Énergie : Le nucléaire, « quoi qu’il en coûte ! »

Déjà première puissance nucléaire civile en Europe, la France veut relancer sa filière par la construction de nouveaux réacteurs et la prolongation de ceux déjà en service. Cette obsession pour l’atome, partagée par d’autres pays, est une gageure alors que le piteux état du parc nucléaire hexagonal en montre les limites et dangers.

Photo : Wiki Commons

À coup sûr, tout ça va coûter « un pognon de dingue » pour un résultat des plus incertains. Le 10 février dernier, en déplacement à Belfort, Emmanuel Macron annonçait la relance de la filière nucléaire française avec pour premier horizon la construction de six EPR2 dont la mise en service est prévue en 2035. Pour cela, l’État débloquera 50 milliards d’euros. Mais cette enveloppe tout comme le délai de livraison risquent d’être insuffisants, du moins au vu des déboires que connaît l’EPR de première génération, toujours en construction à Flamanville : son coût initial estimé à 3,3 milliards d’euros s’est envolé à 19 milliards tandis que le chantier cumule désormais 11 ans de retard. En cause, de nombreuses malfaçons constatées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui semble en découvrir de nouvelles à chacune de ses visites. À terme, les six EPR2 devront être complétés par huit autres réacteurs de même type d’ici 2050.

24 réacteurs sur 56 à l’arrêt

Cattenom ne figure pas sur la liste des sites retenus pour la construction des premiers EPR2. La centrale lorraine est cependant confrontée à d’autres urgences : trois de ses réacteurs sur quatre sont actuellement à l’arrêt. Ce phénomène touche presque toutes les centrales françaises, puisque sur 56 réacteurs en service, 24 sont aujourd’hui en pause, un chiffre qui avait grimpé à 32 au mois d’août. Du jamais vu.

Certains arrêts étaient programmés mais d’autres résultent d’un phénomène de corrosion sous contrainte dans les tuyauteries du secteur primaire. Des fissures ont été relevées qui, si elles s’aggravent, pourraient compromettre la sûreté des installations. EDF est obligée de procéder à des remplacements de pièces, ce qui prendra plusieurs mois. Ce problème apparu sur les réacteurs les plus récents s’ajoute à une multitude d’autres incidents survenus cette année sur le parc nucléaire. Cela tombe plutôt mal, car le président français avait aussi annoncé à Belfort vouloir prolonger la durée de vie des centrales pour la porter à 50 ou 60 ans au lieu des 30 ans prévus lors de leur construction.

Résultat : les Français-es risquent d’être confronté-es à des coupures de courant en janvier ou février. À plus long terme, cela « peut compromettre la politique climatique de la France et son objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 car les investissements massifs dans le nucléaire se font au détriment des renouvelables », pointe Charlotte Mijeon du réseau Sortir du nucléaire.

Le nucléaire exclu des sanctions

Malgré ce constat d’échec financier et technologique, Emmanuel Macron, à l’image de ses prédécesseurs depuis 50 ans, s’obstine à miser sur le nucléaire. En visite aux États-Unis du 29 novembre au 2 décembre, il a emmené dans ses bagages la fine fleur des dirigeants de l’industrie nucléaire nationale. L’atome est au centre des discussions entre les deux pays, la France cherchant à nouer un partenariat avec les États-Unis sur les petites centrales (SMR). Très avancés sur ces technologies, les Américains sont en revanche à la traîne sur l’enrichissement de l’uranium, étape incontournable pour fournir le combustible des réacteurs. La France, qui dispose d’une vaste usine d’enrichissement au Tricastin, est quasi autonome sur ce plan, contrairement aux États-Unis, que le président voudrait dès lors voir s’approvisionner auprès de la filière hexagonale. Il compte tirer profit du contexte géostratégique de la guerre en Ukraine pour tenter de convaincre Washington, qui achète actuellement 20 à 30 % de son uranium enrichi à la Russie. Le nucléaire ne figure en effet pas sur la liste des sanctions adoptées par les Occidentaux contre la Russie.

Et cela arrange plutôt les Hongrois. Ce mercredi 30 novembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rejeté le recours introduit par l’Autriche pour contester l’aide accordée par Budapest à la future construction de deux réacteurs nucléaires à Paks. Ils doivent remplacer les quatre réacteurs qui assurent aujourd’hui la moitié de la production électrique du pays. Le gouvernement financera intégralement ces deux nouvelles unités, qu’il mettra gratuitement à disposition de la société privée qui exploite la centrale. Pour cela, la Hongrie empruntera 10 milliards d’euros à la Russie. Quant aux deux nouveaux réacteurs, ils seront construits par une filiale de Rosatom, l’entreprise publique russe spécialisée dans le nucléaire. Business as usual.


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