Lune promise

Conquérir l’espace reste un rêve fou, mais désormais ce sont des femmes et hommes d’affaires qui en rêvent.

Fosses tectoniques mises en évidence aux abords de l’Oceanus Procellarum, indiquant que la zone ne constitue pas un géant cratère d’impact.
(Photo : NASA)

La Lune n’a jamais été aussi près de nous – symboliquement parlant, car, physiquement, elle s’éloigne de la Terre à la vitesse de quelques centimètres par an. Un déplacement infime qui ne devrait pas inquiéter celles et ceux qui ont comme projet de « s’offrir la Lune » : les agences spatiales comme la NASA ou l’ESA, mais aussi des entreprises privées. La question est plutôt : aller sur la Lune pour quoi faire, alors que l’humanité y a déjà mis les pieds à six reprises entre 1969 et 1972 ?

L’engouement pour retourner sur la Lune est lié aux bouleversements récents survenus dans le domaine de l’astronautique. D’une part, la recherche publique manque aujourd’hui de fonds – et peut-être d’idées –, comme l’illustre le fait qu’aucun alunissage en douceur n’a été effectué entre 1977 et 2012. D’autre part, la privatisation de l’espace est en route : ainsi, la NASA aura désormais recours à des vaisseaux spatiaux de sociétés privées telles que SpaceX ou Boeing. Surtout, de nouvelles lois sur l’exploitation des corps célestes ont été adoptées par les États-Unis et le Luxembourg (online-woxx : La niche conquistador). Des lois controversées, certes, mais qui ont attiré au Luxembourg un certain nombre d’entreprises.

Planetary Resources, un flop dans l’espace

En effet, c’est l’appât du gain qui attire les investissements. Une société implantée aux États-Unis ou au Luxembourg dispose d’une base légale pour s’approprier les ressources minières ou autres récupérées dans l’espace. Sachant que de nombreux métaux utilisés dans la haute technologie abondent sur la Lune et les astéroïdes, on comprend que le space mining fasse miroiter d’immenses profits potentiels. Ce domaine n’en reste pas moins à haut risque : une des sociétés phares venues au Luxembourg, Planetary Resources, s’est retrouvée en difficulté il y a quelques mois. Elle a finalement été rachetée, tandis qu’il ne reste rien des 12 millions investis par l’État dans une société commune – de l’eau au moulin des partis d’opposition et des critiques de l’aventure spatiale d’Étienne Schneider.

Après l’enthousiasme initial, voici le temps du réalisme, ou de ce qui s’en rapproche le plus au vu des nombreuses incertitudes. Non, le succès n’est pas garanti. Ni au niveau global, où on évoque parfois une « space bubble », une bulle spéculative qui éclatera tôt ou tard. Ni au niveau national, où l’émergence d’un véritable Space Cluster avec ses synergies ne se fera pas du jour au lendemain. Surtout, le cadre légal est fragile et, contrairement aux États-Unis, le grand-duché n’aura pas de « Space Marines » à envoyer pour « légitimer » les titres de propriété du space mining. On peut d’ailleurs se demander si ce ne sont pas ces incertitudes qui ont fait hésiter la société d’investissement dans l’industrie minière qui devait faire décoller le capital de Planetary Resources. À croire que les claims dans l’Oceanus Procellarum lunaire valent moins que ceux dans l’outback australien…

Économie lunaire ou trou noir ?

Le réalisme se retrouve aussi du côté des projets envisagés à moyen terme. Oubliés les métaux précieux ramenés sur terre… afin que chaque être humain puisse disposer d’un portable, comme aimait à le présenter Schneider, ministre de l’Économie et « socialiste ». Désormais, la priorité est à l’extraction de l’eau, indispensable à la survie humaine, mais également utilisable au niveau de la propulsion spatiale. Et ni l’eau ni les métaux extraits ne seront rapportés sur terre : ils devront servir sur place, ou être envoyés dans l’orbite terrestre où pourrait se développer un réseau de stations-service pour satellites.

C’est cela, l’« économie lunaire » évoquée dans ce contexte et qui a fait l’objet de plusieurs conférences et débats dans le cadre du NewSpace Europe cette semaine (online-woxx : Space business, parcours dangereux). « Lunaire » non pas parce que tout se passerait sur la Lune, mais parce que, dans un premier temps, la profitabilité est difficile à atteindre si on s’aventure trop loin de la Terre. En fait, il s’agit d’une économie cislunaire, qui engloberait aussi les orbites autour de la Terre et surtout les astéroïdes géocroiseurs (« near-earth asteroids »), aux trajectoires très proches de celle de notre planète.

Les années à venir verront l’humanité s’acheminer vers une économie lunaire, vers un monde dans lequel les colonies cislunaires seront pour nous ce qu’ont été celles du « Nouveau Monde » au 16e siècle. Ou, si le business model se révèle erroné, elles verront tout ce beau monde faire faillite.


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