« Mother ! », le dernier-né du réalisateur culte Darren Aronofsky, a divisé profondément les critiques. Au-delà de savoir si c’est une imposture ou du génie, il faut célébrer le fait que le cinéma transgressif et jouissif a encore pignon sur rue au 21e siècle.
Ce n’est pas la première fois qu’un film de Darren Aronofsky fait un bide dans les salles obscures (13,5 millions de dollars récoltés en septembre pour un budget de 30 millions) tout en devenant un film culte par la suite. Cela a déjà été le destin de « The Fountain », en 2006. Et il est fort à parier que « Mother ! » connaîtra un sort similaire. Pour la bonne et simple raison que le film est trop fort pour laisser indifférent.
Si l’histoire est vite racontée, c’est l’interprétation, voire la multitude d’interprétations possibles, qui pose problème. Un homme – écrivain en mal d’inspiration, castré par la vue de la page blanche – et sa femme vivent dans une grande vieille maison. Tandis que lui se prélasse à ne rien écrire, elle rénove la maison de fond en comble. Jusque-là, rien de trop bizarre. Mais petit à petit, le monde extérieur s’introduit dans leur microcosme. Des gens attirés magnétiquement par les écrits du poète et qui ne veulent pas repartir – une attitude qui ne manquera pas de provoquer des scènes apocalyptiques.
D’emblée, on doit mettre en avant qu’en fin de compte, « Mother ! » comporte trois personnages principaux : le couple et la maison dans laquelle il vit. Car celle-ci se transforme au gré de l’évolution du film en un réel bateau ivre. Le manoir tangue, émet des sons bourdonnants et par le biais de certaines transformations prend une part essentielle à la narration. Car quand la caméra ne suit pas à quelques centimètres près le visage ou le dos de la femme, elle se concentre sur des détails de la maison qui, le plus souvent, sont tout sauf anodins.
Et puis il y a les visiteurs. Leur impertinence et leur pénibilité croissante se traduisent par un mal-être presque physique qui se transmet progressivement au spectateur. Plus le film avance, plus cette sensation devient forte. Sans vouloir trop en dévoiler, disons juste que « Mother ! » dépeint une fête avec le crescendo de violence et de décadence sûrement le plus brutal depuis le cinéma de Pasolini. Une fête qui contraste avec le début intimiste du film, qui laisse beaucoup d’espace aux talents extraordinaires des acteurs principaux Jennifer Lawrence et Javier Bardem. Une mention spéciale mérite aussi d’être attribuée aux « primovisiteurs » joués par Michelle Pfeiffer et Ed Harris – surtout Pfeiffer, qui brille dans son rôle de mégère au bord de la schizophrénie, en permanence entre affection et dégoût pour la jeune femme.
Reste l’épineuse question de l’interprétation de cet ovni cinématographique. Qu’il s’agisse d’une grande métaphore ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais une métaphore de quoi ? De l’histoire de la Genèse, comme le voient certains critiques – en mettant en avant le poids de la religion dans l’œuvre de Darren Arononfsky, notamment dans « Pi », l’histoire d’un mathématicien de génie qui veut décoder des messages divins dans les cours de la bourse ? Ou de celle de la création littéraire, dans laquelle la femme ne serait que l’allégorie de l’inspiration qui construit – voire reconstruit – la créativité du poète ?
Le plus probable, c’est que toutes ces explications se valent, en fin de compte. Et c’est cela qui fait de « Mother ! » un grand film – qu’il puisse exister à presque tous les niveaux diégétiques. Et qu’il peut être tout, sauf une chose : un film qui vous laisse indifférent.
Aux Kinepolis Belval et Kirchberg. Tous les horaires sur le site.
L’évaluation du woxx : XXX