Nouveau siège, nouvelle saison. Cette association, inscrite dans le tissu socioculturel luxembourgeois depuis les années 1970, nous présente ses projets pour les prochains mois.
Pour la petite histoire, rappelons-nous que dans les années 1960, poussé-es par la nécessité et aussi par la dictature qui étouffait leur pays, environ deux millions d’Espagnol-es ont émigré vers l’Europe : Suisse, Allemagne, Belgique, France, Royaume-Uni, Pays-Bas et Luxembourg.
Le nom Machado est bien connu au Luxembourg, grâce aux nombreuses personnes qui le portent, mais aussi au Círculo Cultural Español « Antonio Machado », association dont les prémices datent de la fin des années 1960 et des années 1970 et qui s’est consolidée en septembre 1995, lorsque ses statuts ont été publiés au Mémorial.
Le woxx s’est entretenu avec deux membres du conseil d’administration : María Catalán et Jesús Iglesias.
Résidente au Luxembourg depuis mars 2020, María Catalán a intégré le Machado dès son arrivée. Elle affirme : « Je suis consciente des différences qui existent entre les conditions de vie des fondateurs du Círculo, d’une part, et les miennes et celles d’autres personnes qui sont en train d’arriver et qui ont plus de facilités, d’autre part. »
Au cœur de la ville
Quelles sont vos tâches dans l’association ?
María Catalán : Je suis la secrétaire et je coordonne le festival de courts métrages. Je suis aussi très impliquée dans la communication, notamment les réseaux sociaux, la page web et les bulletins d’information, en collaboration avec le président, Pedro Díaz, et le ou la volontaire de la Fael (Fédération des associations d’Espagnols du Luxembourg). Et je tâche de soutenir toute autre activité où je pourrais me rendre utile.
En février, le Centro Español Lucien Wercollier, siège de la Fael, dont le Círculo Machado est membre, a déménagé. Du 27, rue de Strasbourg, au cœur du quartier de la gare, vous êtes passé-es au 72, Grand-Rue, au cœur du centre-ville. Quelles sont les répercussions sur vos activités et sur votre quotidien ?
Ce changement s’est avéré très positif. Nous avons pu relancer des activités qui étaient en sommeil depuis la période covid et nous sommes en train de reprendre les habituelles, à savoir le club de lecture, le tournoi de mus (jeu de cartes d’origine basque, ndlr) et les rencontres de discussion sur des sujets divers (« tertulias »). Nous constatons que le nombre de participant-es a augmenté. Et, avec beaucoup d’efforts, nous avons réussi à transporter la bibliothèque, de plus de 3.000 volumes, qui constitue l’un des points forts de notre association. Être au cœur de la ville nous donne davantage de visibilité, et chaque jour de nouvelles personnes nous approchent, intéressées par nos activités ou dans l’optique de devenir membres. En avril, en collaboration avec l’ambassade d’Espagne et le Centre Català, nous avons organisé une journée du livre. En juin, nous avons fait une journée portes ouvertes qui a bien marché, et nous comptons réitérer l’expérience. Le Centro Español accueille également des activités sociales et culturelles proposées par des personnes privées, comme des cours de dessin créatif pour enfants ou des cours de Pilates.
Avancer au rythme du temps
Y a-t-il un profil particulier de personnes qui s’intéressent au Círculo Cultural Antonio Machado et à ses activités ?
