Dans les salles : Àma Gloria

Calé dans l’enfance, à la saveur exotique d’un Cap-Vert pourtant pas idéalisé, le film de Marie Amachoukeli se pose en îlot de douceur dans une production cinématographique où la violence tient souvent lieu de discours.

La relation idyllique entre Cléo et sa nounou Gloria… (Photos : Pyramide films)

La jeune Cléo, qui a perdu sa mère très tôt, a été confiée par son père dès sa petite enfance à Gloria, qui vient du Cap-Vert. Celle-ci, déjà mère de deux enfants dans son pays, l’a élevée en région parisienne comme sa propre fille. En quelques plans habiles, la cinéaste suggère l’histoire familiale : père attentionné mais peu présent, nounou aimante et toujours là, relation quasi fusionnelle entre Cléo et Gloria. Puis arrive bien entendu le grain de sable qui grippe le mécanisme si bien réglé emmenant la fillette vers l’adolescence. La mère de la nourrice décède, obligeant celle-ci à se rendre au Cap-Vert pour s’occuper de ses propres enfants. Impossible de revenir en France par la suite… Alors, comme un voyage d’adieu, Cléo obtient de son père de passer les vacances d’été dans l’île de Gloria.

Marie Amachoukeli, qui signe ici un scénario en partie autobiographique, adopte résolument le point de vue de l’enfant. Les cadres sont resserrés, le hors-champ se présente toujours à l’oreille comme s’il était impossible d’intégrer tous les stimuli d’un monde fait pour les adultes – encore plus, de toute évidence, lorsque l’action se déroule au Cap-Vert. Un archipel dont on ne verra d’ailleurs pas de plans « touristiques » ou simplement esthétiques. La réalisatrice se tient en effet à sa résolution de montrer ce que regardent les yeux de Cléo, ce qui confère une certaine dose d’universel à son propos. En effet, l’histoire pourrait se passer dans un autre pays ; l’essentiel est de décortiquer la mécanique de l’amour qui survient entre deux êtres non liés par le sang, d’ausculter la création d’un lien familial au-delà de la famille.

« Je trouvais fou de me dire que tous les jours, ici ou ailleurs, il y a des femmes qui s’occupent d’enfants qui ne sont pas les leurs. Ces femmes font partie de la vie quotidienne de millions de familles, mais c’est comme si on ne voulait pas les regarder, ou alors de loin, et encore moins s’interroger sur notre rapport à elles », explique Marie Amachoukeli dans le dossier de presse du film. À cela s’ajoute l’évocation de la migration économique : si Gloria a quitté son pays, c’est évidemment en raison de la structure inégalitaire des rapports Nord-Sud. La grande réussite d’« Àma Gloria » est de faire réfléchir à ces sujets profonds sans ostentation, au moyen de la toute petite histoire d’un grand amour. Moins d’une heure et demie de projection : c’est concis, précis, et tout aussi émouvant qu’efficace.

… va pourtant se clore pendant un été au Cap-Vert.

Où sont les pères ?

À l’écran, la jeune Louise Mauroy-Panzani, qui joue son rôle avec un naturel rafraîchissant, porte des lunettes : preuve que c’est son regard qui prime, elle ne les mettra de côté que pour, vers la fin, une scène poignante qu’on ne révélera bien entendu pas ici. Entre-temps, elle aura appris à quelque peu se détacher de celle qui aura été pour elle une mère de substitution (très belle interprétation également d’Ilça Moreno Zego). Mais aussi une sœur par-delà la différence d’âge : toutes deux n’ont-elles pas perdu leur mère, cette figure de la mère trop peu connue qui pourrait leur être commune ? « Àma Gloria », au fond, célèbre une certaine sororité qui échappe à l’ordre économique mondial et au modèle familial traditionnel. C’est que, à Paris comme au Cap-Vert, les hommes – ou plutôt les pères – sont étonnamment absents. Le père de Cléo ne la voit que peu et ne tarde pas à engager une nounou remplaçante ; le père des enfants de Gloria ne se trouve même pas sur les photos que celle-ci garde chez elle ; le père de l’enfant que porte Fernanda, la fille de Gloria, n’apparaît jamais. Non pas que des figures d’hommes ne traversent pas le film. Mais celles-ci semblent presque anecdotiques, du moins secondaires.

Avec cette multitude de thèmes graves évoqués du point de vue d’une enfant, il n’était pas forcément facile de ne pas trop charger la barque. L’excellente idée du film consiste en l’insertion de séquences d’animation à des moments clés du récit. Là où les retours en arrière sur l’enfance de Cléo auraient pu trop jouer sur la corde sensible du public, voire frôler la mièvrerie, les images animées coréalisées par Pierre-Emmanuel Lyet permettent à la fois de prendre de la distance et de varier l’esthétique du film. L’animation se voit même confier un rôle narratif prépondérant dans la scène poignante évoquée ci-dessus… mais non, vraiment, on n’en dira pas plus ! Parce qu’il faut à tout prix aller voir « Àma Gloria » si on aime l’émotion à l’écran sans grandiloquence, la réflexion sans discours ostensibles, le cinéma sans violence omniprésente. En bref, si on aime les petits films qui font grandir.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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