CFL : Stabilité bienheureuse

Bénéficiaire cinq années de suite, la Société nationale des chemins de fer luxembourgeois semble être sortie des années troubles.

Des résultats qui apportent la bonne humeur : 
le comité de direction et le conseil d’administration des CFL avaient invité à leur traditionnelle conférence de presse annuelle mardi dernier. (Photo : woxx)

Quand l’ancien directeur de l’Inspection des finances publiques, Jeannot Waringo, a dû, à côté des nombreux autres mandats qu’il détenait déjà, reprendre la présidence de la Société nationale des chemins de fer luxembourgeois (CFL) au début des années 2000, il y venait en tant que pompier : les résultats du groupe étaient désastreux et des restructurations très importantes étaient à l’ordre du jour.

La libéralisation des systèmes de transport imposée par Bruxelles battait son plein. Il s’agissait de séparer l’infrastructure ferroviaire de l’activité de transport et les différents services offerts par la société devaient s’ouvrir à la concurrence. Le Luxembourg avait bel et bien réussi à obtenir des dérogations à ces règles, mais certaines transformations étaient quand même devenues inévitables. D’aucuns voyaient en l’arrivée de Waringo le début d’un immense travail de démantèlement, à l’instar de la sidérurgie il y a 40 ans, quand les effectifs avaient été divisés par quatre en un peu plus d’une décennie.

Aujourd’hui, le fonctionnaire retraité se dit un président heureux : depuis cinq ans, le groupe CFL enregistre un résultat positif. Lors de la conférence de presse annuelle sur les résultats de sa société, ce mardi, il a effectivement pu annoncer un bénéfice pour 2018 à hauteur de 9.982.314 euros. Un chiffre sensiblement égal à celui de l’année précédente, sans atteindre le résultat de 2016 qui se montait à 13,5 millions, mais nettement mieux que 2014, la première année de la série des années à bénéfice avec 6,5 millions.

Évidemment, il faut rapporter ces résultats aux chiffres d’affaires qui ont permis de les réaliser. Le parallélisme semble parfait : l’année avec le plus gros chiffre d’affaires – 2016, avec 914,4 millions – est aussi celle avec le meilleur résultat, et si celui de 2018 était un brin plus élevé que celui de 2017, cela est aussi vrai pour le « chida », qui reste en deçà de la barre des 900 millions, mais dépasse celui de 2017 de presque 10 millions pour se situer à hauteur de 892,5 millions.

Si, en plus, on compare ces chiffres avec la situation observée en 2003 et les restructurations qui s’annonçaient alors, notamment en ce qui concerne le transport de marchandises, mais aussi avec les années de crise qui ont suivi, on comprend que l’actuel président tout comme le directeur général Marc Wengler ont bien des raisons d’être satisfaits. À un moment, l’entreprise avait même pensé devoir abandonner complètement le fret. Et si la discussion sur la résurgence des transports publics était déjà bien enclenchée au début des années 2000, qui aurait cru que les CFL allaient presque doubler le nombre de leurs voyageurs en seulement quinze ans ?

Même situation du côté du personnel : depuis dix ans, l’augmentation est constante. Le groupe comptait 4.622 collaboratrices et collaborateurs en 2018, contre 4.521 l’année d’avant et 3.538 en 2008. Une centaine de postes a donc été créée l’année passée, ce qui a mené, avec les démissions et départs en retraite, à 436 embauches en 2018. Et la société s’affiche fièrement comme le deuxième employeur au Luxembourg.

Jeannot Waringo précise – un peu comme une boutade – que malgré le bon résultat, aucun des actionnaires n’a jusqu’à présent demandé à en tirer le moindre dividende. Une satisfaction toute relative, car l’actionnariat des CFL est un peu particulier : il s’agit de l’État luxembourgeois à hauteur de 94 %, de l’État belge pour 4 % et de l’État français pour 2 % du capital. Si le bénéfice semble dorénavant stable, il ne s’élève même pas à un pour cent du chiffre d’affaires, et la Belgique comme la France devraient se contenter de quelques centaines de milliers d’euros à rapatrier éventuellement. Le Luxembourg, qui tout en étant le principal actionnaire est aussi le premier « client » des CFL – parce qu’il paie la société pour organiser le transport de sa population et pour réaliser d’importants travaux d’investissement et d’entretien au niveau des infrastructures –, a donc tout intérêt à laisser le bénéfice à la société pour qu’elle le réinvestisse.

Le fret : de pire en mieux

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Le problème est qu’on parle de chiffres consolidés. Or, au niveau des différentes branches d’activité, les résultats ne sont pas aussi stables que le total général le laisse imaginer. Cela dit, il n’y a rien d’irrégulier à regarder les chiffres du groupe sous forme consolidée. C’est d’ailleurs un des avantages des grands groupes : pouvoir « soutenir » des secteurs déficitaires pendant des périodes assez importantes, pour les remettre sur les « rails » – au sens littéral dans le cas concret des CFL – alors qu’ils auraient déjà disparu s’ils avaient dû survivre avec leurs propres moyens. Mais la logique imposée par Bruxelles d’une rentabilité globale à atteindre sans avoir recours à des subventions publiques autres que celles allouées en contrepartie d’un service nécessite une observation plus détaillée des différentes activités.

En simplifiant un peu grossièrement, on pourrait dire que les CFL se livrent à trois activités importantes qui contribuent au chiffre d’affaires : le transport de personnes, le transport de marchandises et les travaux d’infrastructure réalisés pour le compte de l’État. L’« activité voyageurs », comme les CFL appellent le transport des personnes par train et par bus et qui est essentiellement un service payé par l’État, représentait en 2018, avec 274,6 millions d’euros, 30,77 pour cent du chiffre d’affaires du groupe. L’« activité fret » s’élevait à 242,8 millions d’euros (27,20 pour cent) et l’« activité infrastructure » à 372.148,9 millions d’euros (41,70 pour cent). Les autres activités restent négligeables, avec 0,33 pour cent du chiffre d’affaires.

Dans sa présentation des résultats lors de la conférence, la direction  – toute masculine – des CFL n’a pas caché une particularité dans la façon dont les résultats du groupe ont pu être obtenus : ils sont à la merci de l’activité fret, qui est complètement exposée à la libre concurrence. Et les résultats de cette activité sont plutôt en dents de scie : en 2016, le fret affichait un tout petit résultat positif à hauteur de 1,7 million d’euros, alors qu’en 2017 un déficit de 11,7 millions a dû être enregistré. En 2018, le résultat s’améliore un peu, mais reste négatif à hauteur de 3,2 millions. Des chiffres qui sont loin d’être dramatiques si on les compare aux chiffres d’affaires réalisés par ce secteur, et surtout à ceux réalisés il y a dix ans lorsque la crise débutait.

Les responsables des CFL mentionnent une année particulièrement difficile à cause des grèves en France, qui ont fait perdre des parts de marché à la société. En « temps normal », le résultat aurait dû être meilleur, car les investissements énormes réalisés notamment entre Bettembourg et Dudelange « ont mis le Luxembourg sur la carte », comme l’explique le directeur général Marc Wengler, et amènent de plus en plus clients internationaux. Beaucoup d’espoirs sont aussi mis dans une liaison ferroviaire directe vers la Chine, comme alternative à l’avion cher et polluant ainsi qu’au bateau lent. Techniquement, les choses semblent prêtes : un premier train test a accusé un retard de plus ou moins une heure… pour un voyage qui durait quinze jours.

Photo : cfl.lu

Des grèves qui n’expliquent 
pas tout

La branche la plus rentable pour les CFL semble bien être les infrastructures : quand l’État investit massivement, comme en 2016, le chiffre d’affaires de la société s’envole et les résultats de la « maison-mère » aussi.

D’un point de vue financier, le secteur le plus stable est bel et bien le transport des voyageurs et voyageuses. Si leur nombre n’évolue plus aussi vite qu’au début de la décennie, il continue néanmoins à grimper régulièrement. S’il n’y avait pas eu les grèves en France et les problèmes avec la liaison vers la Belgique dans le courant de l’année 2018, l’augmentation aurait même pu être encore plus nette. La ligne du Nord a même connu une croissance du nombre de voyageurs et voyageuses de 14,6 pour cent entre 2017 et 2018.

L’arrivée de la gratuité des transports en mars 2019 ne semble pas inquiéter les responsables des CFL : contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit pas véritablement d’un manque à gagner pour la société. Les recettes pour les billets et abonnements nationaux vendus aux guichets sont reversées à l’État, qui de toute façon paie l’entièreté du service moyennant un contrat de service souscrit jusqu’en 2024. Les accompagnateurs et accompagnatrices de train ne seront pas supprimé-e-s – le contrôle des tickets n’était de toute façon qu’un élément de leur activité. Les activités de guichet seront cependant nettement réduites, même si la vente de tickets de première classe et internationaux demeurera. Il y aura d’autres affectations pour ce personnel à l’intérieur du groupe.

Malgré tous ces éléments plutôt réconfortants, le bonheur de la direction n’est quand même pas complet : la ponctualité, mais aussi la suppression partielle ou complète de trains n’ont pas trop tendance à s’améliorer. On peut bien entendu regarder chez nos voisins, où les résultats ne sont pas meilleurs, mais il reste que la norme européenne, d’après laquelle un train est déclaré non ponctuel s’il accuse un retard de six minutes ou plus, est très discutable dans le contexte luxembourgeois où les trajets les plus longs – hormis la ligne du Nord – se situent largement en dessous d’une heure.

Avec une moyenne de 89 pour cent de trains « à l’heure » en 2018, il y a une toute petite amélioration par rapport à 2017 (88,8). Mais la situation reste très peu satisfaisante pour certaines lignes où, aux heures de pointe, les usagers et usagères subissent les mêmes types de problèmes de façon quasi quotidienne. Évidemment, les CFL invoquent l’énorme croissance qu’a connue le trafic voyageurs ces dernières années et les nombreux chantiers qui en sont la conséquence.

Avec la gratuité en vue et les autoroutes remplies de voitures, la demande pour un service de transport public plus fiable sera cependant croissante. Et il n’est pas sûr que la livraison des 34 nouvelles automotrices qui « apporteront un confort de voyage augmenté aux clients, ainsi que des équipements modernes à la pointe de la technologie » va compenser les frustrations actuelles – surtout que la première rame est prévue pour… décembre 2021.


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