Il s’agit pour la plupart d’Espagnol-es résidant au Luxembourg, ce qui est très positif, car un des buts de notre association, c’est de favoriser l’intégration des Espagnol-es qui viennent d’arriver au grand-duché. Or, bien évidemment, toute personne, au-delà de ses origines ou de sa nationalité, est la bienvenue ! Suite au changement d’adresse, il y a également d’« ancien-nes » ami-es et membres qui se sont rapproché-es de nous pour connaître les nouvelles installations et activités. Le profil des visiteurs et visiteuses est hétérogène. Et encore une conséquence positive du changement : les gens viennent spontanément, tandis que, quand nous étions rue de Strasbourg, cela ne se produisait pratiquement jamais. Actuellement, une nouvelle vague de jeunes est en train d’arriver, peut-être en quête d’une première opportunité professionnelle. Et il y a de fortes chances que beaucoup de ces jeunes finissent par s’établir ici. Un défi que nous devons relever, à l’instar de nos prédécesseurs, c’est de nous adapter aux nouvelles réalités, d’avancer au rythme du temps. Cela implique, par exemple, d’adopter les nouveaux systèmes de communication, pour atteindre le plus grand nombre de personnes.
Six moments phares
Vous avez mentionné des activités régulières : bibliothèque, « tertulias », mus, club de lecture, qui se déroulent au Centro Español, mais, à différents moments de l’année, le nom « Círculo Cultural Español Antonio Machado » s’affiche dans des espaces bien plus grands, comme la Cinémathèque, la Kulturfabrik, Luxexpo, le cinéma Utopia, ou encore Neimënster ou Altrimenti… Que nous concoctez-vous pour la nouvelle saison ?
En fait, à part les activités régulières qui se déroulent généralement à notre siège, le Círculo a chaque année six moments phares. Nous démarrons la nouvelle saison le 15 septembre, à 19h, à la Cinémathèque. Suite à la projection des neuf courts métrages finalistes sera dévoilé le nom de celui qui a remporté le prix de la 14e édition de notre festival de courts métrages « Miradas/Blécker ». Cette année, la participation a été extraordinaire. Nous avons reçu 180 films, et une vingtaine de volontaires, réparti-es en deux groupes, les a visionnés et a choisi les 15 demi-finalistes. Le jury a déterminé les neuf finalistes. Nous continuerons nos activités cinéphiles en octobre : le 9, au cinéma Utopia, nous présenterons le film « 1980 », d’Iñaki Arteta, autour des actions de l’organisation terroriste ETA. Le 12, au Centro Español, et donc pour un public réduit, nous projetterons plusieurs films expérimentaux de l’artiste équatorien Eduardo Solà Franco. Cette activité s’encadre dans une collaboration avec l’association Archivos Nuevos Medios Ecuador, dont la directrice, María Belén Moncayo, sera présente. Le 25, au cinéma Utopia, nous projetterons « Urraca, chasseur de ‘rouges’ », de Felip Solé et Pedro de Echave, en présence de Loreto Urraca, auteure du livre qui a inspiré le film. Avant la fin de l’année, nous prévoyons des conférences dont le contenu sera dévoilé le moment venu et qui seront annoncées sur notre page web et dans notre bulletin. Dans le cadre du Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté, auquel nous participons depuis sa première édition, nous tenons un stand au Salon du livre et des cultures et invitons un-e auteur-e. Notre invitée en 2023 a été la poète Carmen Camacho. Nous n’avons pas encore choisi notre invité-e pour 2024. Du 24 mai au 1er juin 2024 se déroulera la 17e édition du Flamenco Festival Esch, devenu l’un des grands événements musicaux de l’année, que nous réalisons en partenariat avec la Kulturfabrik, l’Escher Theater et la Cinémathèque. La nouvelle édition du Festival de cinéma aura lieu aussi au printemps, comme d’habitude, mais les dates et les titres n’ont pas encore été confirmés. Des nouvelles suivront ! Le concours littéraire pour enfants et adolescents Antonio Machado est un concours de nouvelles en espagnol destiné aux étudiant-es âgé-es de 8 à 18 ans qui vivent ou étudient au Luxembourg ou dans une ville voisine, quelle que soit leur nationalité. Nous n’avons pas encore fixé la date de remise des prix pour l’édition 2024. Les personnes intéressées pourront consulter notre page web ou notre bulletin. Ou venir nous voir !
Quelles sont vos sources de financement ?
À part les cotisations des membres – environ 200 –, nous recevons des aides ponctuelles de l’administration espagnole ainsi que de l’ambassade d’Espagne. Et je tiens à souligner le soutien fondamental que nous recevons d’institutions culturelles comme la Cinémathèque, le cinéma Utopia, la Kultufabrik, l’Escher Theater, entre autres, car, si leur apport n’est pas financier, elles nous facilitent l’accès à leur espace et nous offrent leur savoir-faire.
La culture est un bien universel
Jesús Iglesias travaille au Luxembourg depuis le début des années 1990, et en 1998 est devenu membre du Círculo Cultural Antonio Machado.
De quoi vous occupez-vous dans l’association ?
Jesús Iglesias : Je m’occupe principalement de la programmation musicale et du Flamenco Festival Esch, et bien sûr je collabore à toutes les activités de l’association.
Le 14 avril dernier, au centre culturel Altrimenti, vous avez proposé un concert du trio Manuel de Falla, qui a interprété une sélection de pièces de grands compositeurs espagnols comme Manuel de Falla, Isaac Albéniz et Enrique Granados. Ça change un peu du flamenco…
Et ce concert fut un succès ! Nous sommes ravi-es de reprendre l’habitude de l’association d’organiser des concerts de musiques diverses. Nous appliquons la notion de démocratie aussi à la musique.
Nous avons appris que vous avez deux nouvelles propositions en vue.
Oui, elles sont très différentes et chacune de grande qualité. La première, le 21 septembre, c’est quand même du flamenco : Peter Kalb « El Periquín » offrira le concert « Homecoming » au centre culturel Altrimenti. El Periquín, c’est le premier guitariste de flamenco hollandais que nous avons rencontré. Une amie de l’association m’en avait parlé, et je l’ai écouté pour la première fois à l’Inouï, à Redange-sur-Attert. Nous sommes restés en contact. Après plusieurs tentatives, dont la dernière en 2020, nous avons enfin le plaisir de l’accueillir.
Cela paraît exotique, un Hollandais qui joue du flamenco…
Nous souhaitons prouver encore une fois que le flamenco est une musique comme les autres et qu’il ne relève pas d’un patrimoine génétique, ce qui rend tout à fait plausible qu’un Hollandais puisse en être un très bon interprète. D’ailleurs, El Periquín est un excellent musicien, très original, avec beaucoup d’imagination et une grande liberté artistique. Notre première activité d’envergure l’année prochaine sera le concert de l’altiste Isabel Villanueva, le 24 janvier, à Neimënster. J’ai appris son existence par pur hasard, en lisant un long entretien dans la revue « Jot Down ». J’ai bien aimé son attitude résolue, son ouverture : elle parlait de l’alto, du flamenco et de Paco de Lucía. En 2017, elle a sorti son premier album, qui m’a beaucoup plu. Plus tard, par les réseaux sociaux, elle m’a écrit et m’a proposé un concert, mais nous n’avons pas pu l’organiser. Dans « Ritual », son dernier album d’alto solo, on trouve des pièces d’Hildegarde von Bingen, de J. S. Bach, d’Heinrich Biber et de György Kurtág. 800 ans de musique avec un seul instrument et dans un disque. Impressionnant.
Un programme pas vraiment espagnol…
Peu importe si les œuvres n’ont pas été composées par des Espagnols, si les interprètes le sont. Si dans la culture espagnole ne rentrait pas Bach, cela signifierait qu’elle n’est pas intéressante. Nous considérons que la culture est un bien universel. Et l’attitude d’Isabel Villanueva coïncide avec la nôtre : la musique est pour toutes et tous, il faut bannir les préjugés. Nous aimons beaucoup cette musicienne et sommes sûrs qu’un jour elle deviendra une star. Ah, et elle n’est pas complètement inconnue au Luxembourg, car Pizzicato, un site luxembourgeois spécialisé en musique classique, a publié une critique très élogieuse de son dernier disque.