Antiblanchiment : Dans la douleur

Dire que le projet de loi 7217, qui instaure un registre des bénéficiaires effectifs, a fait grincer des dents non seulement au parlement mais aussi au sein de la place financière est un euphémisme. Pourtant le grand-duché, acculé par l’Europe, a fini par acquiescer.

Photo : Wikipédia

Comment mieux mesurer l’impact d’une loi fraîchement votée que par une newsletter venant directement de la place financière ? Ainsi, mercredi 19 décembre vers midi, le grand cabinet Arendt & Medernach envoyait un « newsflash » à sa clientèle intitulé « The Luxembourg register of beneficial owners (« BOs ») for legal entities, here it comes ! ». Derrière cette annonce euphorique se cache pourtant une longue bataille entre celles et ceux qui voulaient continuer à tabler sur la discrétion et les autres. Ce registre, qui est une des mesures phares de la quatrième directive antiblanchiment de l’Union européenne, a fait chauffer à blanc les départements juridiques des institutions de la place financière ces derniers mois.

Cet outil de transparence, conséquence directe des fuites ayant amené les Luxleaks et les Panama Papers, n’a pas été transposé de manière satisfaisante aux yeux de la commission Juncker. De sorte que cette dernière a déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre le Luxembourg, comme le woxx l’avait rapporté début novembre. À l’époque, le ministère de l’Économie nous avait juré ne pas savoir pourquoi la commission avait déclenché cette procédure, disant même que faire le lien avec le fameux registre serait « une pure spéculation ». Eh bien, il s’avère que cette spéculation n’était pas si fausse.

Registre à cheval entre deux directives

Sinon, comment expliquer cette hâte à transposer le registre au tout début de la nouvelle législature ? Des réunions de commissions parlementaires chahutées, des députés de l’opposition (avant tout Laurent Mosar du CSV et Roy Reding de l’ADR – tous les deux avocats d’affaires et ardents défenseurs de la place financière) rageant sur les ondes de la radio publique, disant que cela reviendrait à « tirer au canon sur des moineaux », tout cela n’était qu’un avant-goût de la bataille serrée à la Chambre, dont la session a duré jusqu’à 22 heures mardi dernier. Les moineaux en question étaient les asbl, qui dans le cadre de ce registre devront aussi montrer patte blanche – ce qui risque de porter un coup au bénévolat, même si le ministre de la Justice a tempéré en promettant de trouver un moyen pour ne pas trop rendre difficile le quotidien des associations.

Mais de toute façon, la vie associative n’a été que le prétexte pour l’opposition à s’ériger contre le projet de transparence des bénéficiaires effectifs. Alors que le rapporteur Franz Fayot a admis à la tribune que le texte a été soumis à un processus législatif expéditif, il a aussi expliqué que le registre était aussi une mesure d’anticipation de la cinquième directive antiblanchiment (à laquelle même les eurodéputé-e-s CSV avaient donné leur aval). De toute façon, le registre exclut toujours les fiduciaires et les structures offshore. Et ce sont ces dernières qui ont donné lieu à quelques échanges violents entre Fayot, Mosar et aussi Roy Reding. Se basant sur les révélations du woxx mêlant les deux députés CSV et ADR aux Panama Papers, Fayot leur a demandé un peu de retenue. Mosar a répliqué que Fayot lui-même avait travaillé pour le cabinet Elvinger, Hoss et Prüssen, mêlé au scandale Mossack Fonseca, ce à quoi l’intéressé a rétorqué qu’il n’était pas associé au moment des faits et que des députés et anciens ministres du CSV (Léon Gloden et Luc Frieden) y étaient associés en ce moment. Une façon aussi de révéler combien la Chambre des député-e-s est plutôt représentative de la place financière que du peuple. Mais au moins, le registre est passé avec l’abstention du CSV et les votes contre de l’ADR – qui une fois de plus a prouvé sa vraie fidélité, celle aux intérêts des plus riches.


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