Commentaire : Les deux visages du danger nucléaire

Une catastrophe comme à Fukushima, ça fait peur. Mais l’autre visage du nucléaire, dont on parle peu, est bien plus effrayant.

Le nucléaire, une énergie propre… vraiment ? (Wikimedia ; Nicolas Lardot ; PD)

Le Luxembourg rayé de la carte par un « accident » nucléaire ? Le sujet fait la une de l’actualité nationale grâce au film « An zéro », qui développe un tel scénario. Même si c’est l’image positive ou négative du Luxembourg véhiculée par le film qui échauffe les esprits, plutôt que le sujet en lui-même. Pourtant, le dixième anniversaire, ce 11 mars, de la catastrophe nucléaire de Fukushima est là pour nous rappeler que les « accidents », ça finit toujours par arriver.

Après Three Mile Island en 1979, les Soviétiques ont cru en leur supériorité ; après Tchernobyl en 1986, les Japonais-es souriaient des erreurs soviétiques ; mais après Fukushima en 2011, même les Français-es, si fiers-ères de leur science atomique, ont admis que oui, un accident pourrait arriver chez eux… donc chez nous. Et ce qui est commémoré est terrible : incertitude des premiers jours, alors qu’un tsunami a détruit la centrale nucléaire, que les cœurs des réacteurs fondent et que la portée de la contamination est inconnue. Ensuite, évacuation de quelque 150.000 personnes, mises en garde contre la contamination de l’alimentation et de l’eau jusqu’à Tokyo, crainte d’un choc économique. Enfin, jusqu’à ce jour, les victimes des évacuations ou des radiations peinent à se remettre et luttent pour des compensations adéquates, tandis que le lieu du désastre est quasiment dans le même état qu’il y a dix ans, avec un démantèlement à l’horizon 2060…

L’effroi devant un tel accident a renforcé les arguments du mouvement antinucléaire. Évidemment, le meilleur moyen d’éviter qu’un tel accident se reproduise à Tianwan, à Temelín, à Tihange ou à Cattenom serait de sortir du nucléaire et de mettre les centrales à l’arrêt. Certains pays, comme l’Allemagne, s’y sont décidés. D’autres, comme la France, continuent à exploiter l’énergie nucléaire, tout en assurant que les exigences de sécurité tiennent compte des « leçons de Fukushima » et que les réacteurs sont aujourd’hui beaucoup plus sûrs.

Le travail de Greenpeace, Négawatt et d’autres ONG antinucléaires est alors doublement salutaire. D’une part, elles surveillent la mise en œuvre de ces exigences de sécurité, comme le documente l’article Ce sera pas pour demain, et dans une certaine mesure corrigent les défaillances du complexe industriel nucléaire français. D’autre part, le constat de ces défaillances – dues en partie aux immenses difficultés inhérentes à l’ingénierie nucléaire – renforce l’impression que la meilleure solution n’est pas d’améliorer les centrales, mais de les démanteler.

Photo : Wikimedia ; D5481026 ; CC BY-SA 4.0

Pire qu’un accident ?

Et pourtant… En insistant sur les risques d’accident, les antinucléaires se situent certes sur un terrain qui favorise la mobilisation des gens, mais sur lequel les pronucléaires ont aussi des arguments. Car le risque nucléaire est un risque industriel parmi d’autres, et fait donc l’objet d’un arbitrage entre exigences de sécurité et utilité économique. En effet, difficile d’argumenter que les accidents nucléaires seraient d’une nature entièrement différente que les grands désastres industriels comme la récente explosion d’un entrepôt de fertilisants à Beyrouth, le grave incendie de produits pyrotechniques à Lima en 2001 ou l’explosion d’une usine chimique à Bhopal en 1984. Le nombre de victimes de ces « accidents » dépasse celui des désastres nucléaires, et pourtant nos sociétés ne renoncent pas à l’agriculture, aux feux d’artifice ou aux produits chimiques.

S’il est urgent de sortir du nucléaire, c’est pour une autre raison : les déchets produits par l’utilisation de l’énergie atomique. Sur ce terrain-là, pas de comparaison possible : la durée de vie d’une partie significative des déchets se chiffre en centaines d’années et peut aller jusqu’à des centaines de milliers d’années. En d’autres mots, non seulement la radioactivité agit sur les humains et leur environnement de manière « invisible » et par doses infimes (ce qui vaut aussi pour les toxines chimiques), mais ces effets persistent et s’accumulent à une échelle difficile à imaginer. Cet effet différé et la difficulté de sensibiliser les gens à ce danger moins aigu que les accidents rappellent un peu le risque climatique.

Or, interpellé-e-s sur des désastres comme Fukushima, les pronucléaires peuvent proposer des remèdes techniques plus ou moins crédibles. Par contre, pour la « gestion » des déchets, il n’y a pas de solutions graduelles – on a le choix entre les enfouir ou ne pas les enfouir, mais on ne s’en débarrassera pas. C’est ce deuxième visage du nucléaire que ses adeptes ont donc soin d’occulter… et que ses adversaires auraient tort de négliger.

Lire nos autres articles Fukushima+10

Fukushima+10

Dix ans après la catastrophe nucléaire au Japon, où en est-on ? Le woxx est revenu sur le sujet de Fukushima à plusieurs reprises, et reprend aujourd’hui une contribution actuelle de Greenpeace sur la situation du nucléaire en France. Sur base d’un rapport de l’Institut négaWatt, l’ONG critique vivement l’establishment nucléaire français : celui-ci avait promis de tirer les leçons de l’accident, mais a traîné les pieds pour réaliser les mesures qui s’imposaient. Notons que le rapport adopte un ton moins sévère que Greenpeace et évoque la possibilité d’un achèvement des mesures dès 2036, c’est-à-dire avec un retard de 15 ans « seulement ». Au-delà du décompte des mesures réalisées ou retardées, l’ONG met l’accent sur la trop grande servilité de l’autorité de supervision ASN. La supposée amélioration de la sécurité sert en effet de justification pour prolonger le fonctionnement des centrales au-delà de 40 ans d’âge – celle de Cattenom devant éventuellement rester en service jusqu’aux alentours de 2050. Cela doit nous inquiéter, sachant qu’un « accident » est toujours possible, mais aussi pour une autre raison, souvent oubliée, sur laquelle nous revenons dans notre commentaire. D’autres articles dans le contexte de Fukushima+10, notamment sur la prolongation de fonctionnement des centrales françaises (« Laufzeitverlängerung ») sont disponibles en ligne : woxx.eu/fuku10


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