur son attachement à la diversité du Luxembourg, « un carrefour de cultures, de langues, de modes de vie, un lieu de dialogue et d’échange ».
À lui seul, le propos, forcément bienveillant, résume mal un règne qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. En 2008, Henri avait refusé de signer la loi sur l’euthanasie en invoquant des raisons de conscience. À l’issue d’une (petite) crise constitutionnelle, il avait vu ses prérogatives amoindries, le grand-duc n’étant désormais plus tenu d’avaliser une loi, mais de simplement la promulguer. Sur le plan religieux, la monarchie, étroitement liée à l’Église catholique, a également dû avaler, en 2013, la pilule de la séparation de l’État et de l’Église.
C’est cependant en 2019 que les vents contraires ont soufflé le plus fortement. L’épouse du chef de l’État était épinglée en raison des pressions qu’elle exerçait sur les équipes travaillant pour la maison grand-ducale : en cinq ans, 68 personnes sur les 110 employées par la Cour avaient quitté le navire. Dans un rapport diligenté par le gouvernement et signé par l’ancien directeur de l’Inspection des finances Jeannot Waringo, la grande-duchesse Maria Teresa était mise en cause pour ses interventions quotidiennes auprès du personnel, alors « qu’elle exerce une fonction purement représentative ». Derrière les histoires plus ou moins truculentes révélées par les médias sur ces relations problématiques, l’affaire mettait surtout en évidence la gestion financière opaque des deniers alloués à la Cour. Pas de gabegie, avait conclu Jeannot Waringo, mais un flou absolu auquel il a été mis un terme par la création de la « Maison du Grand-Duc », en 2020.
Grignoter les espaces d’échange avec la société civile, c’est enfermer la démocratie dans une logique plébiscitaire, tranchée par le seul scrutin législatif. Une logique de monarchie élective, en quelque sorte.
Le grand-duc a davantage subi ces évolutions positives qu’il ne les a suscitées dans un souci de moderniser la monarchie. De quoi apporter de l’eau au moulin des contempteurs de cette fonction héréditaire – de « droit divin » – et qui plaident pour l’instauration d’une république, revendication portée avec plus ou moins de vigueur depuis plus d’un siècle. Il n’empêche, tant sur l’euthanasie que sur les finances de la Cour, la démocratie est sortie grandie de ces affaires : le parlement a gagné en souveraineté et la gestion de l’argent public est devenue plus transparente. À observer ce qui se déroule ailleurs, nul doute, même, que la monarchie constitutionnelle luxembourgeoise fait aujourd’hui preuve de davantage de vigueur démocratique que nombre de républiques qui l’entourent. En la matière, la volonté des gouvernant·es d’entretenir un lien ouvert et constructif avec toutes les composantes de la société importe au moins autant que la nature du régime politique.
De ce point de vue, le plus grand danger semble aujourd’hui davantage venir du gouvernement Frieden que du Palais grand-ducal. Depuis un an, la coalition s’attelle à affaiblir syndicats, associations et ONG, en les écartant des débats les plus importants ou en taillant sévèrement dans leurs subsides. Écouter et surtout entendre la voix de ces corps intermédiaires est vital pour une démocratie. Grignoter les espaces d’échange avec la société civile, c’est progressivement enfermer la démocratie dans une logique plébiscitaire, tranchée par le seul scrutin législatif. Une logique de monarchie élective, en quelque sorte. Et dans cela, ni l’actuel ni le futur grand-duc ne sont pour rien